Toute honte bue

Publié le 15 avril 2009 Lecture : 2 minutes.

Nous étions confortablement installés dans un TGV à destination de Montpellier lorsque la porte s’est ouverte et qu’il est entré, son visage, jeune et enfantin, ne laissant aucun doute sur ses origines maghrébines. Une forte odeur d’alcool et de tabac s’est immédiatement répandue dans le compartiment. Le jeune homme a commencé par tituber dans le couloir, a fait plusieurs allers-retours, et a essayé en vain de rester debout sans s’agripper à nos sièges, les secousses du train le rejetant tantôt à gauche, tantôt à droite du couloir.

Se penchant sur les voyageurs, il leur demandait à chaque fois la même chose : « T’as pas une cigarette ? » ou « Vas-y, tu veux pas me donner 1 euro ? » Évidemment, tout le monde a fait mine de ne pas le remarquer, qui admirant le paysage, qui lisant son journal… Réalisant son échec, le jeune homme a élevé la voix : « J’ai 27 ans… J’ai passé quatorze ans derrière les barreaux, quatorze ans que j’ai parlé qu’à des prisonniers. Aujourd’hui, je vous parle, je veux parler à des gens normaux. Eh ! vous les Blancs, parlez-moi… S’il vous plaît ! » Les regards ont fui davantage, personne n’a pipé un mot, et j’ai eu honte de l’indifférence de ces « Blancs », comme il disait.

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Il est alors parti en bougonnant, mais n’a pas tardé à revenir, encore plus saoul. L’alcool lui rendant l’injure facile, il a débité à notre adresse un chapelet de gros mots, entrecoupés de nombreux « Wallah », et a même fini par énumérer divers synonymes de son organe génital tout en multipliant les formules de remerciement divin, Allah ayant, selon lui, « bien fait les choses en vouant les Roumis aux enfers ». Et j’ai eu honte pour les musulmans, dont je suis.

Puis l’impoli s’est approché de moi – l’odeur de la tribu, sans doute. Il m’a demandé de lui « filer » mon téléphone portable : « S’il te plaît, ma sœur, faut que je parle à ma mère. » À ce moment, j’ai senti tous les regards se diriger vers moi. Mais j’ai également senti cette envie un peu lâche de dire à tous ces Français de souche que si j’étais peut-être sa « sœur » en religion, je n’avais rien à voir avec lui pour autant. J’aurais voulu crier : « Ne me confondez pas avec ce voyou, les Arabes ce sont aussi des gens comme moi… propres et indifférents comme vous ! » La preuve : je n’allais certainement pas lui prêter mon portable, même si son argument – téléphoner à sa maman – émouvait la mère que je suis. Et j’ai fourré ma tête dans mon journal, comme les autres passagers. En réalité, j’avais honte de moi.

Mais voilà que juste avant d’arriver à destination, un autre jeune monte dans le wagon, d’origine subsaharienne et, apparemment, dans la même errance que le jeune Maghrébin. Lorsque les deux se sont croisés dans le couloir, ça s’est enflammé. Ils s’en sont pris l’un à l’autre et les insultes ont fusé. Nous n’existions plus pour ces deux gars dont l’antagonisme était exacerbé par la misère et le manque d’affection. Soudain, nous avons entendu le Noir crier à la face du Beur : « Moi, au moins, je suis français ! » Et ce dernier de répondre : « Je suis encore plus français que toi ! » De nouveau, j’ai baissé les yeux. De honte, bien sûr. Mais cette fois pour tout le continent.

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