Robert Ménard : « Je ne veux pas d’un centre à géométrie variable »

En mars 2008, Robert Ménard avait surpris son monde en répondant à l’invitation de Cheikha Mozah, l’épouse de l’émir du Qatar, Cheikh Hamad Ibn Khalifa Al Thani, et en acceptant de prendre la tête du Centre de Doha pour la liberté de l’information, qui se veut la première organisation internationale de défense des journalistes basée dans un pays du Sud. L’ex-secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), qui est entré dans ses nouvelles fonctions en octobre 2008, ne regrette rien. Mais admet avoir sous-estimé les difficultés de l’entreprise, qui heurte certains segments conservateurs de l’État qatari.

Publié le 19 mai 2009 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Le Centre de Doha vient de fêter son premier anniversaire. À quoi sert-il ?

Robert Ménard : Il y a deux semaines, j’étais à Djibouti pour célébrer le lancement de l’agence Somina, créée pour et par des journalistes somaliens empêchés d’exercer librement leur métier à cause de la guerre et des persécutions. Sans le centre, cette agence n’aurait pas vu le jour. La semaine dernière, nous avons inauguré à Gaza un nouveau centre de presse qui aura vocation à accueillir des journalistes palestiniens de toutes sensibilités. Au total, nous avons distribué plus de 250 assistances matérielles ou financières aux journalistes et aux médias en danger à travers le monde, et dépensé plus de 500 000 dollars. Le Centre a par ailleurs diffusé plus de 200 communiqués. Et n’épargne personne. Nous avons critiqué la venue, à l’invitation des autorités qataries, du président soudanais El-Béchir au sommet arabe de Doha. Une structure qui critique l’État qui la finance, c’est sans précédent dans le monde arabe. Alors, cela fait grincer des dents, cela suscite des résistances, mais c’est un acquis précieux. 

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En mars, vous avez déploré le caractère restrictif de la politique d’accueil des journalistes persécutés, et avez menacé de quitter la direction du Centre car vous redoutiez « une reprise en main » de l’institution par certains conseillers de l’émir…

Oui. Nous n’avons pu faire venir que deux confrères en danger, c’est évidemment trop peu, mais c’est un domaine qui, hélas, dépasse ma compétence, et suppose la collaboration des autorités de l’immigration. Oui, on a voulu me mettre des bâtons dans les roues. Et on a tenté de modifier les règles de la gouvernance au sein du conseil d’administration du Centre. J’ai été reçu par Cheikha Mozah quelques jours après mon « coup de gueule ». Elle m’a fait part des pressions exercées sur elle par certaines personnes qui voulaient que je sois remplacé par quelqu’un de plus docile, mais elle m’a réaffirmé son soutien. Donc je continue. Le Centre est devenu un enjeu de politique intérieure, car nous avons critiqué des aspects de la politique de l’émirat et dénoncé l’archaïsme du code de la presse. Notre premier communiqué portait sur la situation au Qatar, c’était délibéré. Notre crédibilité est à ce prix. Beaucoup de gens se satisferaient d’un centre à géométrie variable. Qui critiquerait Israël pour ses exactions à Gaza et porterait plainte contre lui pour assassinat de journalistes devant la Cour pénale internationale, mais qui ne piperait mot du Soudan, ou dénoncerait une justice internationale inféodée aux puissances occidentales. Il est hors de question d’entrer dans ce jeu du deux poids, deux mesures. Si cela devait se produire, alors je n’hésiterais pas à démissionner. Mais tant que je serai soutenu par les personnes qui m’ont fait venir, je poursuivrai l’aventure. Et puis le challenge est excitant : montrer qu’il est possible ici, au Qatar, de construire quelque chose d’aussi cohérent qu’à Paris ou à New York… 

Le combat pour la liberté de la presse semble marquer le pas dans la région : Jeune Afrique et Afrique Magazine viennent d’être censurés aux Émirats. Une décision jugée « archaïque » par RSF.

Effectivement. Les censures à répétition aux Émirats, qui concernent aussi les médias électroniques, prouvent manifestement que ce régime ne supporte ni la critique ni la liberté de ton des journalistes. Cela dénote un archaïsme certain, car la modernité ce n’est pas seulement construire des buildings et un métro, c’est aussi accepter la liberté de la presse. Et il y a encore du chemin à faire…

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