La revanche du « Zoulou boy »

Jacob Zuma devrait devenir président de la République à l’issue du scrutin du 22 avril. « L’homme du peuple » a gagné sa bataille contre l’intelligentsia locale avec une pointe de démagogie et de populisme. Méprisé par l’élite intellectuelle sud-africaine et par une bonne partie du monde des affaires, cloué au pilori par la presse depuis des années, Jacob Zuma n’en est pas moins le grand favori des élections du 22 avril. Le Congrès national africain (ANC), qui est assuré de remporter la majorité au Parlement, le désignera dans la foulée comme le quatrième président de l’Afrique du Sud démocratique.

Publié le 15 avril 2009 Lecture : 7 minutes.

 Jamais, pendant les huit dernières années au cours desquelles il a été l’objet de toutes les attaques, politiques et judiciaires – qu’elles soient justifiées ou non –, il ne s’est avoué vaincu. Peu importe qu’il se soit montré macho, mauvais gestionnaire, négligent et dispendieux, qu’il ait peu de morale et à peine plus de principes, il est « l’homme du peuple », qui a su conquérir un électorat en manque de leader charismatique, et surtout en manque d’espoir.

La bataille qui l’a opposé au clan de l’ancien président Thabo Mbeki s’est transformée peu à peu en un combat entre l’intelligentsia noire, coupée de sa base, hautaine et sûre d’elle, et le « Zoulou Boy », porte-parole des pauvres et des laissés-pour-compte. Voilà pour la fable. La réalité, évidemment, est plus nuancée.

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Depuis des années, les supporteurs de l’ancien vice-président n’ont cessé de dénoncer « le complot » mené contre lui par le camp Mbeki. Accusations de corruption, de fraudes fiscales, de blanchiment d’argent… tout cela n’était à leurs yeux qu’un montage pour empêcher leur champion d’accéder à la magistrature suprême. Le 6 avril, la justice leur a donné en partie raison. Grâce à des écoutes téléphoniques, le parquet général a démontré que Bulelani Ngcuka et Leonard McCarthy, respectivement ancien procureur général et ancien chef des Scorpions, l’unité d’élite de la police sud-africaine, avaient « manipulé » l’enquête contre Zuma à des fins politiques.

Ni l’un ni l’autre n’ont jamais caché être proches de l’ancien chef de l’État. Bulelani Ngcuka n’est autre que l’époux de Phumzile Mlambo Ngcuka, ancienne vice-présidente de la République que Thabo Mbeki avait choisie pour lui succéder. Les deux hommes ont décidé de la date de l’annonce de la nouvelle inculpation de Zuma, juste après le congrès de l’ANC de décembre 2007 à Polokwane, alors qu’elle aurait pu être faite avant. Le choix aurait été motivé par des calculs politiques ; une annonce avant le congrès aurait accrédité la thèse du complot. 

Justice et lutte d’influence

Même si le juge Mokotedi Mpshe n’a pu établir l’implication directe de Thabo Mbeki dans la manipulation, il a estimé qu’il n’était « ni possible ni souhaitable » de maintenir les poursuites contre Zuma. Comme à chaque fois que Zuma est parvenu tout au long de cette procédure à faire suspendre les charges contre lui, les questions de fond ne sont toujours pas tranchées. L’opposition, qui n’a d’affinité avec aucun des protagonistes, dénonce les deux camps. Pour l’Alliance démocratique (DA), il ne s’agit que de la même histoire qui se répète : celui qui détient le pouvoir influence les juges… Hier c’était Thabo Mbeki, aujourd’hui Jacob Zuma. Un juge du Cap est d’ailleurs actuellement entendu pour avoir tenté d’influencer des membres de la Cour constitutionnelle en faveur de Zuma. Le non-respect de la séparation des pouvoirs semble effectivement être une habitude partagée par les deux camps.

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Zuma est-il cette fois totalement sorti d’affaire ? Un autre parti d’opposition, celui des Indépendants démocrates (ID), a lancé une nouvelle procédure pour contester les conclusions du juge Mpshe. De l’avis général, il y a peu de chances qu’elle aboutisse. Le dossier Zuma semble bel et bien enterré.

Pourtant, Mpshe a bien précisé que le contenu lui-même de l’enquête n’était pas mis en cause. Il n’a pas fait état d’interférences sur le fond du dossier mais bien d’utilisation du dossier à des fins politiques. Zuma est-il un politicien corrompu ? A-t-il accepté un pot-de-vin de la société française Thales ? A-t-il pendant des années été financé par des montages douteux de son ami, l’homme d’affaires Shabir Shaik ? Peut-être ne le saura-t-on jamais. Pourtant, quand, en 2005, Shabir Shaik a été condamné à quinze ans de prison, le nom de Zuma figurait quasiment aussi souvent que le sien dans les conclusions du juge. Ce dernier avait d’ailleurs établi une « relation corrompue entre les deux hommes ».

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Jacob Zuma se présente donc devant les électeurs sans avoir jamais clarifié son rôle ni « lavé son honneur ». Il n’est pas blanchi, Thales non plus. Mais ils ne sont pas les seuls. Une enquête est toujours en cours en Grande-Bretagne sur un pot-de-vin de 100 millions de livres que British Aerospace aurait payé à des politiciens sud-africains. Une affaire autrement plus sérieuse que les quelques centaines de milliers de rands que Thales aurait promis à Zuma. 

