La révolution Zuma

Au lendemain de la victoire de son parti aux législatives du 22 avril, il devient le président du plus puissant des pays du continent. Misère, chômage, corruption, insécurité… la tâche est immense. Le truculent leader de l’ANC sera-t-il à la hauteur ?

Publié le 27 avril 2009 Lecture : 7 minutes.

Le 22 avril, Jacob Zuma a pris une éclatante revanche sur l’intelligentsia sud-africaine : son parti, le Congrès national africain (ANC), a recueilli un peu plus de 66 % des voix après une élection exemplaire pour le continent et avec un taux de participation élevé. Le voilà devenu un chef légitime et incontesté. Le 9 mai, après son élection par le Parlement – une formalité –, celui qui, depuis 1994, est dans les coulisses de l’Union Building de Pretoria (le palais présidentiel) prendra officiellement les rênes du plus puissant des pays du continent.

Pendant la campagne, le flamboyant candidat a multiplié les promesses. En costume cravate, il a promis aux chefs d’entreprise un environnement favorable à leurs affaires. En tee-shirt aux couleurs de l’ANC, il a rassuré les syndicats sur l’emploi et les conditions de vie des travailleurs. Avec un simple pagne en peau de bête jeté autour des hanches, agrémenté de quelques plumes sur la tête, il a affirmé son identité zouloue. Aux Afrikaners, la minorité blanche, il a lancé son « Je vous ai compris »… Mille costumes et autant de postures pour un homme qui ne veut fâcher personne et plaire à tous. Une stratégie que, devenu président, il devra mettre à l’épreuve des faits.

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L’itinéraire de celui qui s’est présenté comme le « candidat du peuple » fait rêver les Sud-Africains. Jeune gardien de vaches, fils d’une domestique et d’un père policier décédé quand il avait 4 ans, Zuma n’est jamais allé à l’école. Il s’est hissé, malgré toutes les chausse-trappes, au sommet de l’État. Ses électeurs attendent de lui qu’il donne à tous la chance de connaître une telle ascension sociale et, aussi, qu’il soit davantage à l’écoute des millions de pauvres du pays.

Son prédécesseur Thabo Mbeki, hautain et dépourvu de charisme, avait totalement perdu le contact avec les masses, qui se sont senties de plus en plus abandonnées à leur sort. Zuma n’aura aucune peine à faire mieux. Il sait parler aux gens simples, trouver les mots pour rassurer et user sans compter de son charme. Ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, ont eu l’occasion de le rencontrer, savent à quel point cet homme a l’art de mettre ses interlocuteurs à l’aise, de leur donner l’impression qu’ils comptent, de les dérider au besoin. Vif, drôle, enjoué, chaleureux, il rit à gorge déployée et accorde toute son attention à ses interlocuteurs quels que soient leur titre ou leur origine.

Mais le charme ne suffit plus quand il s’agit de présider aux destinées de la première puissance économique du continent, si riche et pourtant encore si misérable. Un taux de chômage de 28 %, une population dont la moitié vit au-dessous du seuil de pauvreté, 2,2 millions de personnes entassées dans des bidonvilles… la tâche est tout aussi immense que les espoirs que le candidat Zuma a suscités. 

« Je ne suis qu’un pion »

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Quelle politique le nouveau chef de l’État propose-t-il à ses concitoyens ? Jusqu’au jour du scrutin, le 22 avril, la réponse à cette question est restée bien évasive. Zuma est avant tout le candidat de l’ANC, il est élu par les députés du parti, et non à l’issue d’un suffrage direct. Il répète donc à l’envi que sa politique sera celle du parti. « Je ne suis qu’un pion que l’ANC a placé sur une case de l’échiquier. Pas une pièce importante. Pas un cavalier ou une tour. Un simple pion », expliquait-il récemment à l’écrivain sud-africain Rian Malan. Une pirouette un peu facile quand on sait que Zuma est également le président de l’ANC et que, même si les grandes décisions sont prises après concertation avec les instances dirigeantes, il a placé ses hommes aux postes importants, des militants qui, lui étant redevables, ne lui mettront pas de bâtons dans les roues.

L’avantage d’un Jacob Zuma sur un Thabo Mbeki, c’est, finalement, la modestie. Les conseillers de l’autoritaire Mbeki passaient pour des béni-oui-oui. Conscient de ses lacunes, le nouveau chef de l’État sait qu’il doit s’entourer des meilleurs spécialistes et, surtout, les écouter. Il espère ainsi retenir à son poste le ministre des Finances, Trevor Manuel, le gestionnaire préféré des banquiers et du monde des affaires, quitte à froisser ses alliés de la gauche communiste. On lui prête aussi l’intention de demander à son ancienne épouse, Nkosazana Dlamini Zuma, aux Affaires étrangères, de rester en fonctions, ainsi qu’à la ministre de la Santé Barbara Hogan.

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Allié à la puissante fédération syndicale Cosatu et au Parti communiste, dont il fut lui-même membre jusqu’en 1990, Zuma passe pour un homme de gauche, en tout cas plus à gauche que ses prédécesseurs. Il a notamment promis de maintenir les emplois grâce à des « mesures innovantes », dont il n’a pas précisé le détail, au moment où les mines comme l’industrie licencient. Il souhaite aussi étendre les allocations familiales, même si Trevor Manuel a souligné que cela dépendrait des « moyens de l’État ».

