L’Afrique déplumée

Les écrivains vivent de plus en plus hors du continent et publient chez des éditeurs occidentaux. Résultat : leurs livres sont peu lus en Afrique. Un phénomène qui prend de l’ampleur également chez les chercheurs en sciences sociales. Malgré quelques résistances.

Publié le 29 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

Le phénomène n’est pas nouveau, mais il prend de l’ampleur. Les réfugiés politiques des années 1960-1980 cèdent la place aux « exilés » économiques. Aujourd’hui, la situation est telle que les œuvres de ces écrivains migrants représentent la majeure partie (les trois quarts, selon Odile Cazenave, auteure d’Afrique sur Seine : une nouvelle génération de romanciers africains à Paris) de la production littéraire africaine actuelle. Elles en constituent surtout la partie la plus visible, car elles sont publiées par les éditeurs du Nord, dont les moyens de diffusion n’ont rien de comparable à ceux des structures artisanales qui peuvent exister sur le continent. « L’édition en Afrique ? s’interroge Denise Coussy, auteure de Littératures de l’Afrique anglophone. Personne ne veut se lancer dedans, car c’est une entreprise suicidaire. »

Toutefois, tempère le romancier béninois Florent Couao-Zotti, « Aminata Sow Fall, Ken Bugul, Boubacar Boris Diop, avaient déjà une notoriété dans leur pays du fait de leurs publications aux Nouvelles éditions africaines du Sénégal (NEAS), avant de se faire éditer en Europe. » Lamine Sall, Tahar Bekri, Tanella Boni, Amadou Koné, Abasse Ndione également. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pour des auteurs à succès comme Alain Mabanckou. « On a l’impression parfois, poursuit Florent Couao-Zotti, que la littérature africaine en langues européennes n’existe véritablement que lorsque les œuvres sont publiées dans les maisons d’édition du Nord. »

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Il est vrai que, même lorsque ces écrivains font le choix de rester en Afrique, comme Florent Couao-Zotti ou Véronique Tadjo, leurs romans sont publiés en Europe, où paradoxalement ils acquièrent une visibilité plus importante et un lectorat plus large. Mais leurs livres sont vendus à des tarifs excessivement élevés (une vingtaine d’euros en moyenne). Résultat : cette littérature est peu accessible et peu lue dans les pays d’origine de ses auteurs.

C’est là le vrai problème. Pour tenter d’y remédier, l’Alliance des éditeurs indépendants – une association française à but non lucratif – aide les professionnels du continent. Après avoir négocié avec les éditeurs du Nord qui cèdent leurs droits à un tarif préférentiel (1 500 euros), les maisons du continent mutualisent leurs moyens pour assurer elles-mêmes l’impression et la diffusion des ouvrages (voir J.A. n° 2483-2484). L’Ombre d’Imana, de Véronique Tadjo, a ainsi été tiré à plus de 5 000 exemplaires, en 2006, en Tunisie, en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Cameroun, au Gabon, au Burkina, au Sénégal et au Rwanda, où il était vendu 2,30 euros, contre 15,10 euros chez Actes Sud. En quelques mois à peine, le titre était épuisé au Bénin et en Côte d’Ivoire, où il a fait l’objet d’une réimpression.

« Les écrivains installés hors du continent, constate Lilyan Kesteloot, directrice de recherche à l’Institut fondamental de l’Afrique noire à Dakar, ont plus de liberté dans l’expression et ont souvent une vue hypercritique de l’Afrique. » « Depuis l’éclatement des événements de Côte d’Ivoire, raconte Tanella Boni, je devais choisir mon camp. Affirmer mon ivoirité, alors que mon imaginaire d’écrivain ne se réduit nullement à mon pays. » En 2004, elle abandonne son poste de professeur à l’université de Cocody d’Abidjan pour trouver à Paris une atmosphère plus propice à ses ambitions.

En fait, ce mouvement a toujours existé. Dans « La littérature africaine, fille de l’exil », Boniface Mongo-Mboussa rappelle que « c’est à Paris que le Guyanais Léon-Gontran Damas, le Martiniquais Aimé Césaire et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor jettent les bases de la négritude. De même, c’est en France que les deux écrivains bantous les plus prolixes, Tchicaya U Tam’si et Mongo Beti, produisent leurs textes. Enfin, c’est en exil que Camara Laye, Alioum Fantouré, Williams Sassine, Tierno Monénembo écrivent les plus belles pages de la littérature guinéenne d’expression française. »

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La plupart de ces auteurs de la première heure des lettres africaines ont vécu l’exil comme un manque profond qui leur permettait de ressusciter, par la magie du verbe et de l’imagination, leurs souvenirs. « Toi, tu habites le Congo, moi le Congo m’habite », aurait répondu le grand Tchicaya à un Congolais qui le titillait sur son parisianisme.

« Aujourd’hui, les écrivains ne sont plus seulement africains comme pouvaient l’être leurs prédécesseurs, explique Bernard Mouralis, professeur émérite de littératures du Sud. Ils sont habités par la conscience du monde globalisé. C’est ce cosmopolitisme qu’ils viennent chercher en Europe ou aux États-Unis. » Un autre spécialiste des littératures africaines, Jacques Chevrier, parle de « migritude ». « Ce néologisme, explique-t-il, renvoie à la fois à la thématique de l’immigration, qui se trouve au cœur des récits africains contemporains », mais aussi à leur statut d’expatriés.

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Pour cette nouvelle génération, il n’est plus question du retour au pays natal. « J’ai écrit tous mes livres en exil », confesse le Tchadien Nimrod, qui a quitté son pays lors de l’accession au pouvoir de Hissein Habré. Un déracinement qui inspire : « L’arrivée de l’Africain en France fait fureur chez les jeunes écrivains », explique Abdourahman Waberi. On assiste, proclame l’auteur de Cahier nomade, à l’entrée en scène du « roman de l’émigration africaine ».

Ce courant connaît depuis plusieurs décennies un formidable essor dans la métropole britannique, surtout depuis l’arrivée dans les années 1960 d’immigrés nigérians qui fuyaient la guerre du Biafra. Issus de ce processus historique, ils ont, à l’instar de Ben Okri, renouvelé la littérature de la diaspora outre-Manche, en mettant l’accent sur les mutations des communautés immigrées plutôt qu’en s’attardant sur le destin du continent noir, qu’ils ont définitivement laissé derrière eux.

L’Afrique est reléguée à l’arrière-plan, voire réinventée. « Pour beaucoup d’écrivains exilés, avance Denise Coussy, l’Afrique reste la terre de leur imagination, dont ils ont une vision déconstruite. Avec la deuxième génération de romancières nigérianes, par exemple, ce sont de vraies anglo-saxonnes qui ont une vision fantasmée du pays natal. »

Ces nouveaux écrivains se veulent d’abord écrivains et « accessoirement nègres ». Mabanckou, Calixthe Beyala, Sami Tchak, Léonora Miano… racontent leur pays d’adoption et investissent les territoires de la diversité : les quartiers africains et les banlieues des grandes villes françaises. Ils transcendent le pays d’origine pour créer une littérature afro-parisienne et véritablement métissée.

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