La présidentielle en ligne de mire

Avec le remaniement ministériel intervenu le 30 avril, Abdoulaye Wade a nommé¨l’équipe chargée de remporter l’élection de 2012.

Publié le 14 mai 2009 Lecture : 6 minutes.

Karim, le fils du président de la République du Sénégal, est encore et toujours au cœur du débat politique. En 2001, sa nomination au poste de conseiller spécial du chef de l’État avait bien suscité quelques commentaires, mais c’est surtout à partir de 2004, à la suite de son installation à la présidence de l’Agence nationale pour l’Organisation de la conférence islamique (Anoci), que Karim Meissa Wade est devenu malgré lui la vedette incontestée des médias. Et un sujet de conversation dans les salons. Sa candidature malheureuse à la mairie de Dakar, puis sa nomination comme ministre d’État chargé de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures ont encore accentué le phénomène. S’il est vrai que la presse est plutôt avare en compliments sur le « prince héritier », comme l’appellent ses détracteurs, il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que Karim, 41 ans, analyste financier de profession, est devenu bon gré mal gré incontournable. Oubliée, la défaite dans la capitale de la coalition Sopi conduite par le Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir) lors des élections locales du 22 mars. À défaut de porter l’écharpe tricolore, il arborera désormais le costume de ministre. Celui d’un « superministre », appelé à faire ses armes dans une équipe dirigée par Souleymane Ndéné Ndiaye (voir p. 39), un fidèle militant du PDS, qui, il y a quelques mois, déclarait sans retenue qu’il ne serait jamais derrière Karim… 

Soumaré se désiste

la suite après cette publicité

À trois ans de la prochaine présidentielle, tout porte donc à croire que le président Wade ne se laissera distraire ni par les guéguerres politiciennes ni par ses opposants. Et qu’il fera son possible pour consolider son assise politique ainsi que celle de son fils, à qui on prête des ambitions présidentielles que l’intéressé n’a jamais confirmées.

Abdoulaye Wade, fort dans l’art de la diversion, a attendu le 30 avril pour désigner un nouveau chef du gouvernement. Plus d’un mois après la victoire de l’opposition aux élections locales dans plusieurs grandes villes du pays, d’aucuns pensaient que le remaniement ministériel n’était plus d’actualité. Ce qui, bien sûr, n’était pas le cas. Reconduit dans ses fonctions de Premier ministre dans la matinée, Cheikh Hadjibou Soumaré (nommé en 2007), 58 ans, victime il y a quelques semaines d’une alerte cardiaque, a décliné l’offre pour « convenance personnelle ». Quelques heures donc après son désistement, l’annonce de la nomination de Souleymane Ndéné Ndiaye, jusque-là ministre de l’Économie maritime, a ravi la vedette aux principaux syndicats qui comptaient bien profiter de la fête du Travail pour afficher leurs revendications. Et c’est sans surprise que, le lendemain, la publication de la composition du nouveau gouvernement occulta le boycott par les représentants des travailleurs de la traditionnelle cérémonie de remise du cahier de doléances au président de la République.

Il faut dire que la trentaine de ministres devra faire face à nombre d’urgences. « Il y a des problèmes alimentaires, d’inondations, de logement, de coupures de courant, de grève pour des bourses impayées, de pénuries dans les hôpitaux… », reconnaît d’ailleurs Souleymane Ndéné Ndiaye au moment où le dossier Air Sénégal International (voir pp. 81-83) continue de faire la une des journaux. Le règlement du conflit opposant l’État à la Royal Air Maroc (RAM) sur la gestion de la compagnie aérienne aura sans aucun doute valeur de test pour Karim, désormais en charge de ce dossier sensible. Ses détracteurs l’attendent sur cette affaire ainsi que sur tous les dossiers qui passeront entre ses mains.

