Afrique : le vrai coût de la crise
Une croissance qui tombe sous la barre des 3 %, une chute des exportations et une baisse des investissements… Le continent n’échappe pas au ralentissement économique mondial. À l’initiative de la Banque africaine de développement (BAD), les ministres des Finances et les gouverneurs des Banques centrales tirent la sonnette d’alarme.
Le vrai coût de la crise
La vague du tsunami économique est encore au large du continent africain. Elle ne touchera ses rivages qu’au cours de cette année, soit un an après les États-Unis, où tout a commencé, et six mois après l’Europe et l’Asie. Pourquoi cette arrivée tardive ? L’Afrique est faiblement intégrée au système financier international – celui par lequel le mal est arrivé – et encore peu présente, malheureusement, dans les échanges économiques. Forte d’une population qui a franchi, le 1er janvier 2009, le cap du milliard d’habitants, soit 15 % de la planète, l’Afrique ne pèse en effet pas lourd, englobant seulement 2,5 % du produit intérieur brut mondial (PIB) et 3,6 % des exportations. D’aucuns estimaient, jusqu’en octobre 2008, que le continent allait ainsi rester un îlot éloigné de la tourmente.
Mais à partir du 13 novembre, date de la première conférence panafricaine des ministres des Finances et des gouverneurs des Banques centrales, réunie à Tunis à l’initiative du président de la Banque africaine de développement (BAD), Donald Kaberuka, le monde entier prend conscience de la gravité de la situation. Une estimation est donnée : le taux de croissance économique prévu initialement à 6,5 % en 2009 tomberait à un peu moins de 5 %. Les argentiers décident à Tunis de désigner, parmi eux, un comité de dix ministres chargé d’évaluer avec plus de précision les conséquences sur le continent. Ce comité tient une première séance de travail (16 janvier) au Cap, en Afrique du Sud, et une deuxième (10 mars) à Dar es-Salaam, en Tanzanie. C’est là qu’il met la dernière main au document final qui sera remis le 1er avril au Premier ministre britannique, Gordon Brown, à la veille du sommet du G20 de Londres. Ce rapport de 27 pages (version française) analyse « l’impact de la crise sur les économies africaines » et fait une série de recommandations pour « maintenir la croissance et poursuivre la réduction de la pauvreté ».
Une crise « importée »
Que dit ce rapport ? Alors que le continent avait, pour une fois, enclenché un programme de redressement et de réformes quasi général, réalisant un taux de croissance de 6 % par an en moyenne de 2004 à 2008, voilà que la crise « importée » va briser cet élan avec un taux de 2,8 % en 2009. Cette réduction de moitié réduit à néant l’amélioration espérée du revenu par habitant en raison d’une croissance démographique du même ordre. Selon l’estimation de la Banque mondiale, le nombre de pauvres (ceux qui vivent avec l’équivalent local de 1,25 dollar par jour) va augmenter de 10 % pour atteindre 550 millions de personnes. Les familles africaines qui survivent grâce à l’argent envoyé par les migrants vont perdre au total 1 milliard de dollars en 2009 sur un total de 20 milliards reçus en 2008, selon une étude publiée en mars dernier. Moins de ressources, cela signifie moins de repas, moins d’enfants à l’école, moins de soins… « La crise emportera avec elle entreprises, mines, emplois, revenus et moyens d’existence. En Afrique, pas moins qu’ailleurs, le temps presse et l’adoption de mesures décisives ne peut plus attendre », explique le rapport remis aux dirigeants du G20.
