Pakistan : l’heure de vérité

La percée des talibans à 100 kilomètres d’Islamabad, la capitale, a fait redouter le pire. Sous la pression des États-Unis, l’armée pakistanaise contre-attaque. Mais veut-elle vraiment en finir avec les extrémistes ?

Publié le 19 mai 2009 Lecture : 5 minutes.

On l’appelait « la Suisse du Pakistan ». Jadis villégiature favorite des riches habitants d’Islamabad, la vallée de Swat est, depuis le 26 avril, au centre d’un affrontement fratricide. D’un côté, l’armée, dont le chef, le général Ashfaq Kayani, assure qu’elle est « déterminée à éliminer les talibans » ; de l’autre, des « étudiants en religion » pakistanais ou afghans, des combattants d’Al-Qaïda et d’autres groupes terroristes qui multiplient les attaques contre la coalition occidentale en Afghanistan, contre l’ennemi héréditaire indien dans la région du Cachemire, et qui, désormais, poussent leurs pions dans les districts pakistanais de la Province de la Frontière du nord-ouest (PFNO).

Partis de Swat, les hommes du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) de Baitullah Mehsud et du Tehrik-e-Nifaz-e-Shariat-e-Mohammedi (TNSM) de Sufi Mohammad ont progressé dans le Dir et le Buner, à une centaine de kilomètres au nord-ouest d’Islamabad, la capitale, avant que l’armée passe à l’offensive, provoquant la fuite de dizaines de milliers de civils. Les talibans, qui ont perdu une centaine de militants, ont été forcés au repli. Il n’empêche : leur percée des semaines précédentes a alarmé les Occidentaux, qui les voyaient déjà tout près du pouvoir et du bouton nucléaire. « Une menace mortelle », a estimé Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine.

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Tranchant avec le ton conciliant de l’administration Bush, le président Obama, tout en excluant une intervention directe des troupes américaines, avait déjà sommé les responsables pakistanais de rendre des comptes. Plus question d’aider le Pakistan s’il ne lutte pas efficacement contre les extrémistes, avait-il averti en mars. Une mise en garde à prendre au sérieux, alors que le Congrès pourrait voter une aide d’urgence de 200 à 400 millions de dollars en plus des 7,5 milliards alloués sur cinq ans. Recevant le président Asif Ali Zardari et son homologue afghan Hamid Karzaï, les 6 et 7 mai à Washington – visite entachée par une nouvelle bavure américaine en Afghanistan, qui a fait une centaine de morts –, Barack Obama a demandé aux deux chefs d’État de faire front commun face à l’extrémisme.

La charia contre la paix

Faible époux d’une forte femme (Benazir Bhutto, assassinée en 2007), Zardari saura-t-il donner à l’armée l’impulsion nécessaire ? Celle-ci ira-t-elle jusqu’au bout pour éliminer les extrémistes, ou se contentera-t-elle de les repousser un peu plus à l’ouest ?

Si la question se pose, c’est parce que c’est aux militaires, et particulièrement à l’Inter-Services Intelligence (ISI) – les services de renseignements – que l’on doit l’existence et l’instrumentalisation de mouvements radicaux tels que le Lashkar e-Taiba, instigateur des attentats de Bombay (Inde) de novembre 2008.

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Depuis l’intervention américaine en Afghanistan, en octobre 2001, les militaires et l’ISI ont aidé les talibans chassés de Kaboul, auxquels se mêlaient des membres d’Al-Qaïda, à passer la frontière. Pis : ils les ont laissés prospérer dans un immense sanctuaire, qui s’étend des zones tribales au Baloutchistan, où règne le célèbre Mollah Omar. Sans cesser de leur fournir armes et conseils, au nez et à la barbe des États-Unis, à qui ils juraient tout le contraire.

Ce double jeu a permis au Pakistan de bénéficier d’une aide américaine de 1 milliard de dollars par an, au nom de la lutte contre le terrorisme, et de conserver sa « profondeur stratégique » en Afghanistan – c’est-à-dire de garder ce pays sous contrôle pour y éradiquer toute influence indienne. Cette obsession sécuritaire coûte cher, désormais, à l’armée et aux dirigeants pakistanais : obnubilés par l’ennemi extérieur, ils en ont oublié le danger intérieur. Aujourd’hui, les talibans profitent de l’incapacité du gouvernement à assurer à ses concitoyens un minimum d’éducation, de justice et de sécurité, pour séduire une partie de la population. Dépassées, les autorités ont essayé de les contenir dans des zones périphériques et de composer avec eux. Ainsi, le 16 février dernier, elles ont conclu avec les talibans de Swat un accord les autorisant à appliquer la charia dans le Malakand (qui fait partie de la PFNO) en échange d’un cessez-le-feu. Terrible aveu de faiblesse ! Les « barbus » ont bel et bien saccagé les bâtiments publics, interdit aux femmes de sortir de chez elles, banni la musique et décapité quelques récalcitrants, mais sans déposer les armes. Au contraire : enhardis par ce succès, ils ont marché sur d’autres districts, ce qui a enfin décidé l’armée à passer à l’offensive.

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Pourtant, évoquant l’accord de Swat dont il souhaite qu’il reste en vigueur malgré tout, le général Kayani parle de « pause tactique ». « Ce n’est pas une concession, affirme-t-il, mais une chance donnée aux efforts de réconciliation. » Un propos qui conduit à s’interroger, à nouveau, sur la volonté de l’armée de trancher dans le vif. Elle a pourtant quelques raisons de ne plus laisser faire. D’abord et même si, pour le moment, elle ne paraît pas tentée de renverser le gouvernement, elle garde le goût du pouvoir que, depuis l’indépendance en 1947, elle a plus souvent exercé que les civils. Ensuite, elle n’est pas près de renoncer à sa mainmise sur l’économie à travers un complexe militaro-industriel qui pesait 20 milliards de dollars en 2007, et la possession de 4,8 millions d’hectares de terres, qu’elle distribue à ses cadres à titre de gratification. Enfin, alors que l’on redoute une progression des djihadistes vers le Pendjab, il est peu probable qu’elle leur abandonne une région aussi peuplée, dont sont issus 70 % de ses effectifs.

L’arme nucléaire à l’abri

Son écrasante supériorité numérique (700 000 hommes, contre 15 000 combattants islamistes) et la protection renforcée de l’arsenal nucléaire sont plutôt de nature à rassurer. C’est sa cohésion, en revanche, qui préoccupe et divise les experts. Habitués à une longue collusion avec les islamistes, les hommes de troupe, notamment, pourraient refuser de tirer sur leurs « frères ».

Sur le plan technique, l’armée est mal formée à la contre-guérilla. Elle n’est pas non plus épaulée par une police capable de rassurer une population devenue la cible d’attentats quasi quotidiens. Ce déchaînement de violence pourrait néanmoins lui donner le sentiment d’avoir à se battre pour sauver son pays au lieu d’avoir l’impression de servir de chair à canon pour une « guerre américaine ».

Jusque-là, sa phobie du péril indien l’avait conduite à masser ses troupes à l’est, laissant aux talibans toute latitude de progresser par l’ouest. Que ceux-ci se soient rapprochés d’Islamabad l’a, semble-t-il, ramenée à la réalité. Reste à espérer qu’il n’est pas trop tard.

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