Economie : le pari de la reprise

Publié le 28 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

Barack Obama fait un pari osé : il table sur une reprise de la machine économique américaine au cours de l’automne prochain. Si les faits lui donnent raison, il apparaîtra comme le sauveur de l’Amérique et même de la planète, puisque causes et remèdes de la récession mondiale se trouvent aux États-Unis. En revanche, si le système bancaire new-yorkais s’effondre, si l’industrie automobile, à Detroit, est rayée de la carte et si le taux de chômage dépasse les 10 %, on voit mal comment l’icône Obama pourrait ne pas faire les frais de l’immense déception qui s’ensuivrait.

On voit bien les contradictions qui imposent au nouveau président de louvoyer. À court terme, il lui faut sauver l’économie américaine du naufrage. Pour cela, il a entrepris d’injecter des sommes phénoménales pour soutenir une conjoncture qui menace de tourner à la Grande Dépression.

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La bouée de sauvetage de 700 milliards de dollars lancée par l’équipe Bush arrivant à épuisement, Obama, pour restaurer la confiance, a mis au point un plan de relance de 787 milliards, le plus important de l’histoire des États-Unis. Un tiers de cette manne prendra la forme de réduction d’impôts pour 95 % des contribuables. Les deux tiers restants financeront divers chantiers de rénovation des infrastructures : des écoles au futur train à grande vitesse californien.

Le 17 février, ce plan a été adopté par le Congrès, en dépit de l’opposition des républicains, qui, refusant de s’associer au sauvetage de l’économie, s’obstinent à dénoncer la « gabegie ». Le 23 mars, Tim Geithner, le secrétaire au Trésor, a enfin détaillé le dispositif imaginé pour sauver les banques de la faillite. Comme l’on sait, celles-ci ont commis d’innombrables fautes (la dernière étant le versement par l’assureur AIG de 450 millions de dollars de primes à ses cadres, en dépit de ses déficits monstrueux). Pourtant, comme son prédécesseur, Henry Paulson, Geithner n’a d’autre choix que de voler à leur secours : l’économie ne se redressera que si le système bancaire recommence à distribuer des prêts aux particuliers et aux entreprises. Jusqu’à 1 000 milliards de dollars seront débloqués pour racheter les actifs « pourris » des établissements financiers.

Par ailleurs, l’administration s’efforce de circonscrire les autres incendies allumés par la crise. Un plan de 75 milliards de dollars a été lancé pour éviter la saisie des maisons des 9 millions d’Américains qui peinent à rembourser leurs emprunts immobiliers.

De même, une trentaine de milliards ont été consacrés au repêchage des deux géants de l’automobile, General Motors (GM) et Chrysler. La Maison Blanche a pratiqué un traitement de choc : le patron de GM a été contraint de démissionner et Chrysler prié de fusionner avec l’italien Fiat. L’un et l’autre sont sommés de présenter un plan de redressement crédible avant le mois de juin, faute de quoi leur faillite sera obligatoire.

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Voilà pour le très court terme. Mais le budget fédéral 2009-2010 – en déficit de 1 750 milliards de dollars – porte aussi la marque de cet effort. Il privilégie les deux grandes priorités du candidat Obama, l’éducation et la santé, deux secteurs malades de longue date qui ont largement contribué à aggraver les inégalités sociales.

Cinq pistes

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À plus long terme, le président ne dévie pas de son projet de « refonder » l’économie américaine. Comme il l’a déclaré dans un discours prononcé le 14 avril à l’université Georgetown, à Washington, « une économie dont 40 % des bénéfices proviennent du secteur financier, quand le revenu des familles régresse, n’est pas viable ». Pour remettre d’aplomb les valeurs et les institutions du pays, Obama entend suivre cinq pistes :

• une nouvelle réglementation sera mise en place d’ici à la fin de l’année pour préserver les marchés d’un nouvel accès de folie spéculative ;

• l’éducation, secteur dans lequel les États-Unis ont pris un « énorme ­retard » ;

• les énergies nouvelles, afin de restaurer l’autonomie énergétique du pays et commencer à lutter contre le réchauffement climatique ;

• la santé, dont sont exclus quelque 50 millions d’Américains ;

• la réduction de la dette, formidable fardeau déposé sur les épaules des générations futures, ce qui suppose la restauration de l’épargne.

On voit bien la contradiction. D’un côté, le président est contraint de dépenser beaucoup d’argent pour contrer les effets de la crise ; de l’autre, il doit empêcher que ces énormes dépenses n’alimentent une « bulle » spéculative aboutissant à une nouvelle catastrophe planétaire. Car si l’on projette les efforts budgétaires en cours dans la prochaine décennie, on aboutit à un déficit de 9 300 milliards de dollars, insoutenable quelle que soit la conjoncture. S’il est impératif de doper l’économie, il est non moins urgent de commencer à freiner les dépenses. Une entreprise délicate dont le succès dépend du tempo.

Ce talon d’Achille d’Obama n’a pas échappé aux républicains, qui s’efforcent de faire vibrer la corde antiétatique de leurs concitoyens. Pour eux, les divers projets de relance marquent l’avènement d’un « socialisme » honni.

Mais ces intégristes du libéralisme n’ont pas le vent en poupe. Les Américains leur imputent la responsabilité des excès de la finance, des licenciements et de l’envol du taux de chômage (8,1 % de la population active). Selon les sondages, 62 % des Américains croient leur président capable de redresser l’économie. Moins de 24 % sont favorables aux thèses républicaines. Confirmation : le 15 avril, en dépit du soutien de Fox News, la chaîne ultraconservatrice, seuls un millier de manifestants ont protesté devant la Maison Blanche contre la « socialisation » de l’économie et la hausse des impôts.

Paradoxalement, c’est de leur propre camp que sont venues les critiques les plus vives contre Obama et son secrétaire au Trésor. Deux Prix Nobel (Joseph Stiglitz et Paul Krugman), un universitaire (Jeffrey Sachs) et un ancien ministre du Travail de Bill Clinton (Robert Reich) sont notamment montés au créneau pour dénoncer les cadeaux faits aux banques et à Wall Street, la privatisation des bénéfices et l’étatisation des pertes.

Ce courant préconise la nationalisation temporaire des banques, ce dont Obama ne veut pas entendre parler. Parce qu’il est conscient que son programme social-démocrate passe bien au sein d’une opinion terrifiée par les dégâts économiques et sociaux de la crise. Et parce qu’il sait que, dans l’imaginaire américain, le mot « nationalisation » est un véritable « chiffon rouge ».

Plus que le Roosevelt du XXIe siècle, il veut devenir pour la gauche américaine l’équivalent de Reagan pour la droite des années 1980. C’est-à-dire le fondateur d’une économie, en l’occurrence plus solidaire et moins brutale.

Pour entraîner ses concitoyens dans son sillage, il ne lui est pas permis de prendre le contre-pied des excès de son prédécesseur. Donc, pas de nationalisations – sauf en cas de nécessité absolue – et rappel du credo américain, corrigé par un souci d’équité : « Il n’y a aucun mal à gagner de l’argent, déclare-t-il. Mais quand très peu de personnes en profitent, c’est que quelque chose ne tourne pas rond. » Ce pari stratégique n’est pas non plus gagné d’avance.

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