Musique : sur les traces du Pérou noir

Les groupes Novalima et Chinchivi remettent au goût du jour les rythmes des esclaves. Et signent un retour rénové de la tradition afro-péruvienne.

Publié le 21 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

« Negrito ! Negrito ! Negrito ! » (« Petit Noir ! Petit Noir ! Petit Noir ! ») Au Café de la danse, début avril à Paris, le public ne peut contenir son enthousiasme à chaque solo des joueurs de cajón. Lointains descendants des premiers esclaves africains, les percussionnistes du groupe Novalima, Juan Medrano Cotito et Mangue Vásquez, frappent avec maestria sur cette petite caisse de bois qu’ils tiennent entre leurs jambes.

De simple récipient utilitaire, le cajón est devenu au fil des ans l’instrument roi des Noirs du Pérou, à qui le colon blanc interdisait l’usage du tambour. Avec la quijada (mâchoire d’âne que l’on frappe), il symbolise cette musique née sur la côte Pacifique de l’ancien Empire inca, là même où Francisco Pizarro et ses hommes ont entrepris en 1526 leur conquête coloniale et « importé » d’Afrique la main-d’œuvre destinée aux grandes plantations. Loin des sommets andins et des flûtes indiennes, le cajón de la côte donne à la musique afro-péruvienne cette sonorité si particulière, à la fois grave et puissante, qui est sa marque de fabrique. 

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« Un noir président »

Certains connaisseurs ont déjà eu l’occasion d’apprécier The Soul of Black Peru, sorti en 1995 sur le label Luaka Bop. Cette compilation faisait découvrir les figures historiques du genre, telles que Nicomedes Santa Cruz, les musiciens du célèbre groupe Perú Negro, les chanteuses Eva Ayllón, ou encore Susana Baca, qui s’est imposée comme sa principale ambassadrice à travers le monde.

Aujourd’hui, c’est une nouvelle vague qui débarque sur les côtes européennes. Actuellement en tournée pour la promotion de son nouvel album, Coba Coba, Novalima se veut la figure de proue d’un retour rénové à la tradition afro-péruvienne. À l’origine du projet, quatre musiciens : Rafael Morales (guitare), Carlos Li Carrillo (basse), Ramón Pérez Prieto (clavier) et Grimaldo del Solar (programmation).

Rien, pourtant, ne prédisposait ces Liméniens blancs à puiser dans le répertoire afro-péruvien. Amis depuis l’adolescence, ils se côtoyaient au sein de divers groupes de rock de Lima. « Nous sommes partis faire notre vie dans différents coins du monde, ce qui nous a permis de connaître de nouvelles sonorités. On continuait néanmoins à s’écrire et à s’échanger des musiques via Internet. En 2001, on a décidé de fonder un groupe, explique Carlos Li. Au Brésil, j’avais vu une pancarte indiquant la ville de Novalima. J’en ai parlé aux autres. On a trouvé que ce concept de “nouvelle Lima” collait parfaitement à nos aspirations en matière de recherche musicale. »

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Leur premier album, en 2002, porte le nom de la formation et se veut un mélange de styles et de rythmes très divers. Mais il ne contient que deux titres empruntés à la musique noire de leur pays. C’est la rencontre avec le percussionniste Mangue Vásquez – arrière-petit-fils de Porfirio Vásquez, qui fonda le premier mouvement musical noir à Lima – qui imprimera définitivement cette couleur au groupe. Leur deuxième album, sorti en 2006, s’intitule alors Afro. Il reprend des thèmes des maîtres (Nicomedes Santa Cruz, Lucila Campos, Lucha Reyes, Arturo Zambo Cavero) et accroche un nouveau public européen. Le disque se vend à près de 50 000 exemplaires dans le monde.

Le groupe récidive fin 2008 avec Coba Coba, dans lequel les rythmes afro-péruviens se mêlent aux grooves modernes, aux sons synthétisés et à l’indispensable guitare basse. Mais si l’ambiance de l’album est plutôt soft, sur scène c’est une autre histoire. Les Afro-Péruviens mettent le feu. Il faut dire qu’avec la chanteuse Milagros Guerrero, venue tout droit de Lima, Mangue Vásquez et Juan Medrano Cotito, le festejo (danse festive) est assuré.

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« Nous n’avons pas de règles, explique Carlos. L’un de nous part d’une idée, puis on improvise sur un rythme donné jusqu’à ce que la chanson prenne vie. » Pour ce nouvel album, le groupe a fait appel au mixeur londonien Toni Economides pour parfaire le mélange des genres. Résultat : douze titres, des compositions originales et des reprises. « Libertá », par exemple, est un classique de Caitro Soto, du groupe Perú Negro, dont certaines paroles (« un jour un Noir sera président… ») se sont révélées prémonitoires… tout du moins en Amérique. « Se me van los pies » est un autre standard sorti de l’inspiration du percussionniste Cotito, qui fait la part belle aux claquettes. Autrement dit, au zapateo, exercice typiquement afro-péruvien qui consiste à produire des rythmes en frappant le sol avec les pieds, mais aussi en se frappant les cuisses et la poitrine.

Et s’il est un roi du zapateo, c’est bien Miguel Ballumbrosio, fondateur en 2005 avec son frère José du groupe Chinchivi, dont le premier album, Yana Runa (« Noir andin » en langue quechua), est sorti en 2008. En vente sur Internet, il n’a pas encore trouvé de distributeur français. Originaires du village d’El Carmen, dans la vallée de Chincha, l’un des plus importants foyers de culture noire du Pérou, c’est à Paris qu’ils se sont installés pour faire connaître au monde leur musique. 

Mépris et isolement

Nettement moins porté sur l’électronique et les synthétiseurs que Novalima, c’est avec d’autres mélanges que Chinchivi s’attache à renouveler le genre. Avec Rodolfo Muñoz, formé à La Havane, la tradition afro-cubaine et les subtils tambours bata se mêlent au puissant cajón. Avec Pichio, une touche de blues dans la voix se marie agréablement à la guitare électrifiée de José Larrea, venu d’un célèbre groupe rock de Lima. Pedro Bernales et Miguel Ballumbrosio (un ancien de Perú Negro) rivalisent de dextérité au cajón, au zapateo, ou aux congas.

Pour ce dernier, une chose est claire : « S’il est important de faire connaître notre musique et de la moderniser, il ne faut pas le faire à n’importe quel prix. Les raíces [“racines”] doivent être respectées et valorisées. » Ce n’est certes pas Amador, le père de Miguel, qui dira le contraire. Ce maçon du village d’El Carmen, devenu violoniste et maître de danse de negritos, aujourd’hui âgé de près de 80 ans, sait bien dans quel mépris et quel isolement a longtemps vécu la musique afro-péruvienne en son propre pays. Savoir que ses propres enfants la font entendre et applaudir aujourd’hui jusque sur les rives de la Seine doit lui faire chaud au cœur.

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