Grandes manoeuvres et petits calculs

Les Forces nouvelles appellent leur leader, Guillaume Soro, à démissionner de son poste de Premier ministre. Les partisans du président Gbagbo crient au bluff. En attendant, la date de la présidentielle reste en suspens.

Publié le 20 avril 2009 Lecture : 4 minutes.

« Pour ne pas qu’il soit comptable de cette manœuvre machiavélique [le sabotage du processus électoral par le parti au pouvoir, NDLR], nous, délégués FN, demandons au secrétaire général sa démission en qualité de Premier ministre ; qu’il revienne à Bouaké pour se mettre à l’avant-­garde de la lutte du peuple ivoirien pour l’amélioration de son vécu. » Cette phrase, qui clôt un communiqué lu le 14 avril, après un conclave qui a réuni pendant deux jours, à Bouaké, des délégués généraux des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion), a ajouté de la confusion à un processus de sortie de crise déjà passablement malmené ces dernières semaines.

Si Meïté Sindou, porte-parole de Guillaume Soro, le chef du gouvernement, s’est empressé, le 15 avril, de déclarer que « le Premier ministre est à son poste » et que « la mauvaise humeur de certains responsables politiques ne doit pas [l’]empêcher de continuer sa mission », Alain Lobognon, directeur de la communication des FN, a, lui, donné des gages aux délégués généraux : « Cet appel diversement interprété fera l’objet, dans les prochains jours, de débats au sein des différentes entités des Forces nouvelles pour la prise de décisions courageuses et historiques. » La date du 20 avril a même été retenue pour cette concertation entre les membres du directoire, des civils et les commandants de l’ex-rébellion.

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En face, le Front populaire ivoirien – la formation présidentielle –, qui voit dans ces coups de gueule des FN une manœuvre orchestrée par Soro à des fins de surenchère, a sèchement réagi, par la voix de Martin Sokouri Bohui, son secrétaire général chargé des élections : « Tout ce qui se trame est ridicule. C’est du pipeau. »

Pour éviter que l’escalade verbale ne dégénère, Blaise Compaoré, facilitateur du processus de paix inter­ivoirien, a convoqué Sidiki Konaté et Désiré Tagro, qui avaient conduit les deux délégations aux négociations ayant débouché sur l’accord de Ouagadougou du 4 mars 2007. Émissaires respectifs de Soro et du chef de l’État, Laurent Gbagbo, ils étaient attendus dans la soirée du 17 avril dans la capitale burkinabè où les avait devancés, deux jours plus tôt, Boureïma Badini, le représentant spécial de Compaoré à Abidjan. 

Eviter les humiliations

Cette subite poussée de fièvre n’a rien d’imprévisible. Le feu couvait, en effet, depuis le 4 mars dernier, quand le ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, attendu à Bouaké par Soro et les diplomates en poste dans le pays pour la passation des pouvoirs entre les préfets et les « comzones » (les chefs de guerre qui commandent les zones du territoire sous contrôle des FN depuis septembre 2002), a fait annuler la cérémonie à la dernière minute. Motif : un sérieux désaccord dans l’interprétation de l’accord de Ouaga IV. Alors que Tagro estime que les préfets à installer doivent avoir, outre des compétences administratives, des compétences militaires, les FN estiment devoir, jusqu’à l’élection, continuer à assurer les taches de sécurité sur leur « territoire », sous l’autorité du Centre de commandement intégré (CCI). Devant ce blocage, Compaoré a réuni Gbagbo et Soro à Ouaga, en marge d’une réunion de l’UEMOA, le 15 mars. À Gbagbo, qui proposait la nomination comme préfets d’officiers loyalistes pour remplacer les « com­zones », il a répliqué : « Revenons à l’accord. Votre proposition peut être comprise comme une reddition pure et simple des FN. Il faut éviter, de part et d’autre, des humiliations qui peuvent générer des ressentiments préjudiciables au processus de paix. »

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Préparant la visite dans leur pays de John Atta-Mills, le chef de l’État ghanéen, Gbagbo et Soro se sont longuement entretenus, les 5 et 6 avril, à Yamoussoukro. À l’ordre du jour, trois questions : le sort des « com­zones », la sécurisation des élections et le déploiement de brigades mixtes sur l’ensemble du territoire. Les deux hommes sont convenus que Philippe Mangou, chef d’état-major des forces loyalistes, et Soumaïla Bakayoko, son alter ego de l’ex-rébellion, allaient leur soumettre, le 14 avril, une carte et un calendrier de déploiement des commissariats de police et des brigades de gendarmerie mixtes.

Le 15 avril, le schéma de sécurisation des élections a été rendu public. Huit mille hommes (4 000 des forces loyalistes et 4 000 de l’ex-rébellion) doivent être mis à la disposition du CCI pour qu’il les déploie sur l’ensemble du territoire. Mais les FN n’ont pu donner qu’une liste de 2 600 noms, soit un déficit de 1 400 hommes par rapport au quota qu’elles doivent remplir. « Dans ces conditions, estime un diplomate impliqué dans le processus électoral, on se demande comment l’ex-rébellion va parvenir à fournir les 5 000 hommes qui, aux termes de Ouaga IV, doivent être rassemblés à Bouaké, Man, Séguéla et Korhogo, désarmés sous la supervision des forces impartiales, formés puis versés dans les effectifs de la future armée à reconstruire. »

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Les combattants restants, s’il y en a, doivent être, comme les éléments des milices, démobilisés et désarmés, contre un pécule de 500 000 F CFA. De sorte qu’il y aura un désarmement de fait qui, selon Ouaga IV, doit être effectif au moins deux mois avant la tenue de l’élection présidentielle. Les militaires des FN ne l’entendent pas de cette oreille et comptent garder une capacité de nuisance jusqu’à la fin du processus électoral. Ils n’ont en effet jusqu’ici aucune réponse à une question cruciale comme celle des grades auxquels ils seront réintégrés dans la future armée. La commission chargée d’y statuer n’est toujours pas créée.

Une autre question, non moins importante, reste en suspens : la fixation de la date de l’élection présidentielle. Dans un courrier confidentiel adressé, le 10 avril, au chef de l’État et au Premier ministre, Beugré Mambé, le président de la Commission électorale indépendante (CEI), a proposé la date du 11 octobre 2009. Interpellé à ce sujet par Soro, le 16 avril, lors d’un tête-à-tête, Gbagbo a répondu : « Je n’ai pas de problème, pourvu que les conditions soient réunies pour des élections irréprochables. » Agréera-t-il cette date qu’attendent tous les observateurs afin que le processus de sortie de crise apparaisse plus clairement ?

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