Insolente insularité

L’archipel lusophone semble bien résister aux turbulences de la mondialisation. Écartelé entre l’Afrique et l’Europe, ce « Petit Pays » cultive sa spécificité et mise tout sur le partenariat Nord-Sud.

Publié le 15 avril 2009 Lecture : 6 minutes.

Si son économie possède de nombreuses ressources pour résister au cataclysme mondial, le Cap-Vert aurait pu rêver d’un baptême du feu plus paisible. Sorti depuis le 1er janvier 2008 de la catégorie des pays les moins avancés (PMA) pour entrer dans celle des pays à revenu intermédiaire (PRI), une classification établie par la Banque mondiale dans les années 1970, le petit archipel lusophone se trouve en effet à la croisée des chemins. Son nouveau statut lui interdit de prétendre à des allègements de dette ou à des prêts aussi avantageux que ceux dont bénéficient la plupart des pays pauvres très endettés (PPTE). Et, même si son revenu par habitant a augmenté de 1 600 % en trente ans, passant de 130 dollars (environ 96 euros) à plus de 2 300 dollars (près de 1 700 euros, à égalité avec le Congo-Brazzaville, riche en pétrole, mais encore loin des 5 430 dollars, soit un peu plus de 4 000 euros, de Maurice), l’accélération de la croissance de ces dernières années – 6,9 % en 2008, contre 6,1 % en 2007 – semble remise en question : on estime que le PIB ne progressera que de 2 % en 2009. 

Croissance maintenue

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Pourtant, malgré cette baisse de régime – qui n’est certes pas l’apanage du Cap-Vert –, de nombreux analystes font preuve d’optimisme. « Pour l’instant nous n’avons pas de données probantes sur ce ralentissement de l’économie, si ce n’est les dires des hôteliers, qui parlent d’une baisse de la fréquentation depuis quelques mois », témoigne Clément Jaloux, chargé d’affaires économiques et commerciales à l’ambassade de France à Praia. Effectivement, les chiffres publiés au début d’avril par l’Institut national de la statistique prouvent que, jusqu’à présent, le moteur de la croissance cap-verdienne, le secteur touristique, n’a été que faiblement touché par la morosité de la conjoncture mondiale : en 2008, celui-ci a augmenté de « seulement » 22 %, contre 37 % en 2007, l’archipel recevant près de 340 000 visiteurs par an, soit une progression de 6,5 %, avec un nombre de nuitées en hausse de 27,5 % (1,8 million).

L’immobilier touristique, bien sûr, accompagne cette hausse de la fréquentation. « Nous avons maintenu la performance de ces dernières années en approuvant 19 projets financés par des investissements directs étrangers (IDE), pour un montant de 2,6 milliards d’euros, soit une augmentation de 116 % par rapport à 2007 », se félicite Alexandre Fontes, l’ex-président de Cabo Verde Investimentos, l’agence cap-verdienne de promotion des investissements. La ventilation de ces investissements, qui concernent à 99 % le secteur touristique, est éloquente : la part des Anglo-Saxons (Grande-Bretagne, Irlande) est désormais la plus importante, avec 47 % du total ; suivent l’Espagne et l’Italie (44 %) puis le Portugal (9 %). Si 20 % seulement des investissements projetés sont généralement réalisés, et que ce taux peut chuter en 2009, « on ne risque pas de trouver des constructions fantômes, comme en Espagne notamment, car les programmes immobiliers sont généralement vendus sur plans », assure encore Clément Jaloux.

Malgré la forte croissance des années 2005-2008, au fort parfum de spéculation immobilière (un studio de 50 000 euros en 2006 pouvait se vendre jusqu’à 100 000 euros en 2008), les variables macroéconomiques sont restées stables. À preuve, au début de mars 2009, le pays a été noté B+ par l’agence internationale de notation Standard & Poor’s. Les atouts financiers du Cap-Vert ? Une monnaie – l’escudo – arrimée depuis 2002 à l’euro, une politique prudente du gouvernement en matière financière depuis 2001 et, surtout, un secteur bancaire peu exposé à la tourmente mondiale car reposant essentiellement sur les transferts de fonds de la diaspora (environ 100 millions d’euros par an), sur lesquels se développent à la fois le crédit intérieur (lié à la consommation) et une économie de services (75 % du PIB) dopée par le tourisme. 

