Éric Besson, l’anti-Hortefeux

Pour l’opposition de gauche, il est un « traître ». Pour la majorité, un précurseur de l’ouverture. Nouveau ministre de l’Immigration, il refuse d’être le « Monsieur Expulsion »
de la République et se rêve en artisan de l’amélioration des relations Nord-Sud. Portrait.

Publié le 21 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

En 1982, le jeune Éric Besson échoue à l’oral du concours d’entrée à l’École nationale d’administration. Nullement abattu, il emprunte de l’argent à un membre de sa famille et s’offre un quart de page de pub dans le quotidien Le Monde. Pour expliquer qu’il n’a pas besoin de l’ENA pour réussir. « Je ne crois pas que l’État soit le seul à satisfaire l’intérêt général », fait-il savoir. L’anecdote en dit long sur le culot, mais aussi les contradictions, d’un homme au parcours atypique qui, vingt-sept ans plus tard, dirige l’un des ministères les plus sensibles : celui de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire.
Tout, jusqu’à l’apparence physique, l’oppose à Brice Hortefeux, son prédécesseur, enfant de Neuilly-sur-Seine et sarkozyste de la première heure. Éric Besson est né en 1958 à Marrakech, très loin, donc, des beaux quartiers de l’Ouest parisien. Sa mère était d’origine libanaise ; son père, pilote instructeur dans l’armée française, mourra dans un accident trois mois avant sa naissance. « Mon premier souvenir d’enfance remonte à 1960. J’avais à peine 2 ans, mais je me souviens parfaitement du terrible tremblement de terre d’Agadir », raconte-t-il.
Il fait ses études au lycée agricole de Témara, puis passe son bac au lycée Lyautey, à Casablanca. Du Maroc, il conserve quelques mots d’arabe et de nombreux souvenirs, qu’il évoque avec tendresse et nostalgie. « Le fait d’avoir grandi au Maghreb n’est pas anodin. Dominique de Villepin et Dominique Strauss-Kahn sont dans le même cas. Comme moi, ils en gardent le sentiment que la vie est peut-être ailleurs. Sans doute sommes-nous moins programmés que d’autres. »
À 17 ans, il s’installe en France pour y poursuivre ses études à l’École supérieure de commerce de Montpellier, puis à Sciences-Po Paris. Recalé de la haute fonction publique, il commence une carrière dans le privé : d’abord, chez Renault, puis au magazine Challenges, enfin à la fondation Vivendi, où il s’occupe de la réinsertion des chômeurs. C’est à cette époque que Jean-Marie Messier, son patron et ami, lui présente Nicolas Sarkozy, lors d’un dîner-débat.
« Mais qui connaît M. Besson ? »
Mais le virus de la politique le rattrape. En dépit de parents « catholiques pratiquants et plutôt de droite », il choisit, en 1993, d’adhérer au Parti socialiste. À 37 ans, il est élu maire de Donzère, petite ville de la vallée du Rhône, où il se rend encore, chaque week-end, pour présider le conseil municipal.
À l’époque, sa notoriété ne va guère au-delà. Comme le dira des années plus tard, après son ralliement à Sarkozy, Ségolène Royal : « Mais qui connaît M. Besson ? » Réponse : personne. En tout cas, dans l’opinion et les médias nationaux. Pendant la campagne présidentielle de 2007, c’est pourtant cet inconnu qui est chargé d’une mission sinon impossible, du moins passablement ardue : chiffrer le « pacte présidentiel » de la candidate socialiste. Très vite, des divergences l’opposent à l’équipe de campagne, qu’il juge mal organisée. Le 21 février, lors du congrès du PS, il claque la porte et annonce son retrait de la politique.
Passionné de football, il caresse un moment l’idée de racheter le glorieux FC Nantes, alors au fond du trou. Mais il ne supporte aucun club en particulier. « En ce moment, c’est le Barça [le FC Barcelone, NDLR], parce que j’aime les équipes qui attaquent », explique-t-il. Et celles qui gagnent, aurait-il pu ajouter. 
