Nacer Kettane

Il est natif de Kabylie. En 1981, profitant de la libération de la bande FM, il a lancé Radio Beur. Aujourd’hui, il dirige Beur FM, la première radio maghrébine de France.

Publié le 21 avril 2009 Lecture : 6 minutes.

Nacer Kettane (55 ans) a beau être PDG de Beur FM, première radio maghrébine de France avec 300 000 auditeurs quotidiens, 4 webradios thématiques et un site Internet accueillant 600 000 visiteurs par mois, il reçoit sans cérémonie. Il vous offre un café, vous demande une cigarette parce que les siennes « sont trop light », puis s’enfonce dans un fauteuil en cuir, prêt à dérouler le fil de sa vie.

Dans son bureau s’entassent livres, affiches, brochures et sacs de voyage – il est constamment entre deux avions –, mais aucun poste de radio ne grésille et l’écran de la télévision reste noir. Trop occupé pour prendre le pouls du monde, le patron ? Non, pressé, voilà tout. Cette semaine, il s’est démené comme un beau diable pour faire d’Urban Raï, le concert pour la diversité que Beur FM organisait au Zénith de Paris, un succès.

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À l’en croire, il aurait pu devenir enseignant, médecin, ingénieur ou même berger dans ses montagnes de Kabylie. Mais « les événements » en ont décidé autrement. C’était en 1957, aux heures sombres de la guerre d’Algérie…

Né quatre ans auparavant, Nacer Kettane vivait avec sa mère et son frère aîné à Kebouche, un misérable douar de Petite Kabylie. La population soutenant la cause des maquisards, le village, en guise de représailles, avait été rasé. Sans domicile avec deux enfants à charge, la mère de Nacer n’avait eu d’autre choix que de rejoindre son mari, immigré en France pour trouver du travail. « Si l’armée française n’avait pas détruit mon village, sans doute n’aurais-je jamais quitté l’Algérie », dit-il.

Un mal pour un bien. Cinquante ans après ce douloureux épisode, Nacer Kettane se dit comblé. Médecin, écrivain, fondateur de Beur FM et de Beur TV, conseiller municipal sans étiquette du 20e arrondissement de Paris, il est souvent cité comme un exemple d’intégration. Non sans fierté, il rappelle volontiers le discours qu’il a prononcé, en décembre 2003, après avoir reçu les insignes de chevalier de la Légion d’honneur :

« À ma mère qui a échappé au napalm de la guerre d’Algérie et qui, transplantée dans une société occidentale agressive à bien des égards, a élevé malgré toutes ses souffrances ses dix enfants avec dignité et fierté. À mon père, soldat de la France libre contre l’occupant nazi, puis militant du FLN pour l’indépendance de l’Algérie, qui a brûlé sa peau et ses plus belles années dans les usines de France pour garantir à ses enfants une vie décente. »

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Il y a tout dans cette tirade : l’engagement paternel pour la France coloniale, les meurtrissures de la guerre d’Algérie, les affres de l’immigration et, pour finir, la réussite individuelle. Pourtant, Nacer, enfant d’immigrés déracinés, aurait tout aussi bien pu rater sa vie.

Nous sommes à la fin des années 1950. Le père, la mère et les quatre enfants Kettane s’entassent dans une minuscule pièce sans eau courante, sans gaz ni électricité du côté du Bourget, dans la banlieue nord de Paris. Pourtant, à force de travail, la situation s’améliore peu à peu et, en 1963, la famille déménage dans un logement plus spacieux à Maisons-Alfort, dans le Val-de-Marne. L’eau coule au robinet, les enfants disposent chacun d’une chambre et peuvent même regarder la télé.

