Sarkozy navigue à vue

À la faveur de la réunion du G20, le président de la République a retrouvé une partie de son crédit dans l’opinion. Mais la crise et le mécontentement social le contraignent à multiplier concessions et reculs.

Publié le 15 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

La ficelle était un peu grosse. Qui pouvait croire sérieusement que Nicolas Sarkozy allait claquer la porte d’un G20 préparé depuis des mois et qui, de surcroît, coïncidait avec la première sortie internationale de Barack Obama ? C’eût été suicidaire. Réitéré quelques heures avant l’ouverture de la réunion de Londres, ce coup d’esbroufe était avant tout destiné à l’opinion française. Il permettait au chef de l’État d’apparaître à l’issue de la réunion comme celui qui avait réussi à faire plier les grands de la planète. Au premier rang desquels le président des États-Unis.

Les Français suivent-ils ? Selon une enquête de l’institut de sondages LH2 réalisée les 3 et 4 avril, au lendemain du sommet, ils sont 48 % à avoir une bonne opinion de Nicolas Sarkozy.

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Un résultat qui était loin d’être acquis à l’avance. À quelques heures du sommet, une autre enquête réalisée pour la radio Europe 1 faisait en effet apparaître que 59 % des Français jugent que « depuis septembre 2008, l’action du président de la République pour lutter contre la crise financière et économique » va « plutôt dans la mauvaise direction ».

Une embellie, donc. Mais qui ne parvient pas à masquer l’essoufflement sur le long terme du chef de l’État. Tous les sondages concordent : le territoire sarkozyste tend à se réduire au seul électorat UMP. La politique d’ouverture a épuisé ses ressources. Pourtant, Sarkozy a « la banane ». Entendez la frite, la pêche, le punch, bref, le moral. C’est du moins ce qu’il a confié à quelques élus de son parti à l’issue d’un meeting, le 25 mars.

Rien ne semble devoir l’ébranler. Pas même l’annonce, une dizaine de jours avant le sommet de Londres, d’une manifestation unitaire de tous les syndicats prévue pour le 1er mai. Du jamais vu depuis 1945. En mai-juin 1968, les organisations de salariés, à l’époque bien plus puissantes qu’aujourd’hui, n’étaient pas parvenues à se mettre d’accord sur un tel défilé commun. C’est dire combien le malaise social est grand. D’autant qu’avant le 1er mai il y a eu les journées de grève – elles aussi unitaires – du 29 janvier et du 19 mars. Chaque fois, des millions de manifestants ont envahi la chaussée des grandes villes…

VALSE DES MILLIONS

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Au lendemain de la première manifestation, le 18 février, le président a organisé un sommet social qui a débouché sur la création d’un fonds spécial doté de 2,5 milliards d’euros. En favorisant le recours au temps partiel et à la formation professionnelle, celui-ci est censé limiter les effets des plans sociaux. Mais voilà, Sarkozy ne peut quand même pas convoquer un sommet après chaque grève ! Que va-t-il pouvoir annoncer, au soir du 1er mai, pour apaiser la tension ?

Jour après jour, la presse égrène les révélations concernant les stock-options et autres parachutes dorés que s’octroient généreusement les grands patrons. C’est la valse irréelle des millions. Et une bonne dose d’acide déversée sur une opinion déjà passablement irritée. Adopté dans l’urgence, le très modeste dispositif temporaire d’encadrement des rémunérations patronales – qui ne concerne que les entreprises aidées par l’État – n’a nullement calmé les esprits.

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Il y aurait bien la remise en question du « bouclier fiscal », ce dispositif qui, cette année, a permis de distribuer à 834 contribuables des chèques d’un montant moyen de 368 261 euros, mais ce n’est vraiment pas à l’ordre du jour. « Sur le bouclier, prenez-moi bien en photo : ma capacité à reculer n’est pas d’un millimètre », a tonné Sarkozy le 25 mars, sans égard pour la syntaxe.

Pourquoi tant d’intransigeance alors que, au sein même de sa majorité, des voix se sont élevées pour demander le relèvement du seuil dudit bouclier ? Parce que, a confié le président, « on perd quand on est faible ». En clair, pas question de donner l’impression de reculer et de désespérer du même coup les électeurs de droite.

Cette crispation ne vaut que pour les symboles. Car, pour le reste, Sarkozy n’hésite pas à lâcher du lest quand il le faut. En Guadeloupe, par exemple, il a bien fallu se résoudre à accorder les 200 euros réclamés par les manifestants, sauf à voir l’émeute atteindre le point de non-retour.

De même, la portée des réformes est revue à la baisse. Ainsi, la loi sur le travail dominical – qui promettait de belles passes d’armes avec les organisations syndicales – a été discrètement vidée de sa substance : le texte se contente d’avaliser les dérogations existantes. Quant à la réforme du statut des enseignants-chercheurs, son instigatrice, la ministre Valérie Pécresse, a été tout bonnement abandonnée en rase campagne. Le texte doit être réécrit, et les suppressions de postes applicables, à l’origine, dès cet automne sont reportées à 2010-2011. D’ici là, se souviendra-t-on encore du projet ?

La liste des renoncements réserve d’autres surprises. Sarkozy a toujours été très hostile à « l’assistanat ». Cela ne l’a pas empêché de demander que les chômeurs à temps partiel soient mieux indemnisés. Et que dire des 500 euros accordés à ceux qui ne remplissaient pas les conditions pour recevoir des aides de l’Assedic ? Voilà qui ressemble furieusement à ce « traitement social du chômage » pratiqué peu ou prou par tous les gouvernements depuis le choc pétrolier de 1973.

Bref, l’Élysée navigue à vue : il affale la voile au moindre grain, mais force la cadence dès que la brise le porte. Cela suffira-t-il à préserver la France de graves désordres sociaux ? La multiplication, ces dernières semaines, des séquestrations de patrons inquiète au plus haut point le gouvernement. Une intervention des forces de l’ordre contre des grévistes serait très mal vécue… 

COMPLOT SUBVERSIF

Dans l’entourage présidentiel, certains apprentis sorciers parient cependant sur cette radicalisation naissante. À leurs yeux, des troubles récurrents ne peuvent que rapprocher l’opinion du chef de l’État, car, expliquent-ils, celui-ci n’est jamais aussi crédible que lorsqu’il se pose en champion de la sécurité. Dans cet objectif, ils n’hésitent pas à réveiller le fantasme du grand complot subversif.

Au lendemain du sommet de l’Otan, Frédéric Lefèvre, le porte-parole de l’UMP, s’est ainsi employé à ­amalgamer aux casseurs l’ancien trotskiste Olivier Besancenot – dont l’organisation est qualifiée de « vitrine légale » des émeutiers – et les responsables du PS et du Modem, accusés d’avoir « incité à la violence ». Excusez du peu !

Las, au même moment, un sondage paru dans le quotidien Le Parisien révélait que 45 % des Français considèrent comme « acceptable » de séquestrer les chefs d’entreprise en cas de conflit social. Visiblement, il y a encore beaucoup à faire pour retourner l’opinion…

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