Péril en la demeure

L’ancienne Maison des étudiants des États de l’Ouest africain à Paris est jugée insalubre par les autorités municipales, qui demandent l’évacuation des lieux. Mais l’État sénégalais, copropriétaire du site, s’oppose à la procédure.

Publié le 15 avril 2009 Lecture : 4 minutes.

Alpha Oumarou Ba ne s’en remet pas. « La situation était humiliante ! » Pour cet étudiant sénégalais, doctorant en littérature orale africaine à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), à Paris, la descente de police survenue le 25 mars dernier à son domicile avait tout du western.

Situé au 69-71, boulevard Poniatowski, dans le 12e arrondissement de la capitale, entre la pelouse de Reuilly et la nouvelle Cité de l’immigration, ce bâtiment haussmannien abrite depuis 1950 la Maison des étudiants des États de l’Ouest africain (MEEOA). Mémoire de l’Afrique à Paris, il fut le quartier général de la puissante Fédération des étudiants d’Afrique noire de France (Feanf) et le point de rencontre de personnalités devenues célèbres : Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Guillaume Soro, Manu Dibango, ou encore Abdou Diouf. 

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Descente de police

Il est 6 heures et demie ce mercredi lorsqu’une centaine de policiers investissent les lieux. Par groupe de six répartis sur sept étages, des agents en civil frappent aux portes des 103 chambres et réveillent les 185 occupants – hommes, femmes et enfants – pour un contrôle d’identité. Dix autres restent en faction dans l’entrée principale. À 9 heures, une vingtaine d’agents de la mairie entrent en scène et questionnent sommairement les locataires sur leurs conditions de vie. Aucun ne sera arrêté.

Présent lors de l’opération, le maire socialiste de l’arrondissement, Michèle Blumenthal, se défend de toute tentative d’expulsion, mais ne cache pas vouloir « accélérer les choses ». Ces « tracasseries » sont le énième rebondissement d’un bras de fer que ses services ont engagé depuis 2005 avec la MEEOA pour saisir l’immeuble après avoir relogé ses habitants. « Ce qui s’est passé est extrêmement grave, c’est un mépris de nos États », juge Aimé Dafon Segla, le président de l’Association des résidents chargé de la gestion. « Cet endroit n’appartient pas à la France, il s’agit d’une violation territoriale au même titre qu’une ambassade », estime l’avocat de cette association, Matthieu Gibert.

Pour justifier son action, la mairie invoque le délabrement avancé de cet édifice surpeuplé, le non-paiement de la taxe foncière et surtout l’absence de propriétaire identifié. Trois raisons qui l’ont amenée à lancer, le 8 janvier 2008, une procédure de « bien sans maître ». Celle-ci vise à demander « une ultime fois » aux propriétaires de se manifester avant que la ville de Paris ne s’adjuge l’immeuble. Les propriétaires avaient six mois pour réagir. Ce qu’ils ont fait.

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Les courriers et documents adressés à la mairie, notamment l’acte de propriété (Conservation des hypothèques/Registre du 22/12/1950, vol. 1339 n° 2) retrouvé au cadastre l’an dernier à la demande du président sénégalais, Abdoulaye Wade, laissent peu de doute sur l’appartenance « indivis du bien » à sept pays : le Burkina, le Mali, la Mauritanie, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Niger et le Sénégal. Les quatre derniers ont par ailleurs officiellement fait valoir leurs droits par la voix de leur ambassadeur. Quant à la taxe foncière, « elle est acquittée, comme le prouvent les quitus de l’administration fiscale », affirme maître Gibert, qui précise que « le principe de rénovation de l’immeuble a été accepté en 2006 par les chefs d’État de l’UEMOA [Union économique et monétaire ouest-africaine] ».

Sur cette base, ce dernier a demandé en juillet dernier l’abandon de toutes procédures. Mais le maire du 12e arrondissement ne l’entend pas de cette oreille. « Ces recours n’apportent aucun élément nouveau concernant la propriété de l’immeuble », affirme même Michèle Blumenthal dans une « Lettre ouverte » du 3 décembre 2008 envoyée aux occupants. « Ce qui nous importe, c’est le sort des locataires, particulièrement des enfants. Il y a des problèmes de saturnisme et nous avons rétabli l’électricité cet hiver malgré une facture impayée de 15 000 euros », explique Hélène Schwoerer, conseillère du maire de Paris, Bertrand Delanoë. « Nous n’entrons pas en guerre contre qui que ce soit. Nous voulons juste de sérieuses garanties pour que l’immeuble soit géré normalement. » 

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Odeur pestilentielle

Il faut dire que la vétusté du bâtiment, tout comme la promiscuité imposée à ses occupants, ne plaide pas en faveur des propriétaires. Le seuil à peine franchi, la cage d’escalier dégage une odeur pestilentielle. De nombreux fils électriques pendent aux murs. Des familles s’entassent dans une seule pièce. « Il y a aussi une quarantaine de clandestins », concède un occupant. « Les travaux de réfection sont suivis par les services de l’Habitat de la préfecture de Paris. Mais les travaux sont une chose, revendiquer la propriété d’un immeuble en est une autre », tempère Matthieu Gibert, qui accuse le maire du 12e arrondissement de vouloir « déclarer l’état de péril pour racheter le bâtiment pour un euro symbolique ».

Le dossier, qui s’est déplacé sur le plan diplomatique, devrait avancer plus vite que prévu à la suite de l’intervention d’Abdoulaye Wade. Déjà alerté de la situation l’an dernier, le président sénégalais a été mandaté par ses homologues. Lors d’un entretien le 25 mars avec maître Gibert, son conseiller Jean-Pierre Pierre-Bloch et l’ambassadrice du Sénégal en France, Maïmouna Sourang Ndir, le chef de l’État a réaffirmé « le droit inaliénable » de son pays sur ces murs tout en s’engageant à débloquer des fonds pour leur restauration. Maïmouna Sourang Ndir a été reçue par les collaborateurs de Bertrand Delanoë le 1er avril. Une expertise de droit international diligentée par la Mairie de Paris devra permettre d’avancer sur ces différents points. Une nouvelle réunion avec la préfecture de police de Paris est prévue dans les prochains jours.

Si beaucoup de locataires souhaitent être relogés, ils sont nombreux à défendre la mémoire de ce lieu, voulant le voir transformer en « maison de l’Afrique ». Mais le temps presse. La récente descente policière annonce-t-elle de futures expulsions ? « Nous le craignons. Il s’agissait clairement d’un repérage », avertit l’avocat de la MEEOA.

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