Président symbolique

Ba Mamadou M’Baré devient, pour soixante jours, le premier chef de l’État noir depuis l’indépendance. Un événement historique, tempéré par les circonstances de sa désignation.

Publié le 28 avril 2009 Lecture : 3 minutes.

Un symbole. En prenant la relève, le 15 avril, du général Mohamed Ould Abdelaziz, qui venait de démissionner, Ba Mamadou M’Baré, jusqu’alors président du Sénat, est devenu le premier chef de l’État noir depuis l’indépendance. Mais c’est à la faveur d’un scénario contesté que cet homme de 62 ans calme et discret, qui, au soir de sa nomination, a grimpé les marches du palais présidentiel vêtu de la traditionnelle deraa, est entré dans l’histoire mauritanienne.

Chef de l’État autoproclamé depuis son coup d’État du 6 août dernier, le général Ould Abdelaziz a renoncé à ses fonctions militaires pour pouvoir se présenter à l’élection présidentielle, fixée au 6 juin par son administration. Invoquant le respect de la Constitution, qui prévoit que le président du Sénat assure l’intérim en cas de vacance du pouvoir, il a transmis le témoin à Ba M’Baré. Mais en l’acceptant, ce dernier passe, aux yeux des partisans du président renversé, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, pour le complice d’une « comédie électorale » destinée à faire gagner Mohamed Ould Abdelaziz.

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« Symboliquement, l’accession de Ba M’Baré à la présidence est très importante, résume Lo Gourmo, juriste et membre de l’Union des forces de progrès (UFP), qui a prévu de boycotter l’élection du 6 juin. Malheureusement, c’est pour la mauvaise cause. » Dans une Mauritanie pluriethnique, la plupart des instances dirigeantes – politiques et économiques – ont toujours été réservées aux Maures. Entre ces derniers et les « Négro-Mauritaniens » – ainsi sont appelés les Noirs dans le pays –, la méfiance est de rigueur. Elle a parfois viré au drame, comme en avril 1989, quand, après un différend frontalier, quelque deux cents Négro-Mauritaniens sont massacrés par les forces de l’ordre en une semaine. Purges dans l’armée, brimades dans l’administration, exactions en tout genre, « les années de braise », au début du régime de Maaouiya Ould Taya (au pouvoir de 1984 à 2005), ont fait fuir plusieurs dizaines de milliers de Négro-Mauritaniens au Mali et au Sénégal.

Issu d’une lignée peule prestigieuse et originaire du Gorgol, région agricole du Sud bordée par le fleuve Sénégal, Ba M’Baré échappe à la traque. Ce docteur en sciences vétérinaires – il a obtenu son diplôme à Kiev, à l’époque en Union soviétique – est pourtant connu pour avoir participé aux manifestations d’étudiants négro-mauritaniens contre l’obligation d’apprendre l’arabe, instituée langue officielle au milieu des années 1960. Spécialiste de la pêche – expertise qu’il a acquise à Nantes, en France –, il passe une bonne partie de sa carrière dans le secteur : d’abord comme chercheur au Laboratoire des pêches de Nouadhibou, ensuite comme directeur général de l’Institut national des recherches océanographiques et de pêche puis du Port autonome de Nouadhibou. Sur le tard, il se résout à emprunter la voie obligée pour qui veut réussir sa carrière, et entre au Parti républicain démocratique et social (PRDS), le parti-État de Maaouiya Ould Taya. Le choix porte ses fruits : en 2003, il devient ministre des Pêches, poste important dans un pays où le poisson constitue le deuxième produit d’exportation. Ould Taya renversé, il remporte un fauteuil aux sénatoriales de 2006 et, Sidi Ould Cheikh Abdallahi élu, est désigné président de la Chambre haute.

Réputé consensuel, Ba M’Baré n’a pas condamné le coup d’État du 6 août, continuant à présider le Sénat, à l’inverse de Messaoud Ould Boulkheir, son homologue de l’Assemblée nationale. Une loyauté envers « Aziz » qui lui vaut aujourd’hui la magistrature suprême. Le symbole est notable, fût-ce pour soixante jours. D’autant qu’il intervient vingt ans presque jour pour jour après les massacres d’avril 1989, heureux hasard de calendrier pour ceux qui veulent faire du général Ould Abdelaziz l’homme providentiel.

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