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Il n’empêche : la vie dans cette cité n’est toujours pas très propice à l’épanouissement personnel. Vols, agressions, trafic de drogue, Nacer évolue dans un milieu qu’il qualifie d’« hostile ». Le salut viendra de sa passion pour les livres, notamment les classiques de la littérature française : Balzac, Molière, Zola et les autres. « J’ai été élevé à la dure, concède-t-il. À la maison, il fallait parler kabyle plutôt que français. Il était interdit de siffler, de danser ou d’écouter la radio. Si je n’avais pas été bon à l’école, jamais je ne m’en serais sorti. »

Premier en maths comme en lettres, Kettane mène une scolarité brillante. Après son bac, il s’inscrit en 1973 à la faculté de médecine de l’université Paris-XII, qu’il quittera sept ans plus tard, diplôme de médecin généraliste en poche.

Parallèlement à ses fonctions de réanimateur à la Clinique du Bois-de-Verrières, à Antony (banlieue sud), et de « médecin transporteur » chez Mondial Assistance, il s’investit dans le mouvement de défense des minorités maghrébines. Pour lui, c’est une évidence. N’a-t-il pas été, très tôt, confronté au racisme et à la discrimination ? « Bien que possédant la nationalité française, on m’a toujours fait sentir que j’étais un Arabe, un fils d’immigré, pour ne pas dire un bougnoule… »

Le tournant a lieu en 1981, avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand. Peu après son élection, le nouveau Président bouleverse le paysage audiovisuel français en libérant les ondes FM. Nacer Kettane s’engouffre dans la brèche et, dès le mois de novembre de cette même année, crée Radio Beur avec un collectif d’amis. C’est la première radio généraliste destinée aux Maghrébins. Ses locaux sont installés dans un petit pavillon de Montreuil. On y parle indifféremment français, kabyle et arabe.

La cause est juste, bien sûr, mais les fonds manquent. « Pour aider la station à acheter du matériel, le chanteur Idir a accepté d’organiser un concert et de nous reverser la totalité de la recette », raconte Nacer. Pendant dix ans, Radio Beur est le témoin privilégié d’événements qui marqueront la société française : la percée du Front national, la marche des Beurs (décembre 1983), la mort de Malik Oussekine lors d’une manifestation étudiante contre la loi Devaquet (1986), la naissance de SOS Racisme (1984)… « C’était une époque excitante, se souvient-il. J’avais conscience de participer à un mouvement qui allait révolutionner les mentalités. Nous n’étions plus des enfants issus de l’immigration, mais des Français pourvus d’une double culture. »

Las du bénévolat, Nacer Kettane quitte Radio Beur en 1991. Un an plus tard, avec un modeste capital de 50 000 francs (7 500 euros), il fonde Beur FM, loue un local place de la République, dans le 10e arrondissement, et engage une équipe de vingt personnes. « Au début, c’était de l’artisanat, convient-il. Mais avec le temps, l’équipe s’est aguerrie, professionnalisée. » La journaliste et productrice Samia Messaoudi a vécu ces temps héroïques. « S’il est courtois et attentif avec ses collaborateurs, raconte-t-elle, Nacer n’en est pas moins exigeant. À l’occasion, il peut se montrer délirant, mais c’est un bourreau de travail. »

D’où, sans doute, le succès de cette radio qui accueille des artistes et des intellectuels africains ou antillais, sponsorise des festivals, organise des concerts, s’associe à des maisons d’édition et produit CD et DVD. « Concernant l’expression de la diversité, nous sommes aujourd’hui la station numéro un », annonce fièrement Nacer Kettane. De fait, Beur FM dispose de 17 fréquences et de 5 régies publicitaires, touche quelque 4,5 millions d’auditeurs par an et réalise un chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros (en 2007).

En 2003, rattrapé par le virus de la télévision, Kettane lance Beur TV, la « chaîne Méditerranée ». Talk-shows, magazines, séries, documentaires, mais peu d’informations. Diffusée 24 heures sur 24, Beur TV s’adresse à un public majoritairement maghrébin. Pourtant, contrairement à sa sœur aînée de la bande FM, elle n’est pas épargnée par les difficultés. En 2007, elle a même été placée en redressement judiciaire. Mauvaise passe ?

« Le projet reste fiable, surtout après le lancement de l’Union pour la Méditerranée, tempère son PDG. D’ailleurs, si des gens ou des groupes souhaitent entrer dans le capital de la chaîne, je suis preneur. » À bon entendeur…

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