Président Jacob Zuma

Publié le 27 avril 2009 Lecture : 7 minutes.

En politique comme en économie, les miracles sont extrêmement rares. L’Afrique du Sud en est un.

Il y a bientôt vingt ans, au terme d’une très longue lutte, la majorité noire (et métisse) de ce pays – elle rassemblait alors plus de 85 % de la population – a réussi à abattre l’apartheid, régime d’oppression et d’accaparement des richesses instauré – en 1948 – par la petite (et puissante) minorité blanche.

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Sous la conduite éclairée de Nelson Mandela, les composantes de ce grand pays africain se sont réconciliées pour former ce qu’elles ont appelé la « nation arc-en-ciel ».

Depuis 1994, elles vivent une belle expérience démocratique et, bien gérée, l’économie a connu une croissance annuelle de 3 % à 4 % tout au long des quinze dernières années.

Sous l’effet de la crise mondiale, elle est entrée, elle aussi, en récession, au moment même où le pays se donnait un nouveau président : Jacob Zuma.

Il ne ressemble ni à Mandela ni à Mbeki, ses deux prédécesseurs. Ni d’ailleurs à aucun président d’aucun autre pays.

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Sa prise en charge des destinées de cette grande nation suscite interrogations et, disons-le, inquiétudes : beaucoup se demandent même si nous ne sommes pas en train de vivre le début de la fin du miracle sud-africain.

Si c’est le cas, ce serait un tournant historique d’une extrême gravité pour l’Afrique du Sud, pour tout le continent africain, voire pour le reste du monde.

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Avant de nous interroger sur l’avenir de l’Afrique du Sud, il me paraît utile de voir où elle en est aujourd’hui et ce qu’elle pèse.

Les deux graphiques ci-contre montrent que depuis qu’il est dirigé par sa majorité noire – l’ANC a délégué au pouvoir ses meilleurs cadres –, le pays est parvenu à faire accroître son revenu national (et par habitant) de façon plus qu’honorable.

S’il lui reste beaucoup à faire, la « nation arc-en-ciel » est déjà un pays émergent de bon niveau : elle compte 50 millions d’habitants en chiffres arrondis, soit environ 5 % de la population du continent (6 % de la population du Sud-­Sahara). Son produit intérieur brut (PIB) s’élève à 300 milliards de dollars par an, soit 6 000 dollars courants par tête et représente 19 % du PIB africain et 30 % de celui de l’Afrique subsaharienne.

Trois fois plus peuplés, les six pays d’Afrique du Nord – Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte – ne produisent que deux fois plus que l’Afrique du Sud.

Le pays de Mandela est donc bien à l’Afrique ce que les États-Unis sont au monde * !

Né le 12 avril 1942, Jacob Zuma vient d’entrer dans sa soixante-huitième année et d’accéder au pouvoir suprême dans le pays le plus important d’Afrique. Il est zoulou, l’ethnie majoritaire, alors que Mandela et Mbeki sont xhosas.

Analphabètes et très pauvres, ses parents n’ont pas pu l’envoyer à l’école et en ont fait un berger.

C’est en prison, où il a passé dix ans, à partir de 1963, aux côtés de Nelson Mandela, qu’il apprendra vraiment à lire et à écrire.

Mandela et Mbeki ont fait, eux, des études secondaires et fréquenté de bonnes universités.

Zuma a adhéré à l’ANC (African National Congress) à l’âge de 17 ans : il a donc consacré un demi-siècle à son parti et a tout reçu de lui en retour.

Populaire, populiste, doué pour le contact et doté d’une grande faculté d’adaptation, cet homme caméléon a gravi une à une les marches du pouvoir pour accéder à la présidence du parti, en 2007, puis à celle du pays, en 2009 (il devrait être investi le 9 mai prochain).

On sait qu’à l’inverse de Mandela et de Mbeki il est polygame déclaré – et content de l’être, « à l’africaine » – et qu’il a besoin de beaucoup d’argent : pour lui-même, ses six ou sept femmes, sa vingtaine d’enfants, et pour ceux, très nombreux, qui viennent en demander au chef africain qu’il est.

La justice de son pays l’a accusé d’en avoir reçu illégalement, et si les poursuites ont été abandonnées, il n’a pas été établi qu’il n’a pas été laxiste, à tout le moins.

Nelson Mandela et Thabo Mbeki ont été, eux, des modèles d’intégrité morale et financière.

Faut-il pour autant s’inquiéter de voir un homme si différent se poser en successeur du grand Mandela et devenir, pour cinq ou dix ans, le président de la République d’Afrique du Sud ? Devons-nous craindre de voir l’ANC, dont lui-même et ses amis ont pris le contrôle et qui vient de consolider sa domination politique sur le pays, abuser de son pouvoir et en arriver à détruire les éléments constitutifs du miracle sud-africain ?

