Jusqu’où ira Abdelaziz ?
Mohamed Ould Abdelaziz démissionne de l’armée et quitte la tête de la junte au pouvoir pour s’ouvrir les portes de la présidentielle du 6 juin. Si les plus démunis, qu’il a pris soin de choyer, s’en félicitent, une partie de la classe politique craint une élection « sur mesure ».
Il a attendu la dernière minute, mais n’a surpris personne. Dans la nuit du 15 au 16 avril, le général Ould Abdelaziz a démissionné de l’armée et de son poste de président du Haut Conseil d’État (HCE), la junte de onze membres qu’il a créée après avoir renversé Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Libéré ainsi de ses fonctions militaires, il remplit les conditions pour concrétiser son ambition : être candidat à la présidentielle du 6 juin prochain.
Retransmise à la radio et à la télévision nationales, l’annonce de son départ – pour mieux revenir – vient conforter les craintes des « antiputsch », qui, dès le lendemain du coup d’État du 6 août, ont refusé de croire aux belles paroles de ce général qui assurait avoir pris les rênes par la force pour « sauver la Mauritanie » et « rectifier » la trajectoire du pays vers la démocratie. Pour eux, incrédules et décidés à en découdre avec les bérets verts – ils ont régné à Nouakchott pendant près de trente ans –, l’ambition de « Aziz » est ailleurs, bien plus personnelle, bien plus prosaïque : s’installer au pouvoir et y rester. Mais pour ceux qui l’appellent déjà « le président des pauvres », l’officialisation de l’agenda du chef nourrit l’espoir de voir les prix continuer de baisser, les chantiers multipliés, les parasites qui sèment la « gabegie » et « mangent » le bien public au détriment des plus démunis poursuivis.
Premier parti du pays, le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) d’Ahmed Ould Daddah a déjà annoncé qu’il boycotterait le scrutin, le jugeant programmé pour faire gagner le général. Rejetant cette issue, qu’elles jugent « unilatérale », les formations regroupées au sein du Front national pour la défense de la démocratie (FNDD), favorable au retour à l’ordre constitutionnel, promettent d’en faire de même. Pour l’un de ses membres, Mohamed Ould Maouloud, président de l’Union des forces de progrès (UFP), le scrutin du 6 juin est « une comédie électorale » que le FNDD s’emploiera à « discréditer ». Mais tout laisse à penser que les masses, elles, se déplaceront pour ce candidat, même si elles ne le connaissent que depuis huit mois.
Dans l’ombre d’Ould Taya
Militaire de formation et de carrière, Mohamed Ould Abdelaziz, 53 ans et père de cinq enfants, est un nouveau venu sur la scène politique. Son univers, depuis qu’il a obtenu son diplôme de l’Académie royale militaire de Meknès (Maroc) – où il a notamment eu pour condisciple le général Ould Ghazouani, numéro deux de la junte –, c’est la caserne. D’abord aide de camp de Maaouiya Ould Taya, au pouvoir de 1984 à 2005, il devient commandant du Bataillon de la sécurité présidentielle (Basep) à la fin des années 1980. À mesure que s’aggrave la paranoïa d’Ould Taya, cette unité de l’armée chargée de la protection du chef de l’État est renforcée en hommes et en équipements sophistiqués. Elle finit même par devenir, aux yeux de certains, une « milice présidentielle ». À l’exception d’un bref intermède, Ould Abdelaziz la dirige dans le silence et la discrétion jusqu’au coup d’État manqué des « Cavaliers du changement », en juin 2003. Pour ses hagiographes, c’est le général qui, avec courage, a fait échec à cette tentative sanglante de putsch. Lui aussi qui, en août 2004, a déjoué une tentative d’assassinat de Maaouiya Ould Taya. Les mêmes courtisans font de leur homme le véritable artisan du putsch du 3 août 2005, expliquant qu’il s’est ensuite effacé pour céder la place à Ely Ould Mohamed Vall, chef de l’État pendant la transition qui a conduit à la présidentielle de mars 2007. Sidi Ould Cheikh Abdallahi élu, Aziz reste aux commandes du Basep, poste qui semble avoir été fait pour lui. Nommé général, toujours dans le sillage de « Sidi », dont il devient le chef d’état-major particulier, il est à cette époque soupçonné de « tirer les ficelles », sans que cette rumeur ne soit étayée par un élément tangible.
