Après la grève, les films

Alors que les Antilles françaises sortent d’un long conflit social, trois films évoquent les rapports difficiles entre descendants d’esclaves et de colons.

Publié le 29 avril 2009 Lecture : 3 minutes.

Le long mouvement de protestation qui a animé les syndicats de travailleurs des Antilles françaises, en février-mars dernier, avec le soutien de la grande majorité de la population, n’a pas abouti uniquement à des avancées économiques et sociales. Alors que l’on ne reçoit que peu de nouvelles du cinéma caribéen, trois films traitant d’aspects trop méconnus de l’histoire de ces îles paraissent simultanément à Paris. De quoi supposer que les événements récents ont pour le moins hâté sinon provoqué la sortie de ces documents instructifs.

Nous reviendrons dans un prochain numéro sur le plus important des trois, Aliker, que l’on pourra voir sur les écrans début juin. Tourné sur le mode de la fiction-reconstitution par Guy Deslauriers, d’après un scénario de Patrick Chamoiseau, son thème évoque assurément une situation voisine de celle qui a conduit aux mouvements de protestation du début de l’année : la collusion entre les autorités et les puissants. Une collusion dénoncée dans les années 1930 par un journaliste noir, assassiné par la suite sur ordre du plus grand planteur de Martinique et dont le meurtre est resté impuni.

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Les 16 de Basse-Pointe ne résonne pas moins avec ce qui se passe aujourd’hui dans ces îles, que l’on présente trop souvent comme paradisiaques alors que la majorité de la population vit très difficilement, sinon dans la misère. Ce documentaire prend la forme d’une enquête très fouillée, menée, sous l’œil de la caméra, par Camille Mauduech. En 1948, l’administrateur blanc d’une plantation sucrière de Martinique est tué à coup de coutelas après être venu, accompagné de gendarmes, affronter « ses » ouvriers agricoles en grève pour défendre leur droit de se syndiquer. Ce documentaire raconte avec force témoignages comment ce meurtre conduira au procès retentissant de seize coupeurs de canne à Bordeaux. Pendant trois ans, en attente du procès, alors qu’ils encouraient la peine de mort, ils furent emprisonnés à 5 000 km de chez eux.

Retrouvant les derniers survivants de l’affaire, la réalisatrice ne réussit pas plus que les juges de l’époque à reconstituer précisément le scénario de cet assassinat resté en grande partie mystérieux. Faute de certitude sur les faits, l’ensemble des accusés a été acquitté. Néanmoins, Camille Mauduech parvient fort bien à restituer le contexte paracolonial dans lequel se déroulent à la fois le crime et le procès qu’il provoque.

Système quasi féodal

La comparution devant une cour d’assises des « 16 » devait permettre aux autorités de la Martinique de faire un exemple et de rétablir le pouvoir absolu des békés. Or il en fut tout autrement. Grâce à la défense des ouvriers orchestrée par le Parti communiste, elle se transforma en une mise en accusation de l’ordre colonial et racial et en un réquisitoire contre le système quasi féodal des plantations qui régissaient alors l’existence de tous.

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Cette enquête est malheureusement en partie gâchée par le choix de la réalisatrice de se filmer elle-même à outrance. Si un Michael Moore, bien qu’énervant parfois, réussit à séduire le spectateur de ses documentaires malgré son omniprésence et ses évidents partis pris, c’est grâce à son sens de l’humour et à un art du montage très efficaces. Mais Camille Mauduech ne possède pas ces atouts et ne traite pas un sujet qui imposait qu’elle surligne ses interrogations et ses commentaires en apparaissant en permanence devant la caméra.

Sylvaine Dampierre, Guadeloupéenne d’origine, installée depuis toujours en France, nous invite, quant à elle, à l’accompagner lors d’un long séjour sur la terre de ses ancêtres dans Le Pays à l’envers. La raison même de ce retour au pays de son père – une recherche sur l’histoire de sa famille créole – supposait son implication directe dans l’histoire qu’elle raconte. Pour autant, elle ne nous inflige pas une présence trop lourde, même si elle apparaît constamment.

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Ses découvertes généalogiques inattendues, remontant jusqu’à la période de l’esclavage, et les sentiments qui l’assaillent au fur et à mesure que des pans de son passé familial resurgissent, donnent force à ce long-métrage. Qui, en fin de compte, parle autant de sa famille que de toute la société antillaise. Une belle démarche de mémoire, soutenue par les paroles pleines de dignité de la part de tous les « témoins » apparaissant à l’écran.

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