Education : le privé à la rescousse du public

Grâce aux mesures incitatives prises par l’État, l’enseignement et la formation privés sont en plein essor. Mais cette stratégie de délégation de service public est loin de faire l’unanimité.

Publié le 21 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

La presse marocaine s’est fait l’écho, au début du mois de mars, des premiers résultats du rapport d’évaluation de l’enseignement publié par le Conseil supérieur de l’enseignement marocain. Sans surprise et malgré les efforts consentis par les autorités, la qualité des cours dispensés y est jugée très médiocre, et le niveau des élèves tout au plus considéré comme « moyen, voire faible ». Pas étonnant dans ces conditions que la confiance des parents dans l’Éducation nationale ne cesse de reculer et que, parallèlement, l’enseignement privé connaisse un engouement croissant.

Le Maroc compte près de 1 800 institutions privées, où sont scolarisés 500 000 élèves, soit 7 % de la totalité des effectifs. Le taux d’inscription, s’il est encore faible, augmente de 9 % par an. Le secteur, qui représente plus de 48 000 emplois, est en plein essor. Les parents sont prêts à consentir d’énormes sacrifices financiers, les frais de scolarité étant particulièrement élevés. D’après une enquête du sociologue Ahmed el-Motamassik, le coût moyen d’une inscription à l’école primaire est de 1 000 dirhams (90 euros) par mois, de 3 000 dirhams pour le cycle secondaire et de 4 000 à 6 000 dirhams pour le cycle supérieur. Pour Mina, une Casablancaise de 40 ans mère de trois enfants, le choix est clair : « Tout sauf le public », martèle-t-elle. Elle avait pourtant commencé par inscrire son fils aîné à l’école du quartier. « Mais j’ai vite renoncé. Les classes sont surchargées, les méthodes d’apprentissage complètement dépassées et les locaux délabrés. Je me suis rendu compte que mon fils risquait de ne pas mettre toutes les chances de son côté pour l’avenir », se désole-t-elle. Devant l’impossibilité de l’inscrire à l’école française, elle a opté pour une école qui lui coûte 1 500 dirhams par mois. Pour ce prix, son fils a droit à la cantine et au transport scolaire. « Je mettrai aussi ses deux sœurs dans le privé, même si, en termes de budget, cela risque d’être assez lourd. » 

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Comparaison biaisée

Comme le rappelle Ahmed el-Motamassik, « pour les parents, l’école privée est un pis-aller » et leur choix est davantage motivé par un rejet de l’école publique que par une véritable adhésion au système privé. Pourtant, les différences de niveaux entre privé et public semblent importantes. Les rares évaluations dont on dispose montrent que le taux de réussite au bac y est presque deux fois supérieur, la maîtrise du calcul et de la lecture par les élèves à l’entrée du collège mieux assurée, et l’enseignement du français de meilleure qualité. « Mais toute comparaison entre public est privé est complètement biaisée », tempère Eddoubi Abdelhak, directeur de l’Instance nationale d’évaluation et fervent défenseur de l’école publique. « Les élèves qui entrent dans le privé viennent de milieux plus aisés, où on a les moyens de leur fournir du soutien si besoin est. » Selon lui, si l’enseignement privé affiche de meilleurs résultats, c’est avant tout parce qu’il opère une sélection matérielle à l’entrée et que les conditions d’enseignement – nombre d’élèves réduit par classe, disponibilité du matériel didactique, professeurs mieux rémunérés – y sont meilleures.

Du côté des autorités, on souhaite que le secteur privé se développe, la Charte de l’éducation, promulguée en 1999, prévoyant même qu’il prenne en charge 20 % des effectifs à l’horizon 2015. « Le secteur privé de l’enseignement et de la formation est considéré comme un partenaire principal, aux côtés de l’État, dans la promotion du système d’éducation-formation, l’élargissement de son étendue et l’amélioration de sa qualité », stipule la Charte. Bref, l’Éducation nationale attend du secteur privé qu’il partage avec elle le fardeau de l’enseignement en lui permettant d’économiser près de 5 milliards de dirhams par an. Les représentants du privé ont accepté ce contrat gagnant-gagnant, mais à condition que soit desserré l’étau fiscal dans lequel ils sont pris et que soient mises en place des mesures incitatives pour favoriser leur développement. Les écoles privées avaient contracté de nombreuses dettes auprès du fisc : le montant des arriérés de 3 000 écoles s’élevait à 370 millions de dirhams en 2007. Pour près de 900 écoles, les autorités ont consenti à effacer les dettes inférieures à 200 000 dirhams et à amnistier les pénalités de retard. Les investisseurs privés sont également exemptés de la TVA sur les équipements et peuvent bénéficier de nombreuses exonérations durant les cinq premières années d’exploitation. Un mécanisme de cofinancement État-banque a été mis en place afin de subventionner dans les conditions les plus avantageuses possible des projets de création et d’extension d’établissements privés. Les investisseurs auront également accès à certains terrains publics et bénéficieront d’avantages dans l’acquisition du foncier. En retour, l’État attend des acteurs privés qu’ils assument pleinement leur mission de service public et qu’ils investissent les zones situées en dehors des centres urbains, où les retards en termes d’éducation sont les plus marqués. Aujourd’hui, les écoles privées sont concentrées là où il y a des classes moyennes : 47 % d’entre elles se trouvent sur la côte Atlantique, sur l’axe Kenitra-Casablanca. « Grâce aux mesures prises par l’État, notamment sur le plan fiscal, créer une école est devenue un business très rentable », observe Brahim Chedati, sociologue et spécialiste des questions d’enseignement. 

La loi du marché…

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Régulièrement accusé de n’être motivé que par la recherche du profit, le secteur privé souffre encore d’une mauvaise image. À la rentrée, Bahija, femme au foyer de 32 ans, a l’intention d’ouvrir une école primaire dans le centre de Rabat. « J’ai aménagé une maison en salles de classes et je viens d’obtenir un agrément. » Si elle reconnaît la notion de service public qui lui incombe, elle revendique aussi son objectif de rentabilité. « Une école privée est aussi une entreprise qui doit gagner de l’argent. Dans les zones rurales, le pouvoir d’achat reste faible et les marges sont donc très réduites. » « Croire que le privé va remplir sa mission de service public et s’installer dans les campagnes, c’est se bercer d’illusions », s’insurge Eddoubi Abdelhak. Selon lui, il est probable que les investisseurs privés continuent de développer des écoles dans les grandes villes, où le marché n’est pas encore saturé. « Plutôt que de s’installer là où le public est absent, elles le concurrencent sur son propre terrain », ajoute-t-il. La stratégie de délégation de service public mise en œuvre par l’État est donc loin de faire l’unanimité. Pour Brahim Chedati, « tant que le pouvoir d’achat des ménages n’aura pas progressé, non seulement l’objectif des 20 % est irréalisable, mais le risque de créer une éducation à deux vitesses est grand ». Au ministère, on s’inscrit en faux contre cette vision. On invoque la facilitation d’octroi de crédits pour les étudiants et on espère qu’en multipliant l’offre on assistera à une baisse des frais de scolarité.

L’éducation est présentée comme l’un des chantiers majeurs du règne de Mohammed VI. Si le partenariat avec le secteur privé est une des solutions à la faillite du système, il n’en reste pas moins que c’est à l’État de garantir l’égalité des chances et un service public pour tous. Et, pour ce faire, il devra d’abord compter sur lui-même.

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