Mythes et réalités de la finance islamique

Se présentant comme la seule alternative à la crise, la finance conforme à la charia cherche à étendre son emprise, notamment en Afrique. Mais la cherté et la complexité des produits freinent sa course en avant.

Publié le 21 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

À l’heure où l’on parle moralisation et refonte du système financier international, la finance islamique brandit ses principes comme autant de vaccins préventifs : interdiction de l’intérêt (riba), de la spéculation (gharar), de l’incertitude des ventes (mayssir) et du financement d’activités illicites (haram) telles que l’alcool, les jeux de hasard, l’armement… Avec ce credo : l’activité doit être adossée à des actifs tangibles, ancrés dans l’économie réelle. Voilà pourquoi les actifs islamiques nourris aux pétrodollars du Golfe seraient, selon leurs promoteurs, restés à l’écart de la crise financière mondiale. Et pourquoi l’Occident manifeste un intérêt croissant pour cette finance alternative et sa manne de 500 milliards de dollars d’encours (hors fonds d’investissement islamiques), soit l’équivalent du plan Paulson lancé par l’Amérique pour sauver ses banques. Et pourquoi encore Paris veut concurrencer Londres, qui a créé, en 2004, la première banque européenne 100 % islamique, l’Islamic Bank of Britain. « C’est un dossier que je ne lâcherai pas, a déclaré à Jeune Afrique Christine Lagarde, ministre française de l’Économie et des Finances. « J’irai jusqu’au bout, il n’y a pas de raison que ce soit toujours du même côté de la Manche ! »

Reste que la supposée résistance de la finance islamique à la crise est particulièrement prise en défaut dans le domaine immobilier. L’activité s’est largement dégradée et ceux qui la financent en subissent le contrecoup. Pas seulement à Dubaï, mais aussi au Maghreb, où des projets sont suspendus, voire abandonnés. Durant une décennie, dans l’après-11 septembre 2001, la région a bénéficié d’un apport important de capitaux arabes. Le mouvement s’est accéléré ces quatre dernières années, concentré dans les infrastructures et l’immobilier, avec des projets titanesques au Maroc, en Algérie, en Libye et en Égypte… Mais les désillusions commencent : la Noor Islamic Bank, qui avait ouvert en 2008 en Tunisie un bureau pour l’Afrique du Nord, vient de plier bagage. En janvier 2009, Sama Dubai, la branche internationale et d’investissement du groupe Dubai Holding, a interrompu sine die le chantier de la ville nouvelle d’Amwaj, entre Rabat et Salé, au Maroc. Au plan général, « les opérations de financement sont devenues plus difficiles pour les institutions islamiques », explique Hamza Bouaziz, économiste et doctorant en finance islamique à Paris. Comme pour les banques conventionnelles.

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De surcroît, les obstacles à l’essor de la finance islamique demeurent nombreux. À commencer par la cherté des produits et services charia-compatibles. « Ce qui les rend plus coûteux, explique Abderrezak Belabès, chercheur au sein de l’Islamic Economics Research, centre de l’université de Djeddah, en Arabie saoudite, c’est le recours à des subterfuges pour contourner l’interdiction d’intérêt. » Exemple : la banque n’applique pas d’intérêt à un prêt, mais elle se rémunère via une commission définie à l’avance avec le client. Pour financer l’achat d’immeubles ou d’ordinateurs, elle les achète pour les revendre à terme, avec un bénéfice… Souvent assorti d’une double taxation, faute d’une réglementation fiscale adaptée. C’est ainsi qu’au Maroc les produits islamiques sont deux à trois fois plus coûteux. Déjà handicapées en Europe en raison de ce surcoût, les banques islamiques sont encore plus freinées dans des pays au pouvoir d’achat plus faible. 

