Belle, rebelle… et miraculée

Troisième plus grande agglomération du continent par sa population, Kinshasa ne résume pas, à elle seule, la RD Congo. Pourtant, elle en est, aux yeux du monde, le visage et le concentré. Pleine de vie et de créativité.

Publié le 28 avril 2009 Lecture : 4 minutes.

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Kinshasa au-delà des clichés

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On lui a donné divers surnoms, tantôt pour l’encenser – Kin la Belle, Kin Kiese (Kin des plaisirs) –, tantôt pour la décrier – Kin la Poubelle, Mboka Epola (ville pourrie), Mboka ya Etumba (ville dure). Aujourd’hui, on l’appelle volontiers Kin la Miraculée. Force est de reconnaître que l’énergie dont la cité fait preuve pour tenir debout tient du miracle. Rarement une ville n’a subi autant d’épreuves que la capitale de la République démocratique du Congo, où le laisser-aller, qui a perduré pendant des années, a aggravé les problèmes inhérents à une mégalopole de plus de 9 millions d’habitants.

Plus que l’eau, dont la distribution est inégale selon les quartiers, c’est le manque d’électricité qui rend le quotidien difficile. Quand ce n’est pas l’offre qui est en cause, c’est l’état du réseau. Pour pallier les pénuries, on s’entraide. Quand on n’a pas d’électricité, on se branche chez le voisin ; pour éviter les surcharges, on organise des délestages. Et, en cas de panne, on s’éclaire à la bougie. Mais alors, plus de bière fraîche ni de télé.

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La croissance anarchique de la capitale est un autre problème. Depuis l’indépendance, l’extension de Kinshasa, qui compte vingt-quatre communes, dont certaines sont tout ou partie rurales, comme Nsele et Maluku, s’est faite sans plan directeur. Sous la pression démographique, le tissu urbain ancien s’est densifié, avec toutefois l’avantage d’avoir été planifié.

Mélange d’urbanisation galopante et de ruralité

Ailleurs, l’habitat anarchique est pratique courante. Elle a commencé en 1959, donnant naissance aux populeuses communes de Ngaba, Masina, Kimbanseke, Makala, Bumbu et Selembao. Les nouvelles zones d’extension – sud de Ngaliema, de Mont-Ngafula et Nsele – n’y échappent pas. On construit sans normes ni équipement, et plutôt des maisons que des habitations à étages. À part quelques immeubles érigés à l’époque coloniale pour les « indigènes » et les tours de la Gombe. Malgré la frénésie actuelle de construction, le patrimoine ancien n’a pas subi de lifting. Les bas revenus, qui obligent plusieurs générations à cohabiter dans une même parcelle, permettent tout juste de donner un coup de peinture. Les occupations anarchiques, le manque d’électricité et d’assainissement, ont fini par poser de sérieux problèmes environnementaux. « On ne sait plus où mettre les ordures ménagères. La ville est sale, s’indigne un Kinois. Beaucoup d’arbres ont été coupés pour les besoins de construction et la fabrication de charbon de bois. Si bien qu’à Ngaliema, Mont-Ngafula, Kisenso et Lemba des maisons s’effondrent à cause de l’érosion. »

La vétusté des moyens de transport – taxis collectifs et fula-fula (minibus) –, l’augmentation du parc automobile et le mauvais état de la voirie rendent les déplacements difficiles dans une ville de près de 10 000 km2, qui s’étend sur 30 km d’est en ouest et 15 km du nord au sud. Des routes ont été réhabilitées, mais le démarrage des fameux cinq chantiers du chef de l’État (les « Tshen, tshen, tshen », comme les appellent les Kinois, faisant allusion aux compagnies et ouvriers chinois qui les construisent), censés améliorer l’état du réseau, traîne. La seule réalisation concrète concerne le boulevard du 30-Juin, dont on a enlevé le terre-plein central et coupé les arbres centenaires qui le bordaient, pour élargir la chaussée… « A-t-on vraiment besoin d’une autoroute en centre-ville ? » s’interrogent nombre de Kinois. Ailleurs, les trous rendent la circulation chaotique et se transforment en mares à la saison des pluies. 

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Une ville sûre et ouverte

Pas question pour autant de tout voir en négatif. Parce qu’ils touchent indifféremment riches et pauvres, les problèmes ont fini par interpeller tout le monde. La crise et la faillite des pouvoirs publics ont fait prendre conscience aux Kinois qu’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. Du coup, ils sont plus ouverts et plus débrouillards. Les moins nantis ont appris à épargner. Les établissements de microcrédit leur octroient des prêts – qu’ils remboursent rubis sur l’ongle – pour monter une activité.

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Même ceux de la diaspora ont changé. Ils ne cherchent plus à frimer avec la sape, mais investissent dans les commerces, les hôtels et les salles des fêtes. Le changement touche aussi les loisirs. On mange couramment des chawarma et, dans les boîtes de nuit, on diffuse davantage de musique étrangère. Dans ces mutations, les médias ont joué un grand rôle. « Sur les cinquante chaînes de télévision que compte Kin, certaines proposent des débats intéressants, confie Patrick, un cadre de 32 ans. Et, mieux informés de leurs droits, les Kinois s’expriment davantage, même si beaucoup continuent à fréquenter les Églises évangéliques pour avoir des repères. » Flore, fonctionnaire d’une cinquantaine d’années, salue le réalisme des nouvelles générations. « Alors que les Kinois issus des villages mettent les phénomènes d’érosion et d’inondation sur le compte des mami wata [sirènes], des bilima [esprits], des sorciers ou de Dieu, les jeunes nés en ville les attribuent à l’incompétence des pouvoirs publics et cherchent des solutions. Là est la différence. »

Malgré tous les problèmes, les shege (enfants de la rue) et les kuluna (bandits), Kin reste une ville sûre, où un cambiste peut étaler ses dollars en pleine rue sans crainte d’être volé. La dureté de la vie n’a pas entamé la gentillesse des habitants, ni leur énergie. « Kinshasa crée de la vie là où il ne devrait plus y en avoir », résume un vieux Kinois. Après chaque crise, en effet, tel un phénix, Kinshasa la Miraculée renaît de ses cendres.

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