Les pays riches ont pu mobiliser en un temps record plusieurs centaines de milliards de dollars au profit de leurs citoyens et de leurs entreprises. L’Afrique demande, en tant que victime collatérale, qu’une part infime (0,7 % du PIB mondial) lui soit consacrée. Grâce à la relance des années 2000, le flux des capitaux privés à destination de l’Afrique a doublé, passant à 60 milliards de dollars en 2008. Mais la contraction des investissements et la faible liquidité des marchés menacent de le ramener à moins de 30 milliards en 2009. Une quinzaine de grands projets sont déjà concernés, souligne le rapport. Ils sont reportés sine die « à des temps meilleurs ». On cite des raffineries en Algérie et au Soudan, des centrales électriques au Botswana et en Éthiopie, des autoroutes à péage au Kenya et au Sénégal, des aéroports, des ports. On annonce des fermetures de mines et d’usines (textiles, sidérurgiques, mécaniques) un peu partout sur le continent.
Tous les pays sont touchés ou presque. Cela va des plus grands (Afrique du Sud, Nigeria, Algérie…) à ceux qui dépendent à plus de 90 % des recettes pétrolières (le prix du baril a fondu de moitié entre 2008 et 2009), à l’instar de l’Angola et de la Guinée équatoriale. Le document évalue les pertes dues à une baisse de 40 % des exportations à 251 milliards de dollars en 2009 et 277 milliards en 2010. Dans le détail, les exportations africaines, estimées à 634 milliards pour 2009 – avant la dégringolade actuelle –, plongeraient à 383 milliards.
Si chers au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale, les équilibres macroéconomiques vont se dégrader. Plus les exportations vont fléchir, moins les États vont encaisser de devises et de droits de douane. Plus les entreprises seront en difficulté, moins les gouvernements pourront compter sur les taxes sur la valeur ajoutée et les impôts sur les bénéfices. Les résultats sont chiffrés : le déficit des comptes courants (balance des paiements extérieurs) atteindrait 4,3 % du PIB en 2009 (65 milliards de dollars), contre un excédent de 2,7 % en 2008 (40 milliards). Tandis que les déficits budgétaires exploseraient à 5,4 % du PIB, contre un surplus de 2,8 %
Plan de relance
Comment financer ces déficits ? La planche à billets, la dépréciation de la monnaie, l’augmentation des impôts ou des concours extérieurs ? La première solution appartient à un passé révolu. Elle fait plus de mal (inflation, endettement) que de bien à court terme. La deuxième, l’ajustement du taux de change, est à double tranchant – elle encourage le tourisme et les investissements étrangers, mais elle alourdit les factures à l’importation. La troisième pénalise les entreprises en augmentant la pression fiscale. Reste donc les apports de capitaux extérieurs. La BAD estime les besoins du continent à un minimum de 106 milliards de dollars sur deux ans (2009-2010), juste pour rétablir le rythme précédent de croissance. Mais, pour véritablement relancer la machine et atteindre les 7 % de croissance nécessaires à la réalisation des infrastructures de base et à la réduction de moitié de la pauvreté d’ici à 2015, il faudrait 247 milliards, toujours sur deux ans. C’est le quart du programme de relance décidé par le président Barack Obama pour les seuls États-Unis. C’est l’équivalent de 10 % des réserves de change de la Chine.
À défaut d’une réponse internationale à la hauteur des enjeux, plusieurs gouvernements africains ont mis en œuvre des mesures : aides aux entreprises exportatrices, baisse des taux d’intérêt, crédits à la consommation, réduction des dépenses budgétaires et augmentation – lorsque cela est possible – des investissements publics pour maintenir l’activité. Des comités de suivi de la crise existent ici et là. Leur préoccupation majeure est de colmater les brèches, de suivre au plus près l’évolution des marchés intérieurs et d’éviter l’aggravation de la pauvreté et des injustices, synonymes d’émeutes, de répression et d’émigration clandestine. Mais leur capacité d’action est sérieusement limitée. Ils ont besoin d’un accès renforcé aux capitaux (lesquels ont été asséchés par les emprunts lancés par le Trésor américain et les État européens) et d’un accroissement sensible de l’aide au développement (voir encadré p. 26). L’Afrique ne doit pas être l’oubliée de la relance mondiale !
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