C’est donc le 6 août 2008 que ce militaire à la silhouette dodue et à l’épaisse moustache sort de l’ombre. Réservé et peu disert, il grimpe pourtant à la tribune. Contesté par la communauté internationale et une partie de la classe politique locale, il recherche la légitimité dans le cœur des plus démunis. Pour le conquérir, il prend une série de mesures visant l’amélioration de leurs conditions de vie : baisse des prix des produits de première nécessité, lancement de travaux d’électrification et de raccordement aux réseaux de distribution d’eau potable. Pour se distinguer de son prédécesseur, discret et peu porté sur les bains de foule, le général joue de sa proximité avec le peuple. Il fait organiser des meetings de soutien en sa faveur quand ceux de ses détracteurs sont interdits, se rend en personne dans les quartiers populaires, visite les maisons, parle avec les habitants et s’indigne que « près d’un demi-siècle après l’indépendance, [les] doléances soient encore l’eau, l’électricité, la santé et l’enseignement ». On reprochait à Sidi sa lenteur, Aziz, lui, agit vite. En novembre, lors d’une visite à l’hôpital de Nouakchott, il promet l’achat d’un scanner, faisant fi de la remarque d’un collaborateur lui expliquant la nécessité d’une étude de faisabilité. Selon plusieurs sources, l’homme consulte rarement son entourage. « Ses collaborateurs, c’est lui-même », ironise un observateur sous le couvert de l’anonymat.
Proximité et célérité : la recette populiste d’Aziz plaît aux Mauritaniens les plus modestes. « Il est sûr de lui, il est ferme, il agit, analyse un journaliste. Habitués au pouvoir militaire, les Mauritaniens n’aiment pas les chefs qui tergiversent. C’est ce qu’ils reprochaient à Sidi Ould Cheikh Abdallahi. » Autre carte que le général n’hésite pas à jouer : l’ennemi commun. Durant une tournée qualifiée par certains de « préélectorale » et qui s’est achevée à Nouadhibou le 12 avril, Aziz a stigmatisé dans chacun de ses discours les auteurs de la « gabegie », c’est-à-dire les pilleurs de l’État, responsables, selon lui, du marasme actuel. « La lutte contre la gabegie, c’est son cheval de bataille, et il ne transige pas, explique le même interlocuteur. Pour les Mauritaniens, cette constance est une qualité d’homme d’État. »
Mais combien de temps les recettes nationales pourront-elles supporter ce rythme d’investissements ? Si, en 2009, une partie de la baisse des dépenses publiques – notamment les frais de fonctionnement des ministères –, de 36 milliards d’ouguiyas au total (110 millions d’euros), a été réaffectée au budget d’investissement à hauteur de 17 milliards (50 millions d’euros), le pays devra se passer, à plus long terme, de la coopération avec l’Union européenne (UE). Le 6 avril, l’UE en a entériné le gel, en l’absence d’efforts notables de la junte en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel. Une aide d’un montant total de 156 millions d’euros était prévue sur la période 2008-2013. Nouakchott ne devrait pas non plus pouvoir compter sur l’appui du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, les États-Unis, dont l’hostilité au putsch n’est un secret pour personne, y jouant un rôle prépondérant. Quant aux investisseurs étrangers, « ils attendent de voir comment va évoluer la situation politique », explique un homme d’affaires mauritanien actif dans le transport maritime. Pour ce dernier, ces huit mois de gouvernement du HCE sont « une hypothèque sur l’avenir que le pays va payer très cher ».
Aux États-Unis comme en Europe, Ould Abdelaziz ne jouit pas d’un grand crédit. Son refus de la moindre concession dans les négociations avec l’UE et l’Union africaine lui vaut une solide réputation d’entêté. Un diplomate français va jusqu’à voir dans ce refus du compromis un « manque de sens politique ». En tentant de compenser la perte des appuis européen et américain par un rapprochement avec l’Iran et la Libye, qui savent gré à Nouakchott d’avoir gelé les relations avec Israël en janvier dernier, le pays perd ses partenaires traditionnels. « Le général Ould Abdelaziz a une mauvaise appréciation des conséquences de ce qu’il est en train de faire, juge un ancien chef d’État africain. Si l’élection a lieu, le pays va devenir une petite dictature militaire et la situation pourrira de l’intérieur. On s’acheminera vers une autre crise. »
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