Kadhafi : miroir, miroir, dis-moi qui est le plus beau…

En mal de reconnaissance internationale, le « Guide » fait appel au savoir-faire des meilleurs cabinets de lobbying de l’ex-ennemi américain pour redorer son image.

Publié le 19 mai 2009 Lecture : 5 minutes.

Drapé dans des caftans et tuniques aux reflets d’or des souverains d’Afrique, Mouammar Kadhafi ne se contente plus, pour satisfaire son ego surdimensionné, des titres auto-attribués de « Guide de la Jamahiriya », « roi des rois traditionnels », « penseur international », « sauveur de l’humanité », etc. En mal de reconnaissance internationale, il a désormais recours à des cabinets de lobbyistes, de consultants stratégiques et à des agences de communication et de relations publiques pour se fabriquer un nouveau profil. Chose impensable il y a moins d’une décennie : tous sont américains. Pour lisser l’image de celui que l’ex-président Ronald Reagan traitait dans les années 1980 de « chien fou du Moyen-Orient », ces cabinets ont dû attendre que Washington rétablisse ses relations diplomatiques avec Tripoli, rompues pendant une vingtaine d’années. Ce fut chose faite en 2006, après que Tripoli eut décidé de renoncer au terrorisme, d’indemniser à coups de milliards de dollars les familles des victimes de l’attentat de Lockerbie (décembre 1988) et de démanteler son programme d’armes de destruction massive.

Frappées du sceau de la confidentialité, les initiatives de ces cabinets américains pour vendre le « nouveau Kadhafi » ont été rapidement éventées grâce aux indiscrétions d’un groupe d’opposition libyen en exil qui a divulgué, en mars, des rapports et mémos adressés par lesdits cabinets au gouvernement libyen.

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C’est ainsi que l’on apprend que The Livingston Group (TLG), l’un des plus grands lobbyistes américains, se présente comme le « représentant de la Libye auprès du Congrès et de l’exécutif des États-Unis pour promouvoir l’image de la Libye auprès des décideurs politiques clés au sein du gouvernement américain ».

Dirigé par l’ancien membre républicain du Congrès, Bob Livingston, TLG a inscrit en tête des « projets spéciaux » prévus dans sa feuille de route cette année la « célébration du quarantième anniversaire de la Révolution » – en d’autres termes le coup d’État militaire qui renversa la monarchie constitutionnelle –, en septembre 2009. TLG se propose aussi de faire du lobbying auprès de l’administration américaine pour que des personnalités gouvernementales libyennes « de haut niveau » soient invitées aux États-Unis à cette occasion. Nul besoin de faire un dessin : la seule personnalité de « haut niveau » en Libye n’est autre que Mouammar Kadhafi. D’autant que celui-ci compte prononcer un discours devant l’assemblée générale de l’ONU, à New York, en septembre, en sa qualité de président en exercice de l’Union africaine (UA).

Des néocons à Tripoli

Barack Obama le recevra-t-il à l’occasion de sa première visite aux États-Unis ? TLG a du pain sur la planche pour concrétiser le rêve du « Guide ». En tout cas, ce ne sont pas les fonds qui manquent pour financer son lobbying. Après avoir reçu le rapport de TLG (42 pages) daté de mars 2009, l’État libyen a remis au cabinet américain, le même mois, un chèque de 750 000 dollars en règlement de ses honoraires pour la période de septembre 2008 à mars 2009, en vertu du contrat de 2,4 millions de dollars signé en 2008.

