Zêdess

En éreintant le candidat Sarkozy, le chanteur burkinabè s’est acquis une belle notoriété sur Internet. Désormais installé à Bruxelles, il rêve de se faire un nom en Europe.

Publié le 15 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

Zêdess chante ses convictions depuis vingt ans. Au Burkina, il est une superstar. En Europe, où il réside depuis sept ans, sa popularité n’a longtemps pas dépassé le cercle des amateurs de musique africaine. Jusqu’à ce qu’une petite vidéo mise en ligne sur Internet le 2 décembre 2006 devienne l’un des gros buzz de l’année 2007 et lui permette de s’y faire un nom.

En pleine campagne présidentielle française, le clip « Un Hongrois chez les Gaulois » critiquait avec un humour cinglant la politique d’immigration choisie prônée par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur et candidat à l’Élysée : « Fini l’époque du négro musclé belles dents / Aujourd’hui, il veut du Noir diplômé, intelligent / C’est ça le critère du nouveau négrier / qui a le culot d’aller en Afrique pour l’expliquer. »

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Le clip a été vu plus de deux cent mille fois. L’artiste a fait le tour des plateaux de télévision et… profité de l’aubaine pour accélérer la sortie en Europe de Sagesse africaine, son dernier album – autoproduit. Depuis 2005, celui-ci était distribué en Afrique, mais peinait à trouver preneur ailleurs. Le label Lusafrica, qui produit notamment la star cap-verdienne Cesaria Evora et avait déjà travaillé à deux reprises avec Zêdess, n’a pas laissé passer l’occasion : il a intégré le tube à l’opus et en a assuré la diffusion.

À l’époque, certains ont accusé Zêdess – Zongo Seydou de son vrai nom – d’avoir cherché à faire un coup commercial. Protégeant son crâne du froid bruxellois par une casquette à l’effigie de Che Guevara, l’intéressé répond à peine à ces attaques. Il sait que, jalonnée de combats progressistes, sa carrière parle pour lui. Son prochain album, dont la sortie est prévue pour 2010, sera d’ailleurs, prévient-il, « le plus violent » de tous.

Étudiant en anglais à l’université de Ouagadougou en 1990, il enregistrait déjà avec l’orchestre de la fac une première composition engagée. « Mimi » parlait d’un type qui n’a pas un sou en poche et se fait piquer sa copine par un autre, plus riche que lui. C’était déjà une forme de lutte contre la puissance de l’argent », commente-t-il. Si « Mimi » ouvre sa discographie officielle, Zêdess a pourtant tâté de la musique dès le Lycée technique d’Abidjan (LTA), en 1985. À l’époque, son groupe s’appelait LTA Vibrations. Lui-même était aux percussions, mais jouait aussi les choristes, à l’occasion.

Pourtant, sa passion pour la musique n’a rien d’une tradition familiale. Burkinabè expatriés en Côte d’Ivoire, ses parents vivaient de la culture du café et du cacao. Ils tenaient aussi un atelier de couture dans la région d’Aboisso, dans le sud-est du pays. « Je n’ai pas reçu de formation académique, précise l’artiste. Je fonctionne à l’instinct, à l’émotion. Depuis tout petit, je ne supporte pas l’injustice. »

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Parallèlement à des études de langues, Zêdess poursuit son aventure musicale. En 1992, le « home studio » d’un ami, à Ouaga, lui permet d’enregistrer un master de plusieurs chansons. Avec l’aide de quelques proches, il bricole une pochette, tourne un clip et se met en quête d’un nom de scène. Il le trouve dans un bar : ce sera Zêdess. Comme ses initiales : ZS.

Quand il retourne à Abidjan pour la duplication du master sur cinq cents cassettes, il est aux anges : « C’était comme un rêve, l’objectif était d’exister en tant que chanteur. » Titre de ce premier album : Y’a plus de boulot. Mais de là à vivre de son art… Professeur d’anglais et d’histoire-géo au collège Gabriel-Taborin, à Ouagadougou, Zêdess s’obstine et, en 1995, sort un deuxième album intitulé Embouteillage. Cette fois, il s’entoure de musiciens confirmés, enregistre au studio JBZ d’Abidjan, organise une conférence de presse et engage un manager. À l’heure où la FM et les radios libres font leur apparition au Burkina, il est temps pour lui de professionnaliser son travail…

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La clé de son succès, ce sont pourtant ses textes. Dans une société encore gangrenée par la corruption, ses paroles font mouche. « Fonctionnaire sans conscience » ou « Le colon noir » évoquent les pots-de-vin et la domination du peuple par une nouvelle élite, africaine celle-là. Mais c’est avec « Ouaga sans char », une chanson sur la difficulté de se déplacer dans la capitale burkinabè sans véhicule motorisé, qu’arrive la renommée. Les concerts se succèdent, le professeur est contraint de délaisser ses élèves pour se consacrer entièrement à la musique. « Enseigner me manque, mais je continue sous une autre forme. Le micro a remplacé la craie, et le disque le tableau », se console-t-il.

Deux ans après Embouteillage, Zêdess sort Où allons-nous ? Troubadour des sans-voix, il y interroge les valeurs occidentales et africaines. « À Ouaga, il n’est pas rare que des gens viennent me trouver pour me signaler que telle ou telle chose ne va pas, raconte-t-il. Vous comprenez alors que, pour une certaine catégorie de personnes, vous comptez vraiment. »

Dans le même temps, des portes se ferment devant lui. Plus ou moins discrètement. C’est que, avec des titres comme « Directeur voleur », l’artiste dérange. Il est moins souvent invité dans les manifestations officielles ? Qu’importe, sa notoriété s’étend peu à peu à toute l’Afrique de l’Ouest et même à la France. En août 1997, il se produit au Divan du monde, une salle parisienne spécialisée dans les musiques venues d’ailleurs. Sa prestation est diffusée sur Canal France International (CFI) et TV5. C’est alors que le label Lusafrica le repère, lui fait signer un premier contrat pour Où allons-nous ? et lui demande d’écrire un quatrième album.

Zêdess reprend la plume, mais la satire a perdu de son âcreté. L’assassinat du journaliste Norbert Zongo, le 13 décembre 1998, lui a fait mal. « J’ai été déstabilisé, confie-t-il. Je respectais l’intégrité de Zongo. Avec sa disparition, une étoile s’est éteinte au Faso. » Il se reprend vite. Enregistré à Paris, l’album Accroche-toi est dur, amer. Zêdess y dédie le titre « Mon crime » à l’homme de presse, reprenant l’une de ses phrases favorites : « Le pire n’est pas la méchanceté des gens mauvais, c’est le silence des gens bons. »

Est-ce cette disparition qui l’incite à s’installer définitivement en Belgique, en 2001 ? Lui affirme que c’est d’abord pour y vivre avec l’élue de son cœur… Quoi qu’il en soit, l’expatriation est tout sauf évidente. Zêdess reste l’oreille collée à Radio France Internationale. Mais il continue de composer, participe à une compilation en faveur de l’annulation de la dette du Tiers Monde. En 2005, à Ouaga, il crée le Fredo, un festival de reggae (interrompu pendant deux ans, celui-ci devrait reprendre en 2010), et sort un cinquième album, Sagesse africaine, dans lequel il dénonce la politique de George W. Bush, la dépendance aux nouvelles technologies et les institutions financières internationales. Parce qu’on n’a « pas attendu les leçons d’un président pour prendre conscience des problèmes, en Afrique comme ailleurs ».

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