Hors des sentiers battus

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Cette dernière activité génère désormais plus de 200 millions d’euros par an, soit 25 % du PIB, une manne que les Cap-Verdiens espèrent bien conserver malgré la crise. Pour amortir la chute attendue des recettes touristiques, le gouvernement s’oriente vers une diversification de l’offre touristique, certes encore balbutiante, perçue comme une réponse structurelle à la crise. Si les îles de Santiago et de Sal, par exemple concentrent respectivement encore 68 % et 19 % des IDE en 2008 grâce à leurs plages de sable blanc (Boa Vista devant connaître un développement similaire dans les prochaines années), les îles de Fogo, São Nicolau et Santo Antão attirent de plus en plus de sportifs et de familles en dehors des sentiers battus du tourisme de masse. Cette clientèle, plus respectueuse de l’environnement, est prête à payer un peu plus cher pour sa tranquillité mais aussi pour l’authenticité. Et si on est loin du luxe affiché des Seychelles, dont le modèle de développement est d’ailleurs en crise, ce type de tourisme « moyenne gamme » génère davantage de revenus pour les Cap-Verdiens tout en ménageant les faibles ressources hydriques du pays.

Mais la vraie réponse que le gouvernement tente d’apporter à la crise s’appuie surtout sur l’accélération d’un ambitieux programme d’investissements dans les infrastructures portuaires, aéroportuaires et routières. En 2008, ce dernier a ainsi mobilisé près de 157 millions d’euros et doit être porté à 189,5 millions d’euros en 2009. « 33 % de cet effort est déjà financé par des ressources propres et 67 % par des prêts déjà garantis », affirme la ministre des Finances du Cap-Vert, Cristina Duarte, qui compte attirer davantage d’investissements dans les transports maritimes et dans l’industrie de transformation des produits de la pêche, en insistant notamment sur la modernisation du réseau portuaire. Les investisseurs visés sont évidemment asiatiques, au premier rang desquels les Chinois, qui ont déjà annoncé l’ouverture d’un centre de stockage de poisson à Mindelo, sur l’île de São Vicente. 

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Grâce à la diaspora

Le port de Praia, la capitale, doit ainsi être agrandi grâce à des travaux d’un montant de 75 millions de dollars, dont 35 millions financés par les fonds américains du Millenium Challenge Account, et le reste par la banque portugaise Caixa Geral de Depósitos, qui finance aussi la réfection du port de São Pedro (São Vicente) à hauteur de 22 millions d’euros. La Banque européenne d’investissement mobilise quant à elle 47 millions d’euros pour le développement du port de Palmeira (Sal). Mais les petites installations portuaires des îles de Fogo, Brava ou Santo Antão doivent aussi être aménagées avec des quais de déchargement permettant d’accueillir des navires rouliers. Par ailleurs, le développement des infrastructures a déjà commencé à porter ses fruits dans le domaine aéroportuaire : grâce à l’ouverture du troisième aéroport international du pays, sur l’île de Boa Vista, en juillet 2008, la reprise de l’exportation de carburant a permis aux exportations cap-verdiennes de biens de faire un bond de 62 % au second trimestre 2008. Une performance non négligeable pour la balance commerciale d’un pays aride qui importe environ 85 % de sa consommation alimentaire…

Enfin, l’archipel s’intéresse également à des infrastructures moins classiques. Celles-ci concernent les technologies de l’information (TIC), avec notamment le développement progressif des outils informatiques dans toute la fonction publique et les écoles depuis 2007 (des centres d’appels à destination du Portugal et du Brésil doivent également être créés), mais aussi les énergies renouvelables. À la mi-mars, le Portugal a ainsi doublé sa ligne de crédit pour les infrastructures de l’archipel en engageant 100 millions d’euros dans ce secteur énergétique. Battu par les vents comme par les flots de l’Atlantique, l’archipel a tout à y gagner. Objectif affiché : atteindre, à l’horizon 2020, au moins 50 % d’énergie renouvelable. « Nous n’avons ni ressources hydriques ni ressources fossiles, mais nous avons la mer, le vent et le soleil », a rappelé le Premier ministre José Maria Neves, le 14 mars, lors d’une visite de son homologue portugais José Sócrates.

En réalité, outre le fléchissement du tourisme, ce que redoutent le plus les Cap-Verdiens, c’est un assèchement des transferts de fonds de la diaspora, qui, avec plus de 700 000 personnes, est plus importante que la population de l’île (530 000 habitants). Mais, là encore, rien de probant : si les montants de la solidarité de la diaspora sont attendus avec impatience au premier trimestre de 2009, les chiffres du dernier trimestre de 2008 sont équivalents à ceux de la même période de 2006 (près de 25 millions d’euros). De quoi attendre la reprise mondiale…

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