Dans les maquis d’Al-Qaïda

Par son relief escarpé, ses forêts touffues, ses innombrables grottes et excavations, la Kabylie offre un repaire idéal aux djihadistes de l’ex-GSPC, traqués sans relâche par l’armée. Pour combien de temps ?

Publié le 28 avril 2009 Lecture : 9 minutes.

L’hélicoptère tournoie dans le ciel gris au-dessus des forêts de pins et d’oliviers, pique sur une crête, lâche deux missiles, puis deux autres, avant de disparaître à l’horizon. Un autre hélicoptère prend le relais pour déverser une pluie de missiles. On entend des grondements sourds, puis le silence. Au loin, on peut apercevoir des colonnes de fumée qui s’élancent vers le ciel. À quelques encablures des sites bombardés, sur un autre versant de la montagne, des hommes, des femmes et des enfants s’adonnent tranquillement à la traditionnelle cueillette des olives. « Nous sommes habitués à ce spectacle, explique doctement Ouardia, une vieille montagnarde engoncée dans sa robe traditionnelle kabyle. Ce sont des militaires qui tirent sur des terroristes cachés là-haut dans les bois. » Scènes de la vie presque ordinaires dans un village de Kabylie.

Nous sommes dans la localité de Maatkas, à une quarantaine de kilomètres de Tizi-Ouzou. Célèbre pour ses poteries, cette commune a aussi la sinistre réputation d’être l’un des fiefs les plus importants d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI, ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat, GSPC). Il faut dire que le relief s’y prête à merveille. À l’ouest, il y a les maquis de Boumehni et de Sidi Ali Bounab. Au nord, celui d’Amjoudj, qui donne vers Ath Zmenzer et Tizi-Ouzou. Enfin, au sud, il y a celui d’El-Maj, qui s’étend jusqu’à Takhoukht. Ceinturé par une muraille verte, ­Maatkas est une tanière pour les groupes armés. Depuis le début de l’insurrection islamiste en 1992, des centaines de personnes ont perdu la vie dans ce périmètre de plusieurs milliers d’hectares. De quoi troubler la quiétude des habitants ? Les avis sont tout en nuances. « Nous avons appris à vivre dans ce climat, explique Slimane, 45 ans, gérant d’une quincaillerie. Les attaques contre la police ou la gendarmerie, les faux barrages et les rackets, tout cela n’est pas nouveau. Nous avons connu bien pire durant les années 1990. N’oublions pas que c’est ici, dans le massif de Sidi Ali Bounab, que Hassan Hattab (ancien émir du GSPC, aujourd’hui repenti) avait installé son quartier général. » Zone de repli des activistes islamistes, Maatkas affiche une autre caractéristique pas plus reluisante : elle est la région d’Algérie qui a enregistré le plus grand nombre de kidnappings – une bonne dizaine – au cours de 2007. Le dernier remonte au 27 mars 2009, avec l’enlèvement d’un jeune entrepreneur par un groupe terroriste. 

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Ni guerre ni paix

« Ici, ils évoluent comme des poissons dans l’eau », regrette le parent d’une personne enlevée en mars 2008 avant qu’elle soit relâchée contre le versement d’une forte somme d’argent. « La police et la gendarmerie ne peuvent rien faire contre eux. Ils procèdent de nuit, séquestrent leurs victimes dans différentes casemates, changent leurs lieux de captivité et n’acceptent de les relâcher que si les familles payent la rançon. Personne n’ose alerter les services de sécurité de peur que les terroristes n’égorgent leurs victimes. » Et gare à ceux qui refusent de payer ! « Ce n’est pas de la peur, mais plutôt un sentiment de malaise, explique Smaïl, agent dans une entreprise de travaux publics. Les gens stressent après une attaque ou un kidnapping mais, très vite, la vie reprend son cours. » Principales cibles des ravisseurs : les commerçants, les entrepreneurs, les familles aisées et les émigrés. Pourtant, on est loin de la psychose. Les établissements scolaires sont ouverts, commerces, cafés et bars ferment tard la nuit, les marchés populaires sont bondés et les matchs de foot attirent toujours des centaines de spectateurs. « Avec le temps, la population a appris à vivre dans ce climat, qui oscille entre calme et insécurité, souligne Arezki, 43 ans, ancien membre des Groupes de légitime défense (GLD). » Ce n’est plus vraiment la guerre, mais ce n’est pas encore vraiment la paix, c’est ainsi que l’on pourrait résumer la vie dans ces montagnes du Djurdjura.

