L’autre Sankara
Premier à se déclarer pour la présidentielle de 2010, cet avocat tenace et idéaliste propose un sankarisme assagi, sans révolution ni dérive autoritaire.
Maison du peuple de Ouagadougou, 22 mars 2009, 16 h 50, Bénéwendé Stanislas Sankara, visiblement heureux et ému, brandit un arc et un carquois devant les militants. Par ce geste symbolique, il accepte l’investiture présidentielle que vient de lui confier le congrès extraordinaire de l’Union pour la renaissance/Parti sankariste (Unir/PS). Après son échec en 2005, il est le premier candidat déclaré à l’élection de 2010.
Outsider à la cote très risquée, il tient à partir tôt comme la tortue de la fable de La Fontaine, même s’il sait que les moyens de son principal adversaire, quel qu’il soit dans le camp au pouvoir, seront démesurés. À 50 ans, le président de l’Unir/PS tient également à jouer la carte de la transparence. « Notre budget prévisionnel de campagne est d’environ 400 millions de F CFA, comme en 2005. Nous avons déjà récolté 100 000 F CFA lors de ce congrès, qui seront versés dans une “caisse de la victoire”, alimentée par quatre comptes bancaires, dont nous donnerons les numéros, pour lever les fonds nécessaires auprès de nos sympathisants. On souhaite une base de contribution très large et très populaire. Que tout le monde verse son obole pour le changement, ne serait-ce qu’à hauteur de 100 F CFA par personne », explique l’intéressé. Une somme que le candidat n’avait pas réussi à mobiliser en 2005 pour la dernière présidentielle, puisqu’il n’avait récolté que 10 maigres millions.
Trop idéaliste, piètre tribun, manquant de charisme, trop sincère pour un homme politique… Pour la majorité des experts, cet avocat au visage doux, à la voix posée, légèrement rocailleuse, et au débit assez lent, n’a pas la moindre chance. Arrivé deuxième derrière Blaise Compaoré avec 4,94 % des suffrages lors du dernier scrutin, il ne compte d’ailleurs que cinq députés à l’Assemblée nationale sur les 111 sièges.
Peu importe, lui croit en son destin, et surtout au réveil de ses compatriotes. « Depuis le coup d’État du 15 octobre 1987 qui a porté Blaise Compaoré au pouvoir, les Burkinabè sont résignés, indique Me Sankara. Ce qui se traduit dans le faible taux de mobilisation pour les élections et la déception nourrie à l’égard des politiciens. » Certainement un peu vrai, mais le peuple n’a jamais trouvé d’alternative dans une opposition atomisée, des sankaristes disséminés dans plusieurs partis et des leaders plus enclins à rejoindre le pouvoir qu’à défendre leurs convictions. « Nous venons de franchir une étape en ressoudant la famille sankariste, estime néanmoins Me Sankara. Nous tendons également la main à tous les responsables politiques qui veulent nous rejoindre. Si nous voulons gagner, il faudra une candidature unique de l’opposition. » Un appel du pied à des figures comme Jean-Hubert Bazié de la Convergence de l’espoir, Norbert Tiendrébéogo du FFS et Joseph Ouédraogo de l’UPS.
Économie de marché
Me Sankara propose aux Burkinabè de revisiter l’idéal sankariste dépourvu de ses dérives autoritaires et converti à l’économie de marché. D’ici à la présidentielle, il a prévu de continuer à structurer son parti en peaufinant un programme alternatif, en formant et impliquant davantage les jeunes et les femmes dans les instances dirigeantes. Il doit aussi mieux se faire connaître.
Né le 23 février 1959 à Toessin, près de Yako, à 100 km au nord de la capitale, Bénéwendé Sankara connaît une enfance heureuse, au milieu de ses sept frères et sœurs, choyé par une mère poule. À l’école primaire du village, il se montre assidu et dévalise les étagères de la bibliothèque afin d’étancher sa soif de lecture. Il adore les romans et se passionne pour Les Trois Mousquetaires. Il compose aussi ses premiers poèmes, fait du théâtre et passe le reste de son temps sur les terrains de foot. En 1977, BEPC en poche, il s’installe à Dabou, en Côte d’Ivoire, chez un de ses frères aînés et travaille comme « saigneur » dans une plantation d’hévéa. Puis, aidé par des amis, devient professeur de français au lycée Montaigne d’Abidjan. Brillamment reçu au concours d’entrée à l’université de la métropole, il décroche une capacité en droit, puis une bourse de l’État burkinabè pour poursuivre ses études dans la matière à la faculté de Ouagadougou.
