L’Afrique à bout portant
Le continent inspire de plus en plus les auteurs de polars, qu’ils en soient originaires ou non. Tour d’horizon des dernières parutions.
Pas de doute : l’Afrique stimule les auteurs de romans noirs. L’Américain Donald Westlake (Kahawa) et le Britannique Giles Foden (Le Dernier Roi d’Écosse) se sont inspirés du dictateur ougandais Idi Amin Dada. Le Français Jean-Patrick Manchette (L’Affaire N’Gustro) revisitait l’enlèvement et l’exécution du Marocain Mehdi Ben Barka en 1965. Le maître anglais du roman d’espionnage, John Le Carré, s’attaquait aux tests médicamenteux au Kenya (La Constance du jardinier) et aux louches affaires de mercenaires et de minerais au Congo (Le Chant de la mission), tandis que le Français Caryl Férey exploitait la violence en Afrique du Sud (Zulu). Nombre d’auteurs non africains trouvent ainsi entre Tanger et Le Cap la matière d’œuvres dénonçant pêle-mêle le néocolonialisme, l’incurie des pouvoirs publics, l’avidité des multinationales attirées par les richesses du sous-sol…
Peu nombreux, les auteurs originaires du continent – Deon Meyer et Margie Orford en Afrique du Sud, Yasmina Khadra en Algérie, ou Abasse Ndione au Sénégal – s’intéressent quant à eux à des questions de société, souvent délicates et controversées. Guerre civile, séquelles de conflits passés mais aussi intégrisme religieux, violence conjugale, maladie, drogue, meurtres rituels, heurts entre tradition et modernité alimentent leurs fictions. Logique après tout : dans le polar africain, l’afro-pessimisme est souvent de rigueur.
Epouses et assassins
de Kwei J. Quartey, Payot Suspense, 350 pages, 22 euros.
Ketanu, un petit village ghanéen à 160 km d’Accra. Le corps de Gladys Mensah, une étudiante en médecine engagée dans un programme de prévention contre le sida, est retrouvé sans vie en pleine forêt. Aucune trace de coup. Tout le monde s’accorde pour dire qu’un sorcier l’a tuée « sans même la toucher ». Tout le monde… sauf Anum Biney, le médecin légiste, qui découvre lors de l’autopsie qu’elle a été étranglée. L’inspecteur Darko Dawson d’Accra est alors dépêché sur place.
Le voyage lui est particulièrement douloureux. Vingt-cinq ans auparavant, sa mère disparaissait dans le même village lors d’une visite à sa sœur. Depuis, Dawson n’y est jamais retourné. Les souvenirs de son dernier séjour à Ketanu affleurent : le trajet en « tro-tro » (minibus) avec sa mère et son frère, la cuisine de la tante Osewa, les parties d’awalé en compagnie de l’oncle Kweku…
Les investigations seront laborieuses : les autorités villageoises ne voient pas d’un bon œil l’arrivée d’un policier de la capitale. Et si cette enquête remettait en question leurs privilèges ? Et si Dawson apprenait que Gladys Mensah s’opposait au système des trokosi, ces jeunes vierges abandonnées aux mains du sordide féticheur Fafali Acheampong pour conjurer une malédiction ? Et s’il lui venait à découvrir ce qui est advenu à sa mère ?
Pour ce premier polar, l’auteur s’est nourri de ses années d’enfance pour décrire une Afrique où le poids des traditions freine la lutte contre l’épidémie du sida et entrave l’émancipation des femmes. Où les féticheurs et autres marchands d’espoir exploitent les âmes en détresse. Né au Ghana, d’un père ghanéen et d’une mère africaine-américaine, Kwei J. Quartey a grandi « au milieu des livres » (Conan Doyle, Henry James, John Le Carré, Chinua Achebe, V.S. Naipaul), à Accra, où ses parents enseignaient à l’université. Il vit aujourd’hui à Pasadena (États-Unis), où il est médecin.
