Le grand bouleversement

Publié le 18 mai 2009 Lecture : 5 minutes.

« À quelque chose malheur est bon », dit l’adage populaire, et je crois que c’est bien vrai.

La crise économique née il y a plus de deux ans aux États-Unis et qui s’est, depuis, propagée de proche en proche pour affecter à des degrés divers tous les continents fait souffrir, appauvrit, réduit au chômage la partie la plus vulnérable de l’humanité. Mais elle fouette l’énergie des plus motivés, réveille ceux qui avaient besoin du choc qu’elle a fait subir.

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Le président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, que je tiens pour l’un des plus grands hommes d’État actuellement au pouvoir, la ressent comme un adjuvant : « Cette crise nous réveille. C’est une stimulation. Elle me fait vibrer, m’excite, me donne envie de me battre. Plus elle est grave, mieux il nous faut investir pour en sortir.

Au Brésil, nous nous sommes mis à investir plus que nous ne l’avions jamais fait dans la construction de voies ferrées, de routes, barrages, ponts, habitations, hôpitaux. Nous devons en faire plus que les pays les plus avancés où ces infrastructures sont déjà réalisées… »

La crise réveille, oblige les meilleurs à se décarcasser, à faire plus et mieux pour en sortir revigorés, tandis que d’autres, moins courageux, auront été diminués ou même abattus.

Comme une tempête ou un ouragan, elle modifie le paysage. Lorsqu’elle sera terminée et que « tout rentrera dans l’ordre », nous découvrirons un monde différent, dont l’ordonnancement aura changé.

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La crise n’aura été en vérité qu’un formidable accélérateur d’un mouvement qui a commencé il y a trente ans avec le réveil de la Chine, suivi de celui de l’Inde, il y a une quinzaine d’années. Rejointes par le Brésil, l’Indonésie, la Malaisie, la Turquie et quelques autres pays du Sud qu’on a qualifiés « d’émergents », ces grandes nations se sont replacées dans la caravane du progrès, quittée, par beaucoup d’entre elles, il y a deux ou trois siècles.

Accélérant le pas, elles se sont mises à gagner des places et à se rapprocher peu à peu des pays les plus avancés : avec une croissance annuelle moyenne de 10 % à 11 % pour la Chine, de 6 % à 7 % pour l’Inde, de 5 % à 6 % pour beaucoup d’autres, elles ont entrepris de réduire l’écart avec les pays euros-américains, grands bénéficiaires de la révolution industrielle intervenue il y a plus de deux siècles.

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Le Japon les avait précédées dans cette voie : la défaite de 1945 et le renoncement à la puissance militaire lui ont servi d’élixir. Il s’est hissé en une génération au rang de deuxième puissance économique de la planète.

Combien de temps faudra-t-il à la Chine, à l’Inde et aux autres pays émergents pour parachever leur rattrapage ?

Quand l’Inde intégrera-t-elle le peloton de tête ?

Avant la crise, les économies des grands pays européens – Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie – connaissaient toutes une croissance faible, de l’ordre de 2 % par an, mais régulière, et les analystes en concluaient qu’elles conserveraient longtemps encore leur place en tête du peloton.

Mais la crise a surgi et leur PIB (produit intérieur brut) a cessé de croître ; il s’est même mis à chuter : de 3 % à 6 % voire plus en 2009.

Les prévisions des analystes en sont faussées et l’on commence à penser que le monde émergera de la crise dans un ordonnancement bouleversé.

Au début de ce siècle, le PIB de la Chine a dépassé celui de la France et du Royaume-Uni ; l’an dernier, le pays de Hu Jintao a ravi à l’Allemagne la troisième place dans l’économie mondiale et il passera à la deuxième avant la fin de cette année, supplantant le Japon.

C’est vertigineux, mais, malgré la récession américaine, la production chinoise représentera, cette année encore, le tiers seulement de celle des États-Unis.

Quant à l’Inde, on pensait jusqu’ici qu’elle mettrait une bonne vingtaine d’années pour passer de la douzième économie mondiale à la quatrième. Mais, du fait de la crise et de son effet négatif sur les économies des pays avancés et sur l’économie de l’Allemagne en particulier – elle régressera de 6 % cette année tandis que celle de l’Inde progressera de 6 % –, on n’exclut plus que ce grand bond en avant indien se fasse en un laps de temps beaucoup plus court.

Lorsqu’il sera réalisé, les trois grandes puissances économiques mondiales derrière les États-Unis seront toutes les trois asiatiques : la Chine, le Japon et l’Inde.

Et, pour la première fois depuis trois siècles, aucun des pays d’Europe ne fera partie des « quatre grands » de l’économie mondiale.

Ce sera un vrai bouleversement !

Ou plutôt un retour spectaculaire à une situation qui était celle de l’Asie jusqu’à la révolution industrielle intervenue au XVIIIe siècle.

On l’a oublié, mais, il y a un peu plus de deux cents ans, la Chine produisait 30 % et l’Inde 15 % environ de la richesse mondiale : elles vont retrouver ce rôle qu’elles avaient perdu et un PIB plus important que celui de tous les autres pays, à l’exception des États-Unis.

La Chine, le Japon et l’Inde produiront à eux trois autant que les États-Unis.

Mais le revenu par habitant de la Chine et celui de l’Inde, dont la population cumulée est huit fois celle des États-Unis, continueront pendant des décennies à être inférieurs à celui de l’Américain, de l’Européen ou du Japonais.

Accéléré par la crise, ce nouvel ordonnancement du monde s’annonce pour la prochaine décennie, autant dire demain. L’actuel président du Brésil, Lula da Silva, que j’ai cité plus haut, ne fait que l’anticiper lorsqu’il réclame, en notre nom à tous, un nouvel ordre économique mondial :

« Nous voulons avoir beaucoup plus d’influence dans les affaires politiques du monde. Nous voulons en particulier que les institutions financières multilatérales telles que la Banque mondiale et le FMI cessent d’être entre les mains des seuls Américains et Européens. Nous voulons que les hommes et les femmes des autres continents aient une participation plus grande au Conseil de sécurité des Nations unies, que le Brésil y ait un siège permanent, que les Africains en aient un ou deux… »

Cette revendication deviendra vite un leitmotiv que nous entendrons à chaque grande réunion internationale, jusqu’à ce qu’on en arrive à la satisfaire. 

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