Défenseur des causes justes
En 1984, il fait ses premiers pas en politique, alors que Thomas Sankara, avec lequel il n’a aucun lien de parenté, et ses compagnons sont au pouvoir. Il devient membre du Comité de défense de la révolution (CDR) de l’université et préside la commission culturelle. Il y rencontre sa future femme, Olga Marie Perpétue, une charmante étudiante en médecine, qui partage ses convictions. Retourné à Abidjan en 1986 pour suivre un DEA, il est à Ouagadougou, le 15 octobre 1987, jour de l’assassinat de Thomas Sankara. Il décide alors de faire ses valises et part pour Paris, où il réalise ses quatre années de stage obligatoire d’avocat au cabinet de Me Denis Talon.
De retour au pays, il s’inscrit au barreau du Burkina en 1993 et crée, moins d’un an plus tard, son propre cabinet. Il acquiert assez rapidement de la notoriété en prenant les dossiers politico-judiciaires, de privatisations, de conflits de travail, de recouvrement de créances… Il milite dans de multiples associations, adhère au Collectif des organisations démocratiques de masse et des partis politiques en 1998 avant de créer, deux ans plus tard, son propre parti : l’Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (Unir/MS, devenue l’Unir/PS lors du congrès de mars dernier). Père de trois enfants, Me Sankara est un catholique pratiquant.
Avocat de Mariam Sankara, qu’il a aidée à revenir au Burkina pour les vingt ans de la disparition de son mari Thomas, et du collectif Norbert Zongo (du nom du journaliste assassiné en décembre 1998), proche de certains syndicats et associations de droits de l’homme, il a de plus en plus de visibilité dans les médias. Il espère fédérer le mécontentement populaire lié notamment à la vie chère et à la progression de la corruption. Ses thèmes de campagne tourneront autour de la défense des intérêts économiques nationaux, la décentralisation des pouvoirs, l’aide au monde paysan, la bonne gouvernance, la lutte contre la pauvreté, la bataille pour l’emploi, le rôle de la femme dans la société.
« Me Sankara n’a pas encore compris que les élections africaines se gagnaient aussi à l’étranger, estime néanmoins un journaliste burkinabè. Il a pour lui la probité, il incarne le changement, il défend les causes justes, il a l’avantage de s’appeler Sankara – un nom qui résonne dans toutes les mémoires –, mais son réseau de soutiens à l’extérieur est faible, voire inopérant. » Les membres de l’Unir/PS revendiquent bien quelques contacts chez les verts et les socialistes français, mais loin des cercles de décision. Aux États-Unis, certains sont proches du cercle Marcus Garvey (du nom de l’ancien leader noir américain) à New York, dont les membres ont pris une part importante dans la stratégie de récolte d’argent par Internet du candidat Obama.
Un réseau insuffisant
Me Sankara se dit également proche d’Hama Amadou, l’ancien Premier ministre du Niger aujourd’hui incarcéré. Et a des affinités avec deux autres ex-chefs de gouvernement : Me Yawovi Agboyibo (Togo) et Macky Sall (Sénégal). Au Mali, pays qui a hébergé un temps Mariam Sankara, les leaders sankaristes ont accès au palais de Koulouba, même si cela se fait dans la plus grande discrétion pour ne pas indisposer le chef de l’État voisin. En fait, une de ses meilleures cartes se trouve au Ghana, où le président John Atta-Mills a appelé d’anciens sankaristes à ses côtés. Un réseau néanmoins très insuffisant. « C’est vrai qu’il a peu de chances. Mais il arrive à une période où l’usure du pouvoir fait son chemin dans l’opinion publique, conclut un diplomate en poste à Ouagadougou. Et si Blaise n’est pas candidat à la prochaine présidentielle, les dauphins et leaders potentiels risquent de se déchirer. Alors, qui sait ? »
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