Gombo
de Gérard Delteil, Liana Levi, 290 pages, 17 euros.
C’est bien connu, si le gombo ne fait pas le bonheur, il permet à une minorité de préserver ses privilèges et de monnayer le silence d’éventuels gêneurs. Jean-Christophe Assamoa, rédacteur en chef d’un journal camerounais, n’appartient pas à la caste des arnaco-journalistes. L’acheter, impossible… Alors quand il s’attaque à l’icône à laquelle personne ne touche, il se retrouve en prison. Mais même à l’ombre, il reste un fureteur à la curiosité inextinguible. Et découvre que des prostituées emprisonnées servent de cobaye à une grande firme pharmaceutique. Pour se débarrasser de lui, rien de tel qu’un bon vieux barbouze français. Si le cocktail est classique – prostitution, pots-de-vin, multinationales, Blancs racistes, etc. –, Gombo explore avec habileté les recoins sombres de la société camerounaise. Et montre comment la dérive de la mondialisation débouche parfois sur une extrême violence.
Le cerveau de Kennedy
de Henning Mankell, éditions du Seuil, 402 pages, 22 euros.
Louise Cantor est une Suédoise très contemporaine : sa vie s’éparpille entre son travail d’archéologue, ses amants, un mari disparu, un père solitaire. Le nouveau « roman noir » d’Henning Mankell commence quand la « catastrophe » s’abat sur cette existence en pointillés. Henrik, l’enfant unique, est retrouvé décédé dans son lit, en pyjama. Vraisemblablement suicidé. Pour Louise, ce n’est pas possible :il dormait toujours nu… Commence alors l’enquête d’une mère qui cherche à savoir de quoi est mort son fils et découvre qu’elle ne le connaissait pas.
L’enquête devient quête : entraînée en Afrique – Henning Mankell partage sa vie entre la Suède et le Mozambique –, Louise Cantor ouvre peu à peu les yeux sur le monde tel qu’il est. Cruel, injuste, dangereux. À Maputo, elle est confrontée à la prostitution, aux diplomates libidineux qui profitent de manière éhontée de leur statut, aux Organisations non gouvernementales qui cachent parfois des monstres d’inhumanité… « Je crois commencer à deviner la réalité de ce continent. Face à la pauvreté, des forces brutales étendent leur empire sans rencontrer aucune résistance », dit-elle, avant de comprendre que ces forces-là ne la laisseront jamais tranquille : « Je pensais les laisser derrière moi en quittant l’Afrique, mais je me suis trompée. » Amère découverte d’une réalité sordide.
Miracle à Speedy Motors
d’Alexander McCall Smith, 10/18, 256 pages, 7,40 euros.
VOICI un polar qui, pour un peu… n’en serait pas un ! Dans Miracle à Speedy Motors, pas de meurtre à élucider ni de complot à déjouer. Mais une famille à retrouver.
Une femme au passé mystérieux, Mma Manka Sebina, recherche ses parents biologiques. Elle s’adresse à Mma Precious Ramotswe. Loin d’être « une sorte d’agent secret mêlé à toutes sortes d’affaires spectaculaires », cette femme à « la constitution traditionnelle » – entendez un bon 48 de tour de taille – résout des affaires plutôt simples grâce à son intuition féminine : arnaque à l’assurance, mari volage, chantage… Mma Ramotswe est une femme généreuse qui chérit par-dessus tout son pays, ses paysages poussiéreux, ses us et coutumes. Le ton est élégant, poli. Le Botswana présenté de manière idyllique.
L’auteur – Alexander McCall Smith, un ressortissant britannique né en 1948 au Zimbabwe – a vendu plus de 6 millions d’exemplaires dans le monde des huit premiers tomes des enquêtes de Mma Ramotswe. Un succès qui a inspiré le réalisateur britannique Anthony Minghella. Depuis mars, la chaîne américaine HBO diffuse la série The No. 1 Ladies’ Detective Agency, avec la chanteuse Jill Scott dans le rôle de Mma Ramotswe.
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