Western katangais
Le réalisateur belge Thierry Michel signe un documentaire sur les mines du sud-est de la RD Congo. Un film réussi grâce à la force de ses personnages.
La réussite des longs-métrages tient souvent au jeu des acteurs. C’est banal lorsqu’il s’agit de fictions, avec des scénarios fondés sur les aventures et les mésaventures de personnages présentés comme des héros – ou des antihéros.
Le cas est différent avec le documentaire, par définition tourné sans comédiens. Qui plus est quand ledit documentaire porte sur un sujet économique, a priori aride, comme celui de Katanga Business, de Thierry Michel. Le réalisateur belge traite en effet dans ce long-métrage de la production actuelle et du commerce des matières premières en République démocratique du Congo – à petite ou à grande échelle, licites et illicites – par des creuseurs individuels ou des multinationales.
Et pourtant, ce documentaire peut être vu presque comme un film d’aventures, voire un polar ou un western. Sa réussite incontestable doit beaucoup à ses « acteurs ». À ses « seconds rôles » attachants ou inquiétants, mais toujours hauts en couleur : l’entrepreneur belge George Forrest, parfois surnommé « le vice-roi du Katanga » ; l’ingénieur chinois « M. Min », qui s’intéresse de près aux richesses de l’Afrique pour le compte de son gouvernement ; les meneurs des mouvements de revendications des travailleurs, etc. Mais, surtout, à l’un d’entre eux : omniprésent, le richissime homme d’affaires et gouverneur de la province du Katanga, Moïse Katumbi, crève véritablement l’écran.
Lors de la présentation du long-métrage en avant-première au Fespaco, au début de mars, les apparitions, dans le film, du très populaire et très populiste Katumbi ont suscité de vives réactions – parfois des rires, le plus souvent des murmures approbateurs. Sans doute parce qu’il joue un rôle de protecteur, bien qu’ambigu, celui du justicier à la Zorro, qui défend sa province et ses compatriotes quand il estime qu’ils sont exploités indûment par des hommes d’affaires prédateurs, qu’ils soient congolais ou étrangers. Mais aussi parce qu’il est suivi par un réalisateur qui l’accompagne dans ses pérégrinations et même dans l’intimité de son bureau en le filmant au plus près jusqu’à lui conférer une épaisseur et un charisme qui l’apparentent aux personnages des films de fiction.
Contre-exemple
Les grands documentaires sont souvent ceux qui explorent la réalité d’une façon telle que la différence avec les meilleurs films de fiction s’estompe. Leurs personnages principaux, grâce au talent du cinéaste, semblent si « authentiques » qu’on ne les voit plus comme de simples témoins qu’on présente ou qu’on interroge, mais comme de véritables acteurs – dans tous les sens du terme – des situations qui font le sujet du documentaire. Raison pour laquelle ces films n’ont en général pas besoin de beaucoup de commentaires pour faire comprendre leur propos, aussi complexe soit-il.
La guerre pour l’accaparement des matières premières qui se déroule au Congo est ici contée par Thierry Michel à l’aide des personnages qu’il filme, sans qu’il ait besoin de recourir au moindre exposé didactique, ou presque. Ce que voit et « entend » la caméra dirigée par un connaisseur hors pair de l’activité minière et du Congo (Mobutu, roi du Zaïre) suffit à édifier le spectateur sur l’avidité des industriels, l’exploitation des travailleurs et la démagogie des politiques.
En revanche, le film de l’Égyptienne Jihan el-Tahri sur le Congrès national africain (ANC), Afrique du Sud, l’heure des bilans (deuxième prix dans la section documentaire au Fespaco), constitue à cet égard le contre-exemple parfait. Tourné comme une enquête à base d’archives, d’interviews et de commentaires sur l’histoire de l’ANC pour donner un contexte aux récents déchirements du mouvement de Nelson Mandela, ce film aide à comprendre comment des héros de la lutte contre l’apartheid, comme Mbeki ou Zuma, semblent devenus des hommes politiques « comme les autres », avides de pouvoir et prêts à bien de basses manœuvres pour atteindre leur but. Mais, sans grand souci esthétique ni empathie pour les personnages, il n’atteint pas la dimension du cinéma. Ce qui limite fortement son impact.
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