Dirigée par l’émir Abdelmalek Droukdel, 38 ans, alias Abou Moussab Abdelwadoud, un ancien étudiant en théologie, AQMI a fait des maquis de Kabylie une sorte de sanctuaire. C’est à partir d’ici qu’ont été planifiés la majorité des attentats kamikazes qui ont ensanglanté Alger et sa périphérie en 2007 et 2008. C’est dans ces villes, ces villages, ces hameaux et ces douars accrochés à flanc de montagne que les terroristes trouvent le terrain idéal pour mener le djihad. La liste des crimes d’AQMI est aussi longue qu’un jour sans pain. Un cantonnement militaire attaqué à Tizi Ghennif (janvier 2008), un militaire assassiné à un faux barrage à Draa el-Mizan (avril), le propriétaire d’un débit de boissons et son fils enlevés puis exécutés à Ouacifs (mai), un attentat suicide contre la direction régionale des RG de Tizi-Ouzou (août), un militaire et une civile tués dans un attentat, à la bombe à Beni Ksila (février 2009) et un colonel de l’armée abattu au cours d’une embuscade à Azzefoun (mars 2009)… Nul n’est à l’abri.

Yakouren, 60 km à l’est de Tizi-Ouzou. Autrefois, cette grande bourgade, qui ne déparerait pas devant les alpages suisses avec ses troupeaux de vaches, ses verts pâturages et ses monts enneigés en hiver, était une destination prisée de familles entières. On s’y rendait pour un pique-nique, une excursion ou un bol d’air frais. C’était même l’endroit ­privilégié des sportifs de divers clubs algériens. Aujourd’hui, Yakouren a quelque peu perdu de son attrait. Signe de ce passé révolu, l’hôtel Tamgout, jadis lieu de mise au vert des joueurs de l’équipe nationale de football, est déserté par la grande clientèle. Devant l’entrée de ce charmant établissement aux allures de chalet de Haute-Savoie se dresse un barrage militaire permanent. « La fréquentation a nettement baissé depuis quelques années, note Mhand, jeune restaurateur de 32 ans. La nuit, personne, ou presque, ne circule sur ces routes sinueuses. »

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Tous ici gardent en mémoire cette fameuse nuit de juillet 2007 au cours de laquelle une soixantaine d’hommes revêtus de tenues afghanes se sont hasardés au cœur de la ville pour attaquer le poste de gendarmerie. Bien qu’ils aient été traqués au lendemain de cet assaut et que certains d’entre eux aient été éliminés, les hommes de Droukdel n’en constituent pas moins un danger. Samir, 36 ans, chômeur originaire de Bougtoub, un village de la localité de Yakouren, en a fait les frais. Allongé sur un lit dans une pièce chichement meublée d’une petite maison de campagne, il raconte son malheur en contemplant ce qui reste de sa jambe droite, un moignon bandé jusqu’au haut de la cuisse. C’était au mois de novembre 2008. Parti chercher du bois dans la forêt, il a sauté sur une mine artisanale déposée sur un chemin muletier par un groupe armé. « Ça aurait pu être un soldat ou un berger, mais c’est tombé sur moi, gémit-il. Voilà, je suis infirme à vie. » Assise à ses côtés, sa mère, une gaillarde d’une cinquantaine d’années, le couvre de regards anxieux. « Arraw lahram (les enfants du péché) ont failli tuer mon fils, se lamente-elle. Qu’ils aillent tous en enfer ! Que l’armée nous débarrasse de ces assassins qui nous empoisonnent la vie ! » 

Les millions des rançons

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Lorsque les djihadistes ont commencé à s’implanter dans la région au milieu des années 1990, certains habitants ont pris leurs vieux fusils pour les en déloger. Depuis, la résistance a fléchi. Alors, les tangos (terroristes) en ont profité pour occuper à nouveau ces forêts. Les maquis infestés de combattants ? Belkacem, 54 ans, enseignant dans une école primaire, n’y croit pas vraiment. « Nous savons qu’ils sont cachés quelque part dans les maquis, mais ils ne nous empêchent pas de dormir », nuance cet homme aux allures de bûcheron canadien. À preuve, dit-il, chaque vendredi, jour de repos en Algérie, sa bande de copains et lui pratiquent leur sport favori : la chasse au sanglier. Écumant les forêts de Yakouren, ils reviennent souvent avec une dizaine de bêtes, qu’ils revendent aux restaurateurs du coin.

