« L’homme le plus populaire de la planète »

Tel est le jugement de Barack Obama sur Luiz Inácio Lula da Silva. Exagéré ? Peut-être. Pourtant, grâce à son charisme et à ses succès économiques, l’intéressé est bel et bien en passe de faire de son pays une grande puissance.

Publié le 21 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva est peut-être « l’homme le plus populaire de la planète », comme le lui a déclaré avec flamme le président américain Barack Obama, à Londres, le 3 avril. Mais c’est surtout l’un des plus activistes. Et l’un des plus complexes.

En mars, il attaque les États-Unis, qui n’ont pas démantelé les subventions qu’ils allouent à leur coton, comme l’exige l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et leur réclame pas moins de 2,5 milliards de dollars de dommages et intérêts. Dans la foulée, le Brésil attribue, le 11 mars, une aide de 4,7 millions au Burkina, au Mali, au Tchad et au Bénin pour les aider à améliorer leur coton.

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Lula est du côté des pauvres, contre les riches. Ne propose-t-il pas aux Chinois de se passer du dollar pour leurs transactions commerciales ?

Un rebelle, donc ? Pas si simple. Du 14 au 16 avril, à Rio de Janeiro, dans le cadre du Forum économique mondial, le voilà qui accueille la fine fleur de l’économie capitaliste. Mieux, il met la main au portefeuille et offre de prêter 4,5 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI) pour lui permettre de porter secours aux pays en difficulté. C’est le monde à l’envers puisqu’il y a quatre ans le Brésil manifestait son retour en forme en remboursant d’un coup sa dette de 15,5 milliards à l’égard du FMI. 

« Don Quichotte de l’optimisme »

Deux semaines auparavant, le 1er avril, Lula avait quitté le déjeuner organisé lors du sommet arabe de Doha pour ne pas s’asseoir à côté du président Omar Hassan el-Béchir, contre lequel la Cour pénale internationale a délivré un mandat d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité au Darfour. Un militant des droits de l’homme, donc ? Trop réducteur pour un homme qui, depuis des années, travaille à la réintégration dans le concert politique américain d’un régime castriste qui n’est certes pas une référence en matière de respect des libertés élémentaires.

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À l’occasion, la crise mondiale inspire à ce « Don Quichotte de l’optimisme » quelques rodomontades, du genre : « Lorsqu’il arrivera chez nous, ce tsunami se limitera à quelques vaguelettes. » Mais il est vrai que son gouvernement pilote de main de maître les soubresauts économiques et financiers, jouant des taux et surveillant de près les banques brésiliennes, les plus solides du continent.

Conséquence de ce mélange de méthode Coué et d’orthodoxie digne de l’école de Chicago, les experts prédisent au Brésil une croissance proche de zéro en 2009, mais aussi une franche reprise en 2010. En Amérique latine, son pays est, après le Chili, celui où le risque est estimé le plus faible.

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Étonnant Lula ! En 2002, lorsqu’il arrive au pouvoir, cet ancien syndicaliste qui est parvenu à rassembler sous la bannière du Parti des travailleurs (PT) catholiques progressistes, paysans pauvres et trotskystes de tout poil fait peur. La monnaie brésilienne est alors en chute libre, les investisseurs s’attendant de sa part à un populisme fait de nationalisations et de subventions à tout-va. Son slogan électoral n’est-il pas : « Faim zéro, analphabétisme zéro, favelas zéro » ?

Erreur, l’ancien métallo s’entoure d’économistes libéraux qu’il défend contre vents et marées. Il bâtit des budgets plus excédentaires encore que ne le souhaite le FMI et, pour défendre la monnaie, impose des taux de plus de 20 % – record mondial ! De même, il sacrifie la réforme agraire pour avantager une agro-industrie brésilienne aux dents longues. À ceux qui l’accusent d’avoir trahi la cause du peuple, il rétorque qu’il a créé la Bolsa Familia, une bourse qui aide les familles pauvres à maintenir à l’école 15 millions d’enfants, et qu’il a augmenté chaque année le salaire minimum. En six ans, 20 millions de personnes ont ainsi été tirées de la très grande pauvreté. En outre, 10 millions de Brésiliens ont enfin été raccordés au réseau électrique et 400 000 ruraux ont pu accéder à l’agriculture vivrière.

Comparons. A priori, le Brésil de Lula semble moins puissant que la Russie de Vladimir Poutine, forte des lambeaux de son armée Rouge et de ses conquêtes spatiales. Pourtant, au classement économique mondial, le Brésil occupe la dixième place, devant la Russie. Son économie est diversifiée et s’appuie aussi bien sur les mines (la société Vale, numéro un mondial du fer), les hydrocarbures (Petrobras peut compter sur des réserves de pétrole comparables à celle du Nigeria), l’industrie automobile (Renault, Volkswagen, Ford), et aéronautique (Embraer), que sur une agriculture surpuissante, première mondiale pour le soja, le maïs, le sucre de canne, le jus d’orange, le poulet et l’éthanol. 

Social-libéralisme

Avec une croissance annuelle qui a rarement dépassé les 5 %, le Brésil fait pâle figure par rapport aux 12 % réalisés par la Chine des années durant. Mais sa croissance est plus harmonieuse, plus respectueuse de l’environnement et des besoins sociaux.

Voilà pourquoi, avec son « social-libéralisme », Lula est « l’homme le plus populaire de la planète ». Il est même devenu une sorte d’icône puisque les sondages brésiliens le créditent, selon les mois, de 75 % à 84 % d’opinions favorables.

Il ne reste à Lula que deux ans de mandat, la Constitution lui interdisant d’en briguer un troisième. S’il était le Vénézuélien Hugo Chávez, il n’hésiterait pas à profiter de la ferveur populaire pour modifier la loi en sa faveur. Mais il se veut l’anti-Chávez. Là où le Vénézuélien charge à la hussarde, lui fait preuve de sagesse : « Je crois, a-t-il déclaré à l’hebdomadaire Newsweek, que le changement de président est important pour la démocratie. »

Là où Chávez invective les Occidentaux, Lula plaide pour une meilleure gouvernance mondiale. Car son but est de s’imposer en douceur et par la séduction. Celso Amorim, son ministre des Affaires étrangères, résume en ces termes les intentions de son patron : « Nous devons rediscuter la structure des institutions internationales pour qu’elles reflètent mieux le pouvoir des pays émergents, nous a-t-il déclaré. Après tout, quand on regarde les chiffres, on s’aperçoit que ce sont les pays émergents qui soutiennent une économie mondiale aujourd’hui vacillante. » Cette prouesse devrait leur valoir plus de considération, plus de poids et plus de voix dans les instances internationales, au Conseil de sécurité de l’ONU notamment.

Qu’on ne s’étonne pas des trente-cinq nouvelles ambassades ouvertes sous sa présidence, de sa prise de position en faveur du nucléaire iranien ou de la tentative d’Amorim de jouer les médiateurs, à Gaza, entre les Israéliens et le Hamas. À la retraite dans deux ans, Lula suivra sans doute les conseils de la chanson brésilienne « Deixa a vida me levar » : il « laissera la vie le porter ». En attendant, il entend jouer de son charisme, de son aura, mais aussi des succès économiques de son pays, pour installer définitivement celui-ci parmi les grands. On va continuer à entendre parler de lui. Et pas seulement grâce à Obama !

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