Je ne veux pas le croire et je pense même que Jacob Zuma peut nous surprendre agréablement.

Parti de si bas, il lui a fallu pour arriver là où il va être dans quelques jours – le sommet du pouvoir dans l’une des grandes nations du monde – beaucoup travailler et intelligemment. Il lui a fallu des qualités peu communes et cinq décennies de persévérance.

Tout ce que j’ai lu sur lui (et entendu dire de lui) montre que cet autodidacte a beaucoup appris, qu’il est devenu un animal politique de grande envergure, un fauve. Regardez avec quelle maestria il a fait perdre pied à Thabo Mbeki : c’est d’une chiquenaude qu’il l’a écarté de l’ANC d’abord, de la présidence de la République ensuite.

Sans jamais s’agiter ni perdre son calme, il a su mettre en place un pouvoir de transition et, sans effort apparent, a pu s’extraire des tentacules de la justice.

Le prix payé par l’ANC pour cette révolution à sa tête ? L’entrée en dissidence de quelques-uns de ses cadres, mais qui n’entame guère sa domination politique…

De là à conclure que cet homme est diabolique et peut se révéler dangereux pour la démocratie sud-­africaine, il n’y a qu’un pas que beaucoup, en majorité des Blancs, ont franchi.

Que l’illustre et sage Nelson Mandela l’ait adoubé ne les rassure pas…

J’espère ne pas me tromper en donnant à Jacob Zuma le bénéfice du préjugé favorable et en soutenant la thèse que son accession au pouvoir est une bonne chose pour son pays et pour toute l’Afrique.

Comme l’est pour les États-Unis et le monde l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche.

Voici mes raisons.

1) La première et la plus importante est culturelle : le phénomène est mal connu hors d’Afrique du Sud, mais l’ANC a toujours exigé et obtenu de celui qu’elle met à sa tête modestie et discipline.

Il n’est pas le chef qui met le parti à son service pour en faire l’instrument de son ambition, mais le militant que le parti charge de parler en son nom et d’exécuter la politique arrêtée par ses instances. Ni plus ni moins.

Mandela lui-même n’a pas été autre chose et l’on sait que Mbeki lui a été imposé par le parti comme successeur alors que sa préférence allait à Cyril Ramaphosa.

Il y a donc peu de chances, à mon avis, que Zuma puisse, même s’il le voulait, faire de l’ANC ce que Houphouët a fait du RDA, Bourguiba du Néo-Destour ou… Sarkozy de l’UMP.

2) La mission stratégique confiée par l’ANC à Zuma, formulée par lui-même et par Mandela dans le dernier discours électoral de la campagne, s’articule en trois points :

– L’Afrique du Sud doit continuer à appartenir à toutes ses composantes ethniques (Blancs, Noirs, métis, Indiens…).

Et à ses femmes comme à ses hommes, sans distinction.

– La Constitution de la République, les grandes institutions de la démocratie sud-africaine et leur équilibre doivent être respectés.

– La lutte contre la pauvreté doit être renforcée : il faut faire plus que par le passé pour les plus modestes.

Dans ce dernier discours, et j’engage ceux qui le peuvent à le lire, Zuma s’est exprimé en chef de gouvernement plus qu’en chef d’État : il a énuméré une à une les tâches qui doivent être menées à bien au cours des cinq ans de la nouvelle législature.

3) La crise mondiale a donc atteint l’Afrique du Sud, dont l’économie est en récession. Zuma, le populiste, est beaucoup mieux placé que Mbeki, le bourgeois modéré, pour en faire accepter les effets aux plus pauvres, pour obtenir d’eux qu’ils aient la patience d’attendre la reprise.

4) Dans sa soixante-huitième année, à l’âge de la sagesse, ayant franchi la dernière marche du pouvoir, Jacob Zuma n’a plus rien à prouver, ni à lui-même ni aux autres.

Il voudra, je pense, faire en sorte que son parti garde son aura nationale et internationale.

Il voudra aussi que son pays demeure la plus grande puissance africaine et un modèle pour le reste du continent : membre du G20 depuis cette année, candidate au poste de membre permanent du Conseil de sécurité, mobilisée pour accueillir la Coupe du Monde de football en 2010, l’Afrique du Sud se doit de rester au niveau où elle s’est hissée depuis quinze ans.

Dans sa nouvelle fonction, Jacob Zuma ressentira l’obligation sacrée de sauvegarder la diversité de cette « nation arc-en-ciel », sa cohésion et ses équilibres démocratiques.

Je pense qu’il se sent concerné, beaucoup plus que son prédécesseur Thabo Mbeki, par le sort des plus pauvres, aux yeux desquels il incarne l’espoir d’un changement vers le mieux. Il déploiera donc plus d’énergie pour améliorer leur condition.

Qui s’en plaindra ?

* Les 2tats-Unis assurent 21 % de la production mondiale et abritent 5 % de la population de la planète.

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