Langues locales proscrites

Publié le 29 avril 2009 Lecture : 3 minutes.

« Vous m’avez appris à parler, et le profit que j’en retire est de savoir comment maudire. La peste rouge vous tue pour m’avoir enseigné votre langage ! » Pour Denise Coussy (Littératures de l’Afrique anglophone, Edisud, 2007), nombre d’écrivains africains souffrent du « complexe de Caliban », du nom de l’auteur de ces paroles dans La Tempête, du dramaturge anglais William Shakespeare. C’est-à-dire : être contraint d’utiliser une langue qui n’est pas la sienne, même lorsqu’il s’agit de défendre son identité, sa culture, ses racines…

À la fin des années 1980, l’écrivain kényan Ngugi wa Thiong’o lança une virulente attaque contre cette forme de colonisation de l’esprit (Decolonising the Mind : the Politics of Language in African Literature, Heinemann, 1986) et joignit aussitôt le geste à la parole. Lui qui s’était jusque-là exprimé en anglais réadopta sa langue maternelle, le kikuyu. Son objectif : s’adresser directement aux siens et combattre l’impérialisme en s’attaquant à l’un de ses plus efficaces instruments de domination. Il poursuit aujourd’hui cette lutte et a lui-même traduit en anglais son dernier livre, Murogi wa Kagogo (« Le Sorcier du corbeau »).

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Pourtant, évoquant ce combat, Denise Coussy parle d’un « désastre éditorial » pour un auteur qui avait atteint une notoriété internationale avec un roman comme Pétales de sang. « Il faudrait qu’il soit fou, le romancier qui voudrait se mettre à publier en breton, affirme-t-elle. Quand on écrit, c’est pour être lu. Pourquoi Chinua Achebe irait-il écrire en ibo ? »

Certains ont tenté l’aventure avec succès, comme le Sénégalais Boubacar Boris Diop avec Doomi Golo (« Le Fils du singe ») entièrement écrit en wolof. Mais le rejet radical de la langue du colonisateur n’a, dans l’ensemble, guère été suivi sur le continent. Les écrivains continuent pour la plupart d’utiliser la langue écrite qui leur a été enseignée à l’école – le français, l’anglais, le portugais – en l’africanisant par inclusion de mots, de rythmes, de tournures qui leur sont propres. L’idée d’écrire en peul, en xhosa, en wolof ou en acholi se heurte dans la réalité à bien des obstacles. Seul le swahili parvient à tirer son épingle du jeu.

« Pour que cette démarche ait une chance de succès en Afrique francophone, il faut un élément essentiel : l’alphabétisation massive et continue des populations dans les langues nationales, explique l’écrivain béninois Florent Couao-Zotti. Autrement, l’impasse est inévitable. Car le colonisateur français a réussi une chose incroyable : déclarer les langues africaines inopérantes pour traduire la pensée. » Reste que, plus de quarante ans après les indépendances, et en dépit de quelques tentatives vite abandonnées, les langues africaines ne sont presque pas enseignées à l’école.

Dans la sphère francophone, la plupart des livres scolaires sont en français… En outre, la diversité linguistique qui règne dans la plupart des pays africains a renforcé la prépondérance, en particulier à l’écrit, des langues véhiculaires. « Il n’y a qu’un très petit nombre de gens qui savent lire dans les langues nationales, affirme Lilyan ­Kesteloot (Histoire de la littérature négro-africaine, Karthala, 2004). Et quand il s’agit de faire publier dans les langues nationales, il n’y a personne. Ce sont de trop petits marchés. Un livre en français a plus de chances d’être diffusé. »

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Denise Coussy parle, elle, « de toutes petites maisons d’édition dirigées par de véritables saints qui s’accrochent à quelques publications ». Au final, si les écrivains africains conservent la langue du colon, c’est peut-être parce qu’ils ont fait leur la maxime du Nigérian Wole Soyinka : « Le tigre n’a pas besoin de proclamer sa tigritude : il bondit sur sa proie et la mange. »

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