Al Baraka est la plus rentable

Il n’empêche, bien que le mouvement demeure timide, ces dernières années ont vu la création de banques 100 % islamiques dans plusieurs pays africains. Après l’Égypte, initiée dès les années 1970, elles ont pris pied en Algérie en 1991 avec une filiale de la banque bahreïnie Al Baraka. Également présente en Égypte, en Mauritanie (via une participation dans Al Wava), au Soudan et en Tunisie, Al Baraka est aujourd’hui la plus importante banque islamique en Afrique. Et sa filiale en Algérie, la plus ancienne des banques privées, serait aussi « la plus rentable, avec un retour sur investissement [ROE] supérieur à 16 % », affirme Zoubeïr Ben Terdeyet, fondateur du cabinet conseil français Isla-Invest et initiateur du Forum africain de la finance islamique, dont la seconde édition s’est tenue début avril à Casablanca. Les banques de la région affichent un ROE situé entre 8 % et 13 % et, aux beaux jours, les meilleures banques occidentales dépassaient les 20 %. En octobre, Al Baraka devra affronter un concurrent en Algérie, la Banque émiratie Al Salam, agréée depuis 2006 et en cours de lancement, tandis que deux autres ont déposé une demande d’agrément : l’Abu Dhabi Islamic Bank (ADIB) et Kuwait Finance House (KFH).

En Tunisie, la nouvelle banque Zitouna, propriété de Mohamed Sakher el-Materi (détenteur de la radio du même nom), aurait été agréée en janvier 2009. Jusqu’ici, la Tunisie, pourtant membre fondateur de la Banque islamique de développement (BID) en 1973, ne comptait que la BestBank, créée en 1983 sous statut offshore et rebaptisée en 2009 Banque Al Baraka Tounes, qui ne s’adresse qu’aux institutionnels locaux et aux investisseurs du Golfe. Le Maroc, de son côté, semble peu enthousiaste : après avoir autorisé la commercialisation de trois produits en octobre 2007, l’Ijara, la Mucharaka et la Mudaraba (lire ci-dessus), la bonne volonté des autorités s’est enrayée : toutes les demandes déposées par des banques islamiques, comme la Qatar International Islamic Bank, demeurent bloquées.

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Au sud du Sahara, sept pays ont à ce jour accordé une licence bancaire à des institutions islamiques : la Mauritanie, le Sénégal, le Niger, la Gambie, la Guinée, le Liberia et Djibouti. Et ce ne sont pas seulement les pays estampillés musulmans qui sont concernés. À Maurice (20 % de musulmans) et en Tanzanie (37 %), comme en Afrique du Sud et au Kenya, qui ont vu débarquer deux établissements islamiques chacun en 2007, Gulf African Bank et First Community Bank, la finance islamique est considérée comme un marché « communautaire ». La médaille africaine de l’exemplarité en matière de banques islamiques revient cependant au Soudan, dont le Nord a un secteur bancaire 100 % charia-compatible. Ses 22 banques islamiques et près de 10 milliards d’actifs « charia-compatibles » pèsent pour près des deux tiers du total des actifs de la finance islamique sur le continent. Anouar Hassoune, vice-président de Moody’s, voit le Soudan comme « le laboratoire africain de la finance islamique », voire comme « une plate-forme de lancement vers les pays voisins ».

Pas sûr cependant que la greffe soit rapide et d’importance sur le continent. Même s’il compte 412 millions de musulmans, desservis à ce jour par 37 établissements islamiques qui contrôlent près de 18 milliards d’actifs, soit 8 % du marché bancaire total, et 7 % du potentiel de 235 milliards de dollars estimé par Moody’s. D’autant que l’intérêt des investisseurs arabes pour les ressources en matières premières du continent peine à se concrétiser. Si elles représentent autant d’actifs pleinement charia-compatibles, pour l’heure, elles attirent davantage les Occidentaux, les Indiens et les Chinois. Autre difficulté : le manque de compétences dans un domaine qui réunit à la fois des connaissances théologiques et une expertise en ingénierie financière. Sur le continent, seuls le Soudan et l’Égypte ont développé un diplôme en finance islamique. Ils seront rejoints, à la prochaine rentrée, par l’université de Sétif, en Algérie.

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Enfin et surtout, insiste Imane Karich, spécialiste reconnue, le système financier islamique, bien que bâti sur des valeurs morales indéniables, n’est pas immunisé contre les dérives ou les pratiques douteuses. Comme elle, la plupart des professionnels reprochent aux établissements financiers islamiques de manquer de transparence, notamment dans la présentation de leurs comptes. Or sans transparence, point de salut… Ce qui est vrai pour la finance conventionnelle l’est également pour la finance islamique.

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