Abdelaziz, leur meilleur ennemi

Réunis au sein du Front national pour la défense de la démocratie (FNDD), ils s’opposent à la tenue de la présidentielle du 6 juin. Et au plébiscite annoncé du chef des putschistes.

Publié le 14 mai 2009 Lecture : 5 minutes.

Mohamed Ould Maouloud, ancien militant d’extrême gauche et éternel détracteur du pouvoir militaire ; Ahmed Ould Sidi Baba, vieux caméléon passé maître dans l’art de se fondre dans tous les régimes ; Abdelkoudouss Ould Abeidna, homme d’affaires ; Jemil Ould Mansour, islamiste bon teint ; Messaoud Ould Boulkheir, fer de lance de la lutte contre l’esclavage… Dans les cortèges de manifestants qui protestent contre la tenue de la présidentielle du 6 juin, les premiers rangs sont occupés par des figures mauritaniennes diverses et variées, voire hétéroclites. Parfois à couteaux tirés hier, elles défilent aujourd’hui main dans la main. Et les photos d’immortaliser leur « union sacrée ».

Il fallait un ennemi commun pour fédérer ces leaders de tous bords. C’est « Aziz », le général qui, le 6 août dernier, a renversé le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Depuis qu’il a annoncé, le 15 avril, sa candidature à la présidentielle, ils cherchent à l’empêcher de se faire plébisciter au cours d’une partie électorale « truquée d’avance ». Réunis au sein du Front national pour la défense de la démocratie (FNDD), une coalition d’une quinzaine de formations née au lendemain du coup d’État, soutenue par une partie de la société civile, ils ont décidé d’augmenter la cadence des protestations.

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« Le but de notre combat, c’est que l’élection n’ait pas lieu », explique Sidi Mohamed Ould Amajar, ancien directeur de cabinet de « Sidi » et militant du FNDD. La solution rêvée par le mouvement tient en quelques points : départ d’Abdelaziz, retour dans ses fonctions de « Sidi », puis démission anticipée, organisation d’élections législatives et présidentielle. « Et le plan d’action, c’est un événement par jour », poursuit Ould Amajar. Sit-in devant le Parlement ou le siège de l’ONU, manifestations qui traversent Nouakchott de long en large : d’ordinaire congestionnée par les embouteillages, la rue mauritanienne l’est aujourd’hui par la contestation. Les slogans sont explicites : « La mascarade électorale du général ne passera que sur nos cadavres », pouvait-on lire, le 4 mai, sur des banderoles du FNDD, qui a fait le choix de la « voie pacifique ». Avec une pointe de dramatisation, ses porte-drapeaux font de leur combat celui de « la démocratie contre la dictature ».

Outre les manifestations à répétition – parfois violemment réprimées, comme celle du 19 avril –, qui ne mobilisent guère la presse internationale et, le plus souvent, ne concernent que Nouakchott, le FNDD a ouvert un autre front : le lobbying à l’étranger. En France, premier partenaire bilatéral de la Mauritanie, des membres de la coalition – dont certains, comme Sidi Mohamed Ould Amajar, sont basés à Paris – ont été reçus par Bruno Joubert, patron de la cellule Afrique de l’Élysée, et Romain Serman, conseiller technique chargé du dossier mauritanien, ainsi que par le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner. À Bruxelles – où siège la Commission européenne, premier bailleur de Nouakchott –, le FNDD dispose d’un représentant, Yahya Ould Kebd, ministre de la Décentralisation sous Sidi. Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée nationale, a effectué, en décembre dernier, une tournée en Tanzanie et en Afrique du Sud.

Lobbying tous azimuts

À leurs interlocuteurs, les VRP de la démocratie mauritanienne martèlent le même discours : la Mauritanie a trop longtemps vécu sous des régimes militaires, nous devons et pouvons en finir ; Aziz, qui fustige la « gabegie » héritée du passé, n’a d’autre intention que de la perpétuer, voyez son entourage ; fermer les yeux sur cette élection « truquée » organisée par un putschiste, c’est ouvrir la voie à d’autres coups d’État dans notre pays ; il prétend restaurer la démocratie, regardez les « prisonniers politiques » (en référence aux enquêtes pour mauvaise gestion ouvertes après le 6 août et qui ont entraîné des partisans de Sidi derrière les barreaux de la prison civile de Nouakchott, notamment le Premier ministre Yahya Ould Ahmed el-Waghf).

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Diplomatie oblige, l’accueil des doléances est toujours bienveillant. À l’ambassade des États-Unis, à Nouakchott, on ne cache pas ses sympathies pour le FNDD. En gelant, le 6 avril, la coopération avec la Mauritanie, l’Union européenne (UE) a clairement sanctionné le régime du général Ould Abdelaziz. En revanche, les irréductibles soupçonnent la France de sympathies avec le Haut Conseil d’État (HCE, la junte au pouvoir), arguant d’une certaine indulgence dans ses prises de position. À l’intérieur du pays, même ses indéfectibles partisans sont lucides : le FNDD n’atteindra pas son objectif d’empêcher la tenue de la présidentielle, le général Ould Abdelaziz n’ayant pas brillé par son esprit de compromis depuis le début de la crise.

Le nerf de la guerre

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Le combat, le vrai, se tiendra après le scrutin. Mais sous quelle forme ? « Si Aziz est élu, la ligne jaune aura été franchie, et alors nous n’exclurons plus la solution du coup d’État », admet un membre du FNDD, sous le couvert de l’anonymat. « La contestation viendra de l’intérieur », croit savoir un autre. Les plans de riposte ne sont pas plus précis.

Mais une chose est sûre : les ressources financières, nécessaires pour mobiliser foules et diplomates, risquent de se tarir. Les fonds du FNDD proviennent de ses membres et de ses partisans, parmi lesquels des hommes d’affaires qui, en l’absence de résultats, pourraient un jour se lasser. Quant aux ministres de Sidi aujourd’hui militants – notamment Yahya Ould Kebd et Assane Soumaré –, ils ne touchent bien entendu plus de salaire depuis le coup d’État. « Notre classe politique est vulnérable, prévient un militant du FNDD. Avec 20 millions d’ouguiyas, l’autre camp peut débaucher un de nos membres. »

À mesure que la présidentielle approche, les liens se resserrent entre les membres du front. Rivalités et rancœurs sont mises de côté. Mesurant son poids politique, le FNDD a même accepté qu’Ahmed Ould Daddah, le leader du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), se joigne au combat ; son parti s’était pourtant abstenu de condamner le coup d’État. Mais une fois l’échéance de la présidentielle passée, combien de temps l’attelage peut-il durer ? « Le FNDD, c’est un mélange d’opportunistes, qui espèrent retrouver les prérogatives qu’ils avaient sous Maaouiya Ould Taya [chef de l’État de 1984 à 2005, NDLR], et d’opposants historiques », résume Zekeria Ould Ahmed Salem, professeur de sciences politiques à l’université de Nouakchott.

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