Authentique zoulou

Il n’empêche, pour beaucoup de Sud-Africains, l’élection d’un président aussi controversé que Zuma est un camouflet. Pour ses détracteurs, il n’est pas seulement l’homme à la probité douteuse, il est aussi celui qui croit se protéger du sida en prenant une douche, qui ne sait pas gérer ses finances personnelles, qui a quatre femmes et aux moins dix-huit enfants et qui reste incapable de proposer un programme politique très clair.

Il a aussi contre lui une partie de l’ANC, qui a fait scission et a fondé le Congrès du peuple (Cope). Il est également vilipendé par des associations influentes, comme celles qui luttent contre le sida ou celles qui défendent les droits des femmes. L’attitude qu’il a adoptée lorsqu’il a été accusé de viol – accusation dont il a été blanchi – a choqué. Il s’est en effet présenté en « vrai Zoulou », l’homme qui sait reconnaître le « oui » d’une femme qui dit pourtant « non » rien qu’à la façon dont elle s’habille. La presse n’a pas manqué de rappeler qu’une de ses anciennes épouses s’était suicidée en laissant une lettre le mettant en cause.

Il a aussi réussi à dresser contre lui l’une des icônes sud-africaines, l’archevêque anglican Desmond Tutu. Celui-ci a depuis longtemps émis des réserves sur l’aptitude de Zuma à diriger le pays. Réserves qu’il a réitérées peu avant le scrutin. « Alors que nous venons de vivre l’élection d’Obama, pouvez-vous imaginer ce que c’est que d’être abordé dans les rues de New York et de s’entendre demander qui sera votre prochain président ? Je ne peux pas dire que je sois pressé de l’avoir comme chef d’État », a déclaré Desmond Tutu. Le Prix Nobel de la paix avait demandé aux membres de l’ANC, avant le congrès de Polokwane de décembre 2007, de ne pas choisir « un président dont la plupart d’entre nous auraient honte ». Non seulement l’ANC ne l’a pas écouté, mais le soutien du parti à Zuma a été plus massif que prévu.

Zuma, le « Zoulou Boy », est véritablement un homme du peuple. Il a les mêmes faiblesses que beaucoup de ses électeurs, il n’est pas policé, il n’est pas aseptisé, il se veut « comme tout le monde » et a, comme tout le monde, « droit à l’erreur », dit-il. C’est sans doute cela que ses ennemis n’ont pas compris.

« Msholozi », de son nom de clan, « JZ », pour ses fans, a une qualité indéniable : il sait parler aux petites gens. Un ancien gardien de chèvres, un petit berger des collines du Kwazulu-Natal, qui a peu fréquenté l’école et appris à lire tout seul, s’apprête à devenir président de la République : le genre d’homme auquel de nombreux militants de l’ANC sont prêts à tout pardonner. Il est dénigré par les « intellectuels » du parti, il est conspué par la grande majorité des Blancs du pays… Cela ne fait finalement qu’accroître sa popularité.

Pour assurer sa victoire, pendant la campagne, il n’a attaqué personne, ni pris de positions politiques contestables. Personne ne peut en effet le combattre sur le plan des idées, tant son programme reste flou et tant son discours s’adapte en fonction des interlocuteurs.

Il a tenté de rassurer la communauté afrikaner, qu’il courtise depuis plusieurs années sur le thème du communautarisme. Il est un Zoulou, fier de l’être et attaché à ses traditions ; il comprend donc, dit-il, le désir de ces Blancs originaires des Pays-Bas, de France et d’Allemagne de préserver leur langue et leur culture. Il a même lancé que les Afrikaners étaient les seuls « vrais Sud-Africains blancs », au grand dam des descendants de familles britanniques. Zuma est encore allé plus loin en envoyant son fidèle lieutenant, le président des jeunes de l’ANC, Julius Malema (voir encadré), à Orania, enclave « autonome » blanche, qui regroupe environ 700 Afrikaners. Des marginaux que la très grande majorité des Blancs considère comme d’indécrottables racistes, nostalgiques de l’apartheid.

Aux Afrikaners des classes moyennes ou pauvres, qui s’inquiètent pour leur avenir, il lance un « Je vous ai compris », avant de promettre aux syndicalistes noirs qu’il ne lâchera pas d’un pouce sur l’Affirmative Action, qui donne la priorité aux Noirs pour tout emploi, public comme privé, et qui a conduit des centaines de jeunes Blancs à émigrer. Il promet que l’Afrique du Sud ne sera pas un « nouveau Zimbabwe », mais prévoit d’accélérer la réforme agraire. Il promet aux hommes d’affaires un environnement « favorable au marché », tout en assurant ses partenaires de la puissante centrale syndicale Cosatu et du Parti communiste qu’il protégera les salariés avec une importante intervention de l’État.

« La politique économique envisagée par Zuma a été jusque-là empreinte de mystères », estimait, il y a quelques mois, l’hebdomadaire Financial Mail, qui juge les bribes de programme distillées par ses conseillers un peu « simplistes ». Depuis, le manifeste du parti a été publié, il reprend les grandes lignes de la politique suivies jusque-là par l’ANC, insistant sur une meilleure redistribution des richesses et de meilleurs services publics. Il promet d’améliorer les services sociaux, le logement, l’enseignement et la santé, sans expliquer comment il compte faire mieux que son prédécesseur dans un climat économique fortement dégradé.

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