Le jour du premier tour de la présidentielle, il annonce officiellement son ralliement à Nicolas Sarkozy, un « homme d’action », qu’il juge « le mieux préparé, le plus qualifié et le plus cohérent » de tous les candidats. Chargé de structurer le « pôle de gauche » de la nouvelle majorité, il est la figure de proue de la politique d’ouverture. Sarkozy ne se montre pas ingrat et, le 18 mai 2007, le nomme secrétaire d’État à la Prospective. 
Dans les rangs de ses anciens camarades, c’est une levée de boucliers : du jour au lendemain, Besson devient le « traître », le « félon ». Même s’il affirme avoir conservé de nombreux amis au PS, beaucoup l’accusent d’avoir brûlé ses convictions sur l’autel de l’ambition. Et ce n’est pas sa double nomination au ministère de l’Immigration et au secrétariat général adjoint de l’UMP, le parti au pouvoir, qui risque d’améliorer son image dans l’opposition ! Mais l’intéressé n’en a cure : ni regrets ni états d’âme. « Nietzschéen jusqu’au bout, je suis par-delà le bien et le mal », dit-il. S’il a rompu avec le PS, c’est parce qu’il était fatigué de l’« angélisme » de ses petits camarades, ces « bobos bien-pensants » qui s’arrogent le monopole de la morale. 
ARRONDIR LES ANGLES
Fin 2008, il a été « très étonné » de se découvrir dans la presse en possible successeur d’Hortefeux. Avant d’accepter, il a longuement réfléchi. Peut-être craignait-il de se retrouver en porte-à-faux… avec lui-même. En janvier 2007, n’avait-il pas durement critiqué la politique migratoire de la droite dans un livre intitulé Les Inquiétantes Ruptures de M. Sarkozy ? Lui à qui « les chefs d’État africains téléphonent à la maison » pour parler à sa femme, Sylvie Brunel, géographe et ancienne présidente d’Action contre la faim, craignait peut-être aussi de ne pouvoir reprendre à son compte le discours très controversé prononcé à Dakar par le président de la République.
Pas sûr, enfin, que Besson défende avec autant de pugnacité que son prédécesseur le recours aux tests ADN pour les candidats à l’immigration. Quand on lui demande s’il envisage de signer le décret d’application, il reste évasif : « Je ne sais pas, cela dépendra de ma capacité à traduire à la fois l’esprit et la lettre de la loi. » Il attend d’avoir « la conviction absolue que tout a été fait sur le plan éthique et sur celui des réalisations concrètes ». Tenterait-il de gagner du temps pour mieux enterrer le projet ?
« Hortefeux souffrait d’une mauvaise image, trop franco-française. Lui saura arrondir les angles, faire la démonstration de sa sensibilité et de son ouverture au monde », estime l’un de ses proches. Bref, Éric Besson ne veut pas être le « Monsieur Expulsion » de la République. Il se verrait bien dans le rôle d’un « ministre des Relations Nord-Sud ». Recentrée sur le développement solidaire et l’intégration, sa stratégie de communication va manifestement dans ce sens. « Je souffre de voir à quel point notre politique d’immigration est caricaturée. On passe son temps à crier au fascisme, c’est insupportable », répète-t-il. Et d’énumérer les chiffres : chaque année, la France accueille 200 000 étrangers en situation régulière et en naturalise 100 000 autres. Elle est le pays européen le plus généreux en matière de droit d’asile… 
Mais le chiffre que retient l’opinion reste celui des reconduites à la frontière : 27 000 d’ici à la fin de l’année. « La France n’est pas le monde de Walt Disney », répond Éric Besson. Sans doute, mais pour ceux qui l’ont hué lors de l’inauguration de la Cité de l’immigration ou lors d’un récent passage à Évry (à l’invitation de Manuel Valls, le maire socialiste), il a toutes les apparences du grand méchant loup.

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