Perçue comme un cadeau présidentiel, sa nomination au poste de ministre n’est donc pas une sinécure. Soumis à l’opinion publique, aux pressions de l’opposition jugeant indécente la présence du fils dans le gouvernement du père, mais également à l’autorité supposée de Souleymane Ndéné Ndiaye qui l’a nommé de son plein gré, dit-on, et au regard de ses pairs, il a une obligation de résultats. D’autant que les institutions financières internationales surveillent le Sénégal de très près en raison des dépassements budgétaires de l’ordre de 100 milliards de F CFA recensés entre 2004 et 2008, mais aussi à la suite de la crise surgie l’an dernier entre l’État et des entreprises du BTP autour d’une ardoise atteignant officiellement 170 milliards de F CFA, et 300 milliards selon le secteur privé. Une dette dont l’Anoci, qui a réalisé d’importants chantiers avant le sommet de l’OCI en mars 2008, est grandement responsable, estime l’opposition. Quoi qu’il en soit, les proches de Karim considèrent qu’il pourra s’appuyer sur l’expérience acquise à la tête de l’Anoci et sur son carnet d’adresses pour mener à bien les missions qui lui seront confiées dans le cadre de ses nouvelles fonctions. L’achèvement des travaux de l’aéroport international Blaise-Diagne de Diass, de l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio et de la Zone économique spéciale intégrée (voir p. 72) sont parmi ses priorités. Quant au gouvernement dans son ensemble, il devra évidemment répondre aux attentes des populations et du président de la République, qui n’a plus que trois ans pour améliorer son bilan et assurer la victoire des siens à la présidentielle de 2012. 

la suite après cette publicité

« Après Wade, c’est moi »

La nouvelle équipe gouvernementale à forte coloration bleue (couleur du PDS) compte 14 nouveaux venus, parmi lesquels des « revenants » issus de la coalition Sopi conduite par le PDS, comme Aïda Mbodj ou encore Thierno Lô et Khouraïchy Thiam. La première a été élue maire de la commune de Bambey (centre-ouest du Sénégal) et les deux autres sont présidents de conseils ruraux à Darou Mousty et à Tambacounda. Leur retour est perçu comme une juste récompense après leur victoire dans leurs localités respectives. Des ministres battus le 22 mars ont toutefois été maintenus dans leurs fonctions. Par exemple, celui de l’Intérieur, Cheikh Tidiane Sy, et celui des Mines, de l’Industrie et des PME, Ousmane Ngom, qui a été démis le 30 avril, puis reconduit le 4 mai après un entretien avec le président sans qu’aucune explication officielle ne soit donnée. Ce revirement, de même que le retour de l’Économie dans le portefeuille d’Abdoulaye Diop (l’un des plus anciens ministres de Wade avec Cheikh Tidiane Gadio aux Affaires étrangères), resté quelques jours à la tête d’un ministère des Finances amputé d’un poste clé, ne sont pas passés inaperçus. « Ces retournements soudains confirment qu’on navigue à vue », estime un observateur, rappelant que les réaménagements gouvernementaux sont réguliers dans ce pays qui a connu six premiers ministres en neuf ans. Idrissa Seck, le fondateur du parti Rewmi, en fait partie.

la suite après cette publicité

Alors qu’il vient d’être totalement blanchi par la justice dans l’affaire des « chantiers de Thiès » qui l’avait conduit en prison de juillet 2005 à février 2006, il ne cache pas ses ambitions présidentielles. Même si certains ont voulu les remettre en question après son rapprochement avec le PDS, à la veille des locales du 22 mars. « Il n’y a ni équivoque ni ambiguïté. Je veux être le quatrième président du Sénégal. Après Wade, c’est moi », a-t-il affirmé face à la presse, le 4 mai, à Dakar. Ces déclarations ont le mérite de clarifier sa position vis-à-vis de ses anciens camarades du PDS, après deux années de flou savamment entretenu. Mais pour combien de temps ? D’ici à la présidentielle de 2012, il est fort possible qu’« Idy », qui a retrouvé son fauteuil de maire de Thiès après les dernières locales, surprenne encore… En attendant, ce qui est sûr, c’est que le nouveau gouvernement formé par Souleymane Ndéné Ndiaye, au-delà de sa mission économique et sociale, aura aussi et surtout la lourde tâche de rassembler une nouvelle fois les Sénégalais autour de la famille libérale ébranlée par les crises devenues récurrentes au sein du PDS.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires