Algérie : la formule Senghor

Publié le 20 avril 2009 Lecture : 6 minutes.

Au nord et au sud du continent africain, deux très grands pays abordent, en ce mois d’avril 2009, une phase nouvelle et importante de leur histoire.

En Afrique du Nord, c’est l’Algérie, qui vient de réélire pour un troisième mandat son président, Abdelaziz Bouteflika

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Que penser de cette non-alternance ?

À l’autre bout du continent, l’Afrique du Sud s’apprête à élire le sien. Ce sera, pour un premier mandat, Jacob Zuma, président du parti majoritaire.

Il sera le troisième président de la République d’Afrique du Sud post-apartheid.

Très différent de ses deux prédécesseurs, Nelson Mandela et Thabo Mbeki*, il constitue une alternance dans la non-alternance.

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On pense en effet qu’il va renouveler la fonction et qu’il pourrait mener son pays, le plus puissant d’Afrique, dans une nouvelle direction.

Que peut-on en dire ?

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Je voudrais traiter de ces deux cas successivement. L’Algérie cette semaine : l’élection a déjà eu lieu et le nouveau mandat de Bouteflika est entamé.

Cette élection présidentielle algérienne a déjà fait couler beaucoup d’encre et a été bien « couverte » par Jeune Afrique dans ses précédents numéros.

Ce que j’ai à vous en dire est plutôt personnel, car je crois avoir un lien particulier avec ce grand pays au destin tumultueux, dont j’ai foulé le sol pour la première fois le jour même de son indépendance.

Je sais par ailleurs que, prenant en considération son âge (72 ans) et attentif à son état de santé, Abdelaziz Bouteflika a beaucoup hésité avant de prendre sa décision et de se lancer dans la campagne pour ce troisième mandat de cinq ans.

Sa décision de rempiler me paraît sensée pour des raisons que je donnerai ci-dessous. Mais seul l’avenir dira aux Algériens et à nous-mêmes si les promesses ont vraiment été tenues, et si l’Algérie des années 2010 à 2015 a été mieux préparée à l’inévitable changement de génération.

Cela dit, une longue observation de la politique et de ceux dont c’est le métier (et la carrière) m’a conduit à une conclusion dont j’ai fait mon credo – et une règle :

Dans les pays où la démocratie est installée sans possibilité de retour en arrière, on ne peut guère exercer le pouvoir suprême plus de dix ans, peut-être onze ou douze. C’est le maximum, et si un homme ou une femme politique essaye de se maintenir plus longtemps, les électeurs lui disent : « c’est assez », avant de le congédier.

Dans les pays de démocratie plus récente et encore vacillante, il est en revanche possible, parfois même nécessaire, qu’un bon gouvernant se maintienne au pouvoir et l’exerce utilement plus longtemps. Mais là aussi, il y a une durée maximale ; elle est double à mon avis : vingt ans.

Au-delà de vingt et un ou vingt-deux ans, usé, « le chef » – président ou Premier ministre – entre progressivement et inexorablement dans une zone où « l’habitude du pouvoir et le pouvoir des habitudes » éteignent toute créativité.

C’est l’entourage qui gouverne de plus en plus – et, immanquablement, cela finit mal.

Mais comment quitter le pouvoir ? À qui le laisser ? Que faire après le pouvoir ? C’est un vrai problème dans les pays en phase prédémocratique ; il se pose avec une particulière acuité à ceux qui l’ont exercé au sommet pendant quinze ou vingt ans, et en ont été marqués.

J’ai moi-même entendu, de mes oreilles et plus d’une fois, l’un ou l’autre d’entre eux murmurer comme pour lui-même : – Je ne laisserai pas mon pays entre n’importe quelles mains. Et puis, je veux que mon successeur me foute la paix, ainsi qu’à ma famille…

En 1980, Léopold Sédar Senghor, alors président du Sénégal depuis vingt ans et qui avait la modestie de dire : – Je suis historique, non pas par mes mérites mais de par les circonstances –, a inventé une formule de succession originale. Elle n’est pas très démocratique, mais a été imitée vingt ans plus tard, en Russie, avec le même succès par Boris Eltsine.

Au terme d’une longue et silencieuse observation, Senghor puis Eltsine ont sélectionné parmi le personnel politique de leur pays l’homme qu’ils ont voulu pour successeur.

Ils l’ont choisi parce qu’il leur a paru à la fois compétent et loyal. Ils l’ont préparé, mis sur orbite et ont démissionné en sa faveur, lui passant ainsi le flambeau.

C’est ainsi qu’Abdou Diouf et Vladimir Poutine ont été mis en place et qu’ils ont pu se faire connaître et apprécier, avant de se faire élire et réélire.

Même si elle n’est pas tout à fait démocratique et ne garantit pas le succès, cette formule de succession me paraît adaptée à ces pays de l’ancien Tiers-Monde où un président qui a marqué le pouvoir estime de bonne foi qu’il ne peut pas laisser aux aléas du suffrage universel le soin de régler sa succession.

La formule Senghor lui offre une porte de sortie honorable et, de surcroît, lui ôte toute raison-prétexte de s’éterniser dans la fonction.

Mais revenons à l’Algérie.

Au cours de sa première visite dans ce pays après son élection à la présidence de la République française, Nicolas Sarkozy a demandé à son homologue algérien :

– Que puis-je faire pour l’Algérie ?

Réponse d’Abdelaziz Bouteflika :

– La France peut nous aider à devenir un pays émergent, à faire partie de ce club.

C’est, à mon avis, l’ambition de Bouteflika pour son pays ; c’est l’idée centrale de son nouveau mandat de cinq ans à sa tête.

Au cours du précédent, il avait déjà fait en sorte que l’argent du pétrole qui coulait alors à flots soit utilisé à rembourser les dettes de l’État, à doter le pays d’infra­structures modernes et à donner aux Algériens, enfin, des logements. Cette tâche va se poursuivre, car elle est loin d’être achevée.

Mais pour que l’Algérie devienne un pays émergent au sens vrai de ce terme, il faut, tâche immense et qui ne peut se réaliser en cinq ans, qu’elle se donne ou se redonne une agriculture moderne, qu’elle s’industrialise, en vienne à utiliser ses potentialités touristiques – et se trouve en mesure d’exporter autre chose que le pétrole et le gaz dont elle dépend et qui lui servent de rente.

Il lui faut plus d’ingénieurs, plus de médecins, plus de personnel médical et plus d’hôpitaux.

Le critère des critères est que les jeunes Algériens aient du travail, et ne cherchent plus à émigrer massivement.

Mieux : il faut créer les conditions pour qu’une partie de ceux qui se sont exilés soient tentés de revenir ! Là est le vrai signe pour un pays qu’il est devenu émergent, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil.

Abdelaziz Bouteflika s’est-il donné pour ambition complémentaire d’œuvrer à la réconciliation entre son pays et le voisin marocain ? Le modèle est, bien sûr, ce qu’ont réussi la France et l’Allemagne et dont les deux peuples ont tiré le plus grand profit…

Je l’espère et veux croire qu’il voudra rattraper le temps perdu.

Lui et sa génération peuvent encore, s’ils en ont une volonté forte, laisser à leurs successeurs un Maghreb central – Maroc, Algérie, Tunisie – dont la caractéristique serait non pas des frontières fermées ou difficiles à franchir, mais l’entente et la coopération entre ses membres.

Il faut, bien sûr, que la volonté de se réconcilier ne soit pas unilatérale, mais qu’elle soit partagée.

Si cela se réalisait ou seulement s’esquissait à partir de cette année, l’Algérie et le Maroc auraient une chance supplémentaire de se classer parmi les pays émergents et d’entrer plus vite dans ce club formé par les plus dynamiques des pays en développement.

* Compte non tenu de l’actuel président de transition : Kgalema Motlanthe.

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