Le mystère Bongo
En décidant, le 6 mai, de « suspendre momentanément » ses activités pour raison de santé, le chef de l’État gabonais Omar Bongo Ondimba plonge son pays dans l’incertitude.
Le directeur de la presse présidentielle s’en tient, sobrement, aux termes du communiqué lu le 6 mai à la télévision publique : « Le président Omar Bongo Ondimba a décidé de suspendre ses activités pour effectuer son veuvage et se ressourcer. » « Il se repose chez lui, ici au Gabon », insiste-t-il. Mais, peu à peu, des informations filtrent, qui laissent entendre que le chef de l’État gabonais a quitté Libreville par avion médicalisé, juste après l’annonce officielle de son retrait temporaire.
Si la destination européenne de l’illustre patient demeurait encore secrète au moment où nous mettions sous presse, on sait, au moins, où il n’a pas souhaité se rendre. Selon des sources dignes de foi, son entourage aurait écarté toute idée d’un séjour en France. Le climat bilatéral est en effet délicat. Le 5 mai, la doyenne des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris a jugé recevable la plainte de plusieurs ONG dans l’affaire dite des « biens mal acquis », avant que le parquet n’interjette un appel suspensif de l’information judiciaire.
Ce ne sera pas non plus Genève, la discrète cité suisse, un temps envisagée. Tout juste sait-on qu’Omar Bongo Ondimba a choisi un pays d’Europe de l’Ouest. L’Allemagne ? C’est probable. À moins que ce ne soit l’Espagne…
« Epuisement généralisé »
Alarmés par la dégradation visible de son état de santé, les proches du chef de l’État l’ont incité à se mettre en congé de la gestion des affaires publiques. Mais de quel mal souffrirait donc le président gabonais ? Ceux qui l’ont approché ces derniers jours diagnostiquent un « épuisement généralisé ». En effet, en se remettant au travail dès le lendemain de l’inhumation de son épouse, le 22 mars, il semble qu’Omar Bongo (73 ans) ait présumé de ses forces. Après plus d’un mois – et bien des nuits blanches – passés au Maroc au chevet de la première dame en fin de vie, il lui a fallu veiller au bon déroulement de plusieurs jours d’obsèques officielles célébrées au Gabon et au Congo…
Ses proches évoquent également un diabète, dont les complications ne sont pas étrangères aux difficultés éprouvées par le président à surmonter la longue maladie de son épouse, qui durait depuis trois ans. « Quand les médecins lui annonçaient une détérioration de l’état de santé de sa femme, il arrêtait de s’alimenter », raconte un proche. Ainsi, un matin de novembre 2008, alors que cela est fortement contre-indiqué, il a pris le risque de prendre un antidiabétique à jeun, avant de se livrer à sa séance quotidienne d’exercices physiques. La crise aiguë qui a suivi ne fut surmontée que grâce à l’intervention d’une équipe de médecins de Libreville, convoquée de toute urgence.
Certains parlent d’« amertume » et d’une « grande lassitude », dues à la chronique désenchantée d’une époque dont les codes lui échappent peu à peu. À Paris notamment, où une nouvelle génération d’hommes politiques lui est inconnue et semble faire bon marché de l’un des alliés les plus fidèles de la France. Ayant toujours eu le souci de son image, le « doyen » des chefs d’État africains aurait ainsi été profondément meurtri par les articles incendiaires qui se multiplient dans la presse française depuis quelques mois.
Plus anxiogène encore : les trésors de patience et d’énergie qu’il doit déployer pour arbitrer les batailles qui opposent les prétendants potentiels à la succession, et qui minent son entourage immédiat .
Solidaires du « boss »
Pendant ce temps, à Libreville, on s’inquiète de la tournure des événements. Le chef de l’État, qui avait disparu des écrans de télévision depuis le Conseil des ministres du 9 avril, n’est réapparu brièvement qu’au bout de vingt jours, avant que soit annoncée la suspension de ses activités. En reprenant des images d’archives, la RTG a involontairement renforcé le soupçon.
De son côté, la classe politique se montre solidaire du « boss ». Parmi les grandes figures de l’opposition, nul n’a encore songé à soulever la question de la vacance du pouvoir. Les membres du gouvernement refusent de s’étendre sur le sujet au téléphone, redoutant d’être placés sur écoute. Visiblement, on s’épie, dans une atmosphère d’inquiétude, d’incertitude et de suspicion généralisées. Le « bal des vampires », qui bat son plein selon L’Union, le quotidien gouvernemental, incite à la prudence.
Reste que bien des questions demeurent sans réponse. Combien de temps pourrait durer l’indisponibilité du président ? Le système, conçu à sa mesure, pourra-t-il fonctionner en roue libre pendant son absence ? De quelle autorité pourra se prévaloir le vice-président Clément Didjob Divungi Di Ndinge devant les poids lourds du gouvernement ?
Pour le Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir), aucune raison de s’inquiéter. « Il n’y a pas de vacance du pouvoir », répète Faustin Boukoubi, son secrétaire général. Mais si par malheur le destin devait en décider autrement, la Constitution prévoit que c’est au président du Sénat d’assurer l’intérim du chef de l’État. Rose Francine Rogombé, une magistrate de 66 ans militante du PDG, a été élue à la tête de la Chambre haute le 16 février dernier, sur instruction donnée depuis Rabat par le président gabonais. C’est donc à la sénatrice de Lambaréné que reviendrait la charge d’organiser, dans un délai de quarante-cinq jours, une élection présidentielle à laquelle elle ne pourrait se porter candidate. Une hypothèse qui, pour le moment, reste purement d’école.
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