Aujourd’hui, l’Afrique du Sud distribue quelque 80 milliards par an au titre de l’aide sociale pour les enfants et les personnes âgées sans ressources, soit 12 % du budget, l’un des taux les plus élevés au monde. En tout, 13 millions de personnes (30 % de la population) reçoivent des subsides de l’État. Zuma promet de faire mieux. D’aider les plus pauvres, de construire plus d’écoles, de logements sociaux, de continuer à acheminer l’eau et l’électricité dans les contrées reculées, et de lancer des grands travaux pour soutenir l’emploi. Ses alliés ne manqueront pas de lui rappeler ses engagements. Zwelinzima Vavi, le secrétaire général de la Cosatu, lui donne « trente-trois jours » pour prouver qu’il met la barre à gauche.

Epineuse réforme agraire

La grande révolution du monde du travail et de la finance – la politique de discrimination positive et du Black Economic Empowerment (BEE) – devrait se poursuivre. L’objectif étant de favoriser les Noirs dans l’accès à l’emploi et de les aider à « prendre du pouvoir » dans les entreprises, notamment en en devenant actionnaires. Face aux critiques faites au BEE, qui n’a pas encore profité à la majorité mais a enrichi une clique de privilégiés, Zuma promet une répartition plus équitable. Quant à la discrimination positive, dénoncée par les Blancs comme « un apartheid à l’envers » et qui touche les jeunes nés après 1990, elle « mourra de sa belle mort, quand elle ne sera plus nécessaire », affirme Zuma. Une position suffisamment vague pour ne fâcher personne.

Même ambiguïté sur l’épineuse question de la réforme agraire. Entamé depuis plusieurs années, ce transfert des terres spoliées sous l’apartheid se fait très lentement. Trop de fermes redistribuées sont aujourd’hui à l’abandon pour que la politique puisse se poursuivre sans mettre en péril la production agricole, à moins d’attribuer plus de moyens au suivi et au soutien aux nouveaux fermiers. Les contentieux, notamment sur l’évaluation du prix des propriétés, ralentissent le processus. S’y ajoutent la résistance de certains fermiers blancs et l’incompétence notoire de l’administration locale. Dans le Limpopo et le Mpumalanga, les deux grandes régions de production agricole, plus de 80 % des fermes doivent, à terme, changer de mains.

Zuma veut accélérer le mouvement, mais promet aux fermiers blancs de respecter leurs droits et les flatte en affirmant qu’il considère les Afrikaners, les anciens colons hollandais, majoritaires dans l’agriculture, comme les seuls « vrais Sud-Africains blancs ». « C’est un chic type », dit même de lui le patron du très conservateur syndicat de fermiers, le Transvaal Agricultural Union (TAU). Un « chic type » qui, un jour, devra tout de même préciser la manière dont il envisage de répartir les richesses. Et, fatalement, se faire des ennemis…

Il est deux domaines dans lesquels Zuma promet de se montrer impitoyable : la criminalité et la corruption. Contrairement au gouvernement Mbeki, qui avait tendance à minimiser la gravité de l’insécurité qui ronge le pays, le nouveau président entend saisir le problème à bras-le-corps. Il veut des policiers mieux payés et plus nombreux, soutient les groupes de vigilance, sorte de milices de quartiers, et promet une « tolérance zéro ». En « grand admirateur de Shaka Zoulou », qui n’hésitait pas à fracasser le crâne de ses ennemis, il saura, dit-il, « se montrer implacable ». Notamment contre les « fonctionnaires fainéants » et, bien sûr, contre tous les corrompus.

On atteint là les limites de la crédibilité du personnage. Difficile de croire, pour l’instant, à l’efficacité, sinon à la sincérité, d’un homme qui a été pendant huit ans empêtré dans une affaire de corruption, dont il n’a jamais été blanchi. Le doute subsiste sur sa probité, comme d’ailleurs sur celle de nombreux membres de l’ANC, dans cette sulfureuse affaire de contrats d’armements. 

Une meilleure vie pour tous ?

Quelle sera la latitude réelle de Zuma pour remettre un peu d’ordre dans les municipalités et dans les autres administrations décentralisées, réputées minées par la corruption ? Pour sanctionner les policiers qui pratiquent de plus en plus le racket, un phénomène nouveau dans un pays jusque-là exempt de ce genre de pratiques ? Pour limiter le copinage et le népotisme dans l’attribution des marchés publics ? Pour dénoncer l’incompétence, même des plus fidèles et dévoués des militants ? Quelle sera sa marge de manœuvre pour engager de grandes réformes, réduire la pauvreté et remplir enfin la promesse, faite depuis 1994, d’une « meilleure vie pour tous » ?

Lui-même annonce déjà que la conjoncture est difficile. Il devra, comme beaucoup de chefs d’État, apprendre à faire le gros dos en attendant que la crise passe et, surtout, espérer que les Sud-Africains seront prêts à lui accorder, au moment de le juger, l’avantage de ces circonstances atténuantes.

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