Six présidents, 140 ans de pouvoir…
La zone Cemac, si on la compare aux autres espaces politico-économiques de l’Afrique subsaharienne, est celle où le pouvoir conserve et se conserve le plus longtemps. Les six chefs d’État en exercice totalisent ensemble près d’un siècle et demi – 140 ans très exactement – aux affaires, avec de fortes disparités bien sûr, mais une même tendance rétive à l’alternance. Ce que la région y gagne en stabilité, elle le perd en renouvellement de ses élites, et les progrès réalisés sur la voie de la bonne gouvernance ne s’accompagnent pas assez de leur corollaire : l’avancée vers une démocratie libérale. Attention à l’effet cocotte-minute !
Où va l’Afrique centrale ?
Teodoro Obiang Nguema
GUINÉE ÉQUATORIALE
66 ans, au pouvoir depuis août 1979, soit bientôt trente ans. Militaire de formation comme ses homologues du Tchad, du Congo et de Centrafrique, il devrait se représenter à la fin de cette année pour un nouveau mandat de sept ans. Son État est le plus riche et le plus prometteur, en matière de développement, des six de la Cemac.
Principale force : son patriotisme économique.
Principale faiblesse : son déficit d’image extérieure.
Denis Sassou Nguesso
CONGO
66 ans, au pouvoir depuis octobre 1997 après l’avoir été une première fois de 1979 à 1982, soit près de vingt-cinq ans au total. Il est le seul à avoir accepté le verdict des urnes, mais c’est à l’issue d’une guerre civile que le fauteuil présidentiel lui est revenu. Il sollicitera en juillet prochain les suffrages de ses concitoyens avec de bonnes chances de l’emporter, bien que le climat préélectoral soit tendu.
Principale force : avoir ramené et maintenu la paix et la stabilité au Congo.
Principale faiblesse : des difficultés à gérer son entourage.
Omar Bongo Ondimba
GABON
73 ans, au pouvoir depuis décembre 1967, soit un peu plus de quarante et un ans. Ce qui fait de lui l’incontestable doyen des chefs d’Etat de la région, et même du continent. En 2012, lors de la prochaine élection présidentielle, il en sera, si Dieu le veut, à sa quarante-cinquième année d’exercice. Est-il envisageable qu’il s’y présente ?
Principale force : une expérience inégalable, une sagesse éprouvée et une habilité hors pair de politicien madré.
Principale faiblesse : l’usure du pouvoir.
François Bozizé
CENTRAFRIQUE
62 ans, au pouvoir depuis mars 2003, soit six ans. Arrivé par un coup de force, puis élu démocratiquement, il repassera devant les urnes en 2010. Son « Dialogue national », fin 2008, a été une réussite et il attend beaucoup de l’avenir minier de son pays. Lequel demeure pour l’instant le plus pauvre de la Cemac.
Principale force : la détermination.
Principale faiblesse : une propension à l’isolement.
Paul Biya
CAMEROUN
76 ans, au pouvoir depuis novembre 1982, soit vingt-six ans et demi. Elu à de multiples reprises, il est le plus âgé des chefs d’Etat de la région. Prochaine échéance : octobre 2011. Se représentera-t-il ? La Constitution lui en donne désormais le droit.
Principale force : une connaissance intime de son pays et de sa classe politique, qui lui permet de fonctionner en pilotage automatique.
Principale faiblesse : l’absence de toute visibilité quant à sa propre succession.
Idriss Déby Itno
TCHAD
57 ans, au pouvoir depuis décembre 1990, soit un peu plus de dix-huit ans. Sa prochaine échéance présidentielle est prévue en mai 2011, mais son fauteuil a vacillé à deux reprises ces trois dernières années sous les coups de boutoir d’une rébellion soutenue par son voisin soudanais.
Principale force : le courage physique.
Principale faiblesse : une tendance à considérer l’