Amérique latine : la réconciliation passe par Cuba
Même Hugo Chávez ne s’y est pas trompé. Le tonitruant président vénézuélien, qui, quelques heures avant le sommet des Amériques (Trinité-et-Tobago, 17-18 avril), s’obstinait à vitupérer les États-Unis, s’est empressé, au cours de la même réunion, de se faire photographier en compagnie du nouveau président des « gringos », Barack Obama. Affirmant même qu’il voulait être « son ami » ! Comme s’il avait tout à coup perçu que le moment était historique.
De fait, c’est le cas. Pour la première fois depuis la conquête de leur indépendance, les États latino-américains se sont vu traiter en partenaires et non plus en vassaux par l’empire du Nord. « C’est le début d’une nouvelle ère dans la relation entre l’Amérique du Sud et les États-Unis », a souligné l’Équatorien Rafael Correa. « Un dialogue différent, plus horizontal, a été ouvert », a renchéri l’Argentine Cristina Kirchner.
Obama a incontestablement séduit. Mais le refus de signer la déclaration finale, en raison du maintien du blocus contre Cuba, par les six pays membres de l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (Alba) – le bloc créé en 2004 à l’initiative du Venezuela et de Cuba, auxquels se sont joints le Nicaragua, la Dominique, la Bolivie et le Honduras – montre que le chemin de la réconciliation est encore long.
Obama n’a pourtant pas ménagé ses efforts. Trois jours avant le sommet, il a allégé le blocus économique auquel est soumis Cuba depuis la crise des fusées, en 1962. Désormais 1,5 million d’Américains d’origine cubaine pourront se rendre sur l’île une fois par an et non plus une fois tous les trois ans. De 130 000, le nombre des touristes américains devrait passer à 400 000. Surtout, ces émigrés sont maintenant autorisés à envoyer à leur famille restée au pays autant d’argent qu’ils le souhaitent. Au total, entre les séjours des exilés et les transferts de devises, c’est une manne de 1,5 milliard de dollars qui devrait prendre la direction de Cuba (contre 1 milliard aujourd’hui).
Les Américains d’origine cubaine pourront encore faire parvenir des téléphones portables à leurs parents restés sur l’île et acquitter directement le prix des communications. Enfin, les compagnies américaines sont autorisées à investir dans la téléphonie à Cuba. Un premier pas salué par le président Raúl Castro, qui s’est aussitôt déclaré prêt à « tout examiner : les droits de l’homme, la liberté de la presse comme les prisonniers politiques ».
AVEU D’IMPUISSANCE
Cette réaction est paradoxalement un aveu d’impuissance. Le régime est à bout de souffle. Maintenant que Fidel a passé la main, Raúl ne peut indéfiniment maintenir le couvercle sur le chaudron cubain. Depuis que le grand frère soviétique n’est plus là pour assurer les fins de mois, le pays manque de tout. À bien des égards, la situation évoque celle de l’URSS des années Brejnev : une société bloquée, gangrenée par la corruption et le marché noir, avec une économie à la dérive.
Sous cet angle, l’initiative d’Obama vient à point nommé redonner à la nomenklatura locale une perspective sinon de salut, du moins de transition honorable. En lâchant un peu de lest, la bureaucratie cubaine espère bien préserver l’essentiel de ses privilèges.
Obama est parfaitement conscient de son avantage. Décidé à arracher le maximum de concessions, il a choisi la méthode du donnant-donnant. Si Cuba émet des signaux positifs, a-t-il expliqué, « je pense que nous pourrons voir un réchauffement des relations et d’autres changements ».
Car le temps joue pour Washington. Certes, il est trop tôt pour affirmer que le castrisme est soluble dans le développement des échanges familiaux, mais, à coup sûr, le régime sera obligé de desserrer son étreinte, faute de parvenir à tout contrôler.
Obama n’a cependant pas toutes les cartes en main. Il va lui falloir composer avec Hugo Chávez. En refusant de signer le document final du sommet des Amériques, ce dernier a clairement signifié qu’il faudrait compter avec lui. Le caudillo vénézuélien redoute en effet la constitution d’un axe entre Obama et le Brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, son grand rival latino-américain. Déjà singulièrement affaiblie par l’élection d’Obama, la posture anti-impérialiste de Chávez risquerait, dans cette hypothèse, d’apparaître totalement dépassée. Sans parler de l’effondrement du prix du baril de pétrole qui, sur le plan intérieur, l’oblige à en rabattre.
Le président vénézuélien aura donc à cœur de faire monter les enchères tout au long des négociations avec Cuba. Tout en sachant qu’il ne peut aller au clash. Quand Raúl Castro lui-même se dit prêt à dialoguer avec les États-Unis, il devient périlleux de passer pour un jusqu’au-boutiste. Les amateurs de poker menteur ne devraient pas être déçus dans les mois qui viennent…
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