Une question taraude tout de même les esprits. Comment ces irréductibles, que l’on dit affaiblis par les désertions et les redditions et en proie aux maladies comme le choléra et la tuberculose, que l’on dit diminués par le manque de vivres et de munitions, incapables d’enrôler de nouvelles recrues, comment donc parviennent-ils encore à tuer, à racketter et à piller ? AQMI a d’abord l’avantage du terrain, analyse un officier, sous le sceau de l’anonymat. « Les terroristes se déplacent constamment dans ces montagnes et ces maquis aussi denses et touffus qu’une forêt amazonienne. Ils profitent des innombrables oueds, excavations, petits canyons, cavernes et grottes, dont certaines datent de la guerre d’Algérie, pour se cacher. Scindés en plusieurs groupuscules extrêmement mobiles, bien armés et bien entraînés, ils vivent dans des casemates dont ils ont miné tous les accès, si bien qu’il est presque impossible de s’en approcher à moins d’envoyer les militaires à une mort certaine. » Il y a aussi l’argent, le nerf de la guerre. Contrairement à ce que l’on dit ici et là, AQMI ne souffre pas d’un tarissement de ses ressources financières. Grâce aux rançons perçues (elle a amassé plus de 60 millions d’euros pour l’enlèvement de civils algériens en 2007 et 8 millions de dollars pour celui de deux touristes autrichiens en mars 2008), l’organisation peut se procurer armes, munitions, téléphones portables, vivres, et même verser des pensions aux familles de terroristes tués dans les maquis. Mais si AQMI a encore une évidente capacité de nuisance et reste une vraie menace, elle a subi une série de sérieux revers. 

La reddition ou la mort

La peur a changé de camp, ironise un journaliste local, allusion faite à cette phrase prononcée en 1993 par le Premier ministre Réda Malek pour illustrer l’ascendant pris par les terroristes sur les services de sécurité au début de l’insurrection islamiste. C’est peu de dire que la présence militaire a été fortement renforcée en Kabylie au cours de l’année précédente. Depuis les deux attentats qui ont secoué la région durant l’été 2008 – le premier contre une école de gendarmerie aux Issers (43 morts), le second contre la société canadienne SNC-Lavalin, à Bouira (12 morts) –, le gouvernement a décidé de mettre le paquet pour en finir avec ces groupes armés, du moins pour tenter de circonscrire au maximum leur activisme. Parfois avec le concours d’anciens maquisards. Ainsi de ces quatre ex-émirs du GSPC – Mourad Khattab, Rabi Cherif Saïd, Ben Messaoud Abdelkader, Mehdi Noureddine – qui ont appelé, en mars, leurs anciens acolytes à déposer les armes. « Ils n’ont d’autre choix que de se rendre ou de se faire tuer », aime à déclarer le ministre algérien de l’Intérieur, Yazid Zerhouni.

En mars, peu de temps après ces deux tueries, le général Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée, s’est rendu à Tizi-Ouzou, chef-lieu de la wilaya, pour motiver ses troupes. « Il a exigé des résultats et a mis de gros moyens à notre disposition », nous confie un responsable de la sécurité à Tizi-Ouzou. Quels moyens ? Envoi de renforts – 10 000 à 16 000 hommes –, utilisation d’hélicoptères à vision nocturne acquis chez les Russes en 2007, écoutes téléphoniques, intensification du renseignement militaire, infiltration des réseaux de soutien et de certains groupes, collaboration accrue entre les différents services de sécurité (armée, police et gendarmerie) et installation de dizaines de barrages autour du Grand Alger et sur les principaux axes routiers de Kabylie. Une nouvelle politique sécuritaire qui semble porter ses fruits. Le ministre de l’Intérieur a ainsi récemment annoncé l’élimination de 120 activistes, l’arrestation de 322 autres et la reddition de 22 hommes au cours des six derniers mois. Est-ce le début de la fin pour ces centaines de combattants qui refusent encore la main tendue par le président Bouteflika ?

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