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On apprend aussi, dans un document confidentiel de Monitor Group, que ce cabinet américain de renom spécialisé dans la consultance stratégique organise, depuis 2006, les visites en Libye de personnalités célèbres pour y rencontrer le « penseur et intellectuel » Kadhafi. Fondé par des professeurs et d’anciens étudiants de l’université Harvard, à Cambridge, aux États-Unis, Monitor a comme gourou Michael Porter, professeur à la Harvard Business School. Ce dernier a contribué à l’élaboration d’une Stratégie nationale pour l’économie libyenne, dont le promoteur est Seif el-Islam Kadhafi, et qui comprend la formation d’une nouvelle élite d’entrepreneurs et de cadres privés à partir d’un système socialiste. Monitor Group écrit dans un mémo confidentiel que son premier objectif est d’aider à « l’émergence d’une nouvelle Libye en voie de changement », mais que « le client » a introduit un deuxième objectif, qui est de « présenter Mouammar Kadhafi comme un penseur et un intellectuel, indépendamment du personnage public qu’il est en tant que Guide de la Révolution libyenne ». Le rapport nous apprend également que c’est dans ce cadre que Monitor Group a organisé la visite en Libye d’universitaires et d’intellectuels américains et britanniques, en partie choisis par Kadhafi lui-même. Une dizaine d’entre eux ont eu de longs entretiens avec le « Guide » en 2006 et 2007. Parmi eux, Richard Perle, un néoconservateur américain proche du Likoud israélien et qui a été, avec Paul Wolfowitz, l’un des principaux instigateurs de l’invasion de l’Irak en 2003, après avoir… préconisé celle de la Libye pour renverser Kadhafi. Perle a rencontré ce dernier à deux reprises, l’une en mars 2006, l’autre en juillet de la même année, et en a fait un rapport à Dick Cheney, alors vice-président. Bernard Lewis a vu Kadhafi en décembre 2006, puis s’est rendu en Israël pour y briefer l’ambassadeur américain sur son entretien avec le leader libyen. Lewis, historien, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Islam, ancien conseiller de Benyamin Netanyahou, est l’un des tenants du concept du « choc des civilisations » avec feu Samuel Huntington.

Benjamin Barber, universitaire américain, théoricien de la démocratie, s’est rendu en Libye à trois reprises, en 2007, pour y rencontrer Kadhafi. De même qu’Anthony Giddens, sociologue et père de la Troisième Théorie, un concept cher à l’auteur du Livre vert. Parmi les autres personnalités reçues par Kadhafi pendant cette période : Francis Fukuyama (l’auteur de La Fin de l’Histoire), David Frost (l’intervieweur vedette de la télévision britannique venu modérer le dialogue de Kadhafi avec Giddens et Barber) et deux académiciens, Joseph Nye et Robert Putnam. Barber publiera un article où il estime que Kadhafi pourrait être un allié géostratégique potentiel pour les États-Unis. Giddens, pour sa part, maintient que la Libye est actuellement une « dictature de fait » et qu’elle ne pourra pas progresser si le système actuel (celui de Kadhafi) demeure en place.*

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Mission impossible ?

Kadhafi s’est ensuite résolu à prendre sa plume pour rédiger des articles sur des questions internationales qu’il signe de son nom et qu’une agence américaine de relations publiques, Brown Lloyd James (la seule à disposer d’un bureau en Libye), a fait publier dans des journaux américains de renom, le Washington Times, en décembre 2008, et le New York Times, le 22 janvier 2009. Le « Guide » s’est aussi offert, le même mois, une vidéoconférence par satellite avec les étudiants de l’université américaine Georgetown pour se rappeler au bon souvenir d’Obama, à qui il a conseillé de donner une chance à Oussama Ben Laden.

L’offensive de charme tous azimuts de Kadhafi est-elle en passe de changer son image ? Rien n’est moins sûr si l’on en juge par les commentaires de la plupart des médias internationaux après sa désignation, en février, comme président en exercice de l’Union africaine en 2009. « Ubu président », « le plus vieil adolescent des chefs d’État dans le monde », « comédien en mal de reconnaissance internationale », « mégalomane », « narcissique »… L’image de Mouammar Kadhafi serait-elle à ce point ternie qu’il est impossible de la redorer, comme on l’a longtemps pensé ? C’est ce que doivent se dire les conseillers américains du « Guide ».

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