Les 100 jours d’Obama : le discours et la méthode

Cela fait tout juste cent jours que Barack Obama a pris les rênes de l’hyperpuissance américaine. Une hyperpuissance que la crise économique planétaire, dont elle est au premier chef responsable, diverses aventures militaires à l’issue très incertaine (Irak, Afghanistan, Pakistan) mais aussi la montée en régime d’un rival chinois de plus en plus sûr de lui et dominateur rend soudain bien fragile. Quel premier bilan peut-on tirer de son action ? Quelle stratégie met-il en place pour relancer une économie au bord du naufrage ? Comment fait-il face aux ennemis traditionnels de l’Amérique ? Est-il parvenu à restaurer l’image, dévastée par les calamiteuses années Bush, de son pays à l’étranger ? Esquisses de réponse.

Publié le 28 avril 2009 Lecture : 7 minutes.

Au commencement était le verbe. L’administration Obama le sait bien, pour qui le changement en matière de politique étrangère passe avant tout par les mots. Rien de tel pour marquer la rupture avec l’ère Bush que de rompre avec la rhétorique guerrière. Considérant qu’un euphémisme bien ajusté vaut mieux qu’une provocation martiale, Barack Obama comme sa secrétaire d’État Hillary Clinton ne parlent plus de « guerre contre le terrorisme », mais « d’opérations contingentes à l’étranger ». Plus d’« attaques terroristes », mais de « catastrophes provoquées par l’homme ». Oubliés « l’islamofascisme », la « croisade » et l’« axe du Mal ». Vive le « dialogue entre égaux » et le « respect ».

Au risque d’être taxé d’idéalisme, Barack Obama est jusqu’à présent resté peu ou prou fidèle à ses promesses de campagne. Même aux plus anciens ennemis de l’Amérique – l’Iran, Cuba –, il oppose une volonté de dialogue qu’une seule phrase résume : « Si des pays comme l’Iran sont prêts à ouvrir le poing, ils trouveront une main tendue de notre part. » Un message qui s’adresse d’abord au monde arabo-musulman.

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Fin janvier, lors d’une interview à la chaîne de télévision Al-Arabiya, Obama l’a assuré : les Américains ne sont pas les ennemis des musulmans. Mieux, « les États-Unis ne sont pas, et ne seront jamais, en guerre avec l’Islam ». Plus question de confondre les djihadistes d’Al-Qaïda avec l’Islam dans son ensemble.

Ce n’est pas un hasard si le changement d’attitude de l’administration américaine concerne d’abord l’Iran, puissance régionale et acteur de premier plan du conflit israélo-palestinien puisqu’il soutient aussi bien le Hamas pales­tinien que le Hezbollah libanais. Naguère, George W. Bush se contentait ­d’évoquer le « régime iranien ». Le 19 mars, lors du nouvel an iranien, Obama s’est adressé « au peuple et aux dirigeants de la République islamique d’Iran », à qui il a proposé « un dialogue fondé sur le respect mutuel ». Il a conclu son appel par une formule rituelle en persan : « Eid-e shoma mobarak » (« joyeuses fêtes »). Pourtant, même si l’Iran n’est plus un « État voyou », Obama n’en a pas moins prolongé d’un an les sanctions contre lui et assuré qu’il ferait son possible pour l’empêcher d’acquérir l’arme nucléaire. Bref, le « grand marchandage » est engagé.

Chez le voisin afghan, aussi, le changement d’attitude est net. À en croire David Petraeus, le commandant en chef dans la région : « Nous devons être perçus comme des invités bien élevés, des amis qui viennent aider et pas comme des conquérants. » Interdiction d’employer l’expression « nation building » puisque « l’Afghanistan est une nation depuis de longues années ». Sans parler de « surge » (« sursaut »), Obama a tout de même décidé de renforcer le contingent américain en envoyant 17 000 soldats et 4 000 instructeurs militaires supplémentaires. Mais il ne s’agirait plus que de former une armée et une police afghanes capables d’assurer la stabilité du pays et de servir de débouchés aux jeunes sans emploi, qui, sans cela, iraient grossir les rangs des insurgés. En outre, l’administration souhaite renforcer les programmes civils – notamment dans l’optique d’aider les paysans afghans à se passer de la culture du pavot, qui sert à financer les talibans. 

MAUVAISES SOLUTIONS

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Ces intentions sont louables. Seront-elles suivies d’effets ? Au fond, Obama fait aujourd’hui ce que Bush aurait dû faire il y a sept ans. Trop tard, peut-être. Sur le terrain, la situation ne cesse de se dégrader. Corrompu, le gouvernement de Hamid Karzaï ne contrôle presque rien et n’est plus en odeur de sainteté à Washington. Indépendante, la population rejette de plus en plus la présence des Occidentaux. L’épicentre du conflit s’est de toute façon déplacé au Pakistan…

Et là, la situation est, si possible, encore pire. Obsédé par le conflit avec l’Inde, le président Asif Ali Zardari a massé sur la frontière sud du pays l’essentiel des troupes qui combattaient les talibans pakistanais et les djihadistes d’Al-Qaïda dans les zones tribales, abandonnant à ces derniers des régions entières. Une partie de la hiérarchie de l’armée et des services de renseignements continue de financer et de conseiller les djihadistes. Dans ces conditions, continuer de frapper les zones tribales pakistanaises dans l’espoir d’éliminer les responsables d’Al-Qaïda, mais sans déployer de troupes au sol – Islamabad s’y oppose –, n’est guère efficace. La promesse de porter l’aide financière à 1,5 milliard de dollars sur cinq ans pourrait néanmoins peser sur les décisions pakistanaises. Obama n’y est pour rien, mais il n’a guère le choix qu’entre de mauvaises solutions. Retirer les troupes serait une erreur. Les maintenir en est une autre. Restent les symboles…

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L’existence du camp de Guantánamo et les méthodes d’interrogatoire infligées aux islamistes présumés ont, huit ans durant, scandalisé le monde. Dès son entrée en fonctions, Obama a signé un ordre de fermeture dans un délai d’un an. Une décision unanimement saluée.

Mieux : même si le centre de détention de Bagram (Afghanistan) reste ouvert, Obama a montré qu’il entendait tourner la page des années Bush en jouant la transparence sur les méthodes de torture de la CIA. Et en n’excluant pas de juger les responsables.

En Irak, l’attitude est cependant plus ambiguë. « Retrait », voilà le terme que l’opinion doit retenir. « Notre mission en Irak sera terminée au 31 août 2010 », ne cesse de répéter Obama. Sauf qu’une « force résiduelle » de 50 000 soldats restera sur place jusqu’en 2011. Sa « nouvelle mission » sera de former l’armée et la police irakiennes, d’assurer la sécurité de l’ambassade américaine et de donner la chasse aux terroristes. Là, au moins, les Américains peuvent encore espérer se sortir à peu près honorablement du bourbier.

Vis-à-vis d’Israël, en revanche, le ton s’est durci. Le 6 avril, lors de son discours prononcé devant le Parlement turc, Obama a fait connaître son point de vue : « Les États-Unis soutiennent la solution de deux États, Israël et la Palestine, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité. […] C’est l’objectif que je compte poursuivre comme président. Celui que les parties concernées sont convenues d’atteindre dans la “feuille de route” et à Annapolis. » Avigdor Lieberman, l’allié d’extrême droite de Benyamin Netanyahou, avait peu de temps auparavant affirmé que son pays n’était pas lié par le processus d’Annapolis…

Pour l’instant, il ne s’agit que de mots. La table des négociations n’est pas encore dressée et l’on ne sait si Obama a l’intention d’exercer des pressions sérieuses sur Israël. La nomination en tant qu’émissaire spécial pour le ­Proche-Orient de George Mitchell, l’architecte des accords de paix en Irlande du Nord (1998), est peut-être un signe encourageant. 

BÂTISSEUR DE PAIX

Respect, coopération, amitié, écoute… Fidèle à l’image d’homme de dialogue qui a séduit le monde pendant sa campagne électorale, Obama se pose en bâtisseur de paix. À Prague, le 5 avril, il déclare : « Voici la raison pour laquelle je vous parle en ce moment, au centre d’une Europe pacifique, unie et libre : parce que des gens ordinaires ont cru que les fossés pouvaient être comblés, que les murs pouvaient s’écrouler et que la paix pouvait l’emporter. »

Ce même jour, alors que la Corée du Nord vient de tirer un missile balistique dans l’océan Pacifique, il lance un appel appuyé à la communauté internationale : « L’existence de milliers d’armes nucléaires est le legs le plus dangereux que nous a laissé la guerre froide. […] Le temps est venu de bannir définitivement les essais d’armes nucléaires. »

Utopique ? Sans doute, puisque le président a lui-même reconnu que ses objectifs ne seraient peut-être pas atteints « de son vivant ». Mais enfin, le traité Start sur les armes stratégiques sera bientôt renégocié avec la Russie, et Obama se propose de faire ratifier par le Congrès le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, de négocier un nouvel accord sur l’interdiction de la production des matières fissiles, de renforcer le traité de non-prolifération pour éviter que de nouveaux pays acquièrent l’arme nucléaire et de créer une banque internationale d’approvisionnement en combustible pour le nucléaire civil.

Ambitieux programme, tout comme l’est celui relatif à la lutte contre le réchauffement climatique. Si les rapports avec l’incontournable partenaire chinois ne devraient guère changer – la question de Taïwan et celle du Tibet étant périphériques par rapport à la nécessité de relations économiques stables entre les deux pays –, le nouveau président américain profitera sans doute de son voyage en Chine, au cours du second semestre 2009, pour convaincre Hu Jintao de s’engager plus avant dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

Dans tous les domaines relatifs aux affaires étrangères – de l’Amérique latine (voir ci-après) à l’Iran en passant par l’Afghanistan, de la protection de l’environnement au nucléaire –, le discours d’Obama est agréable à l’oreille. Et s’il est encore trop tôt pour parler de franc virage de la politique américaine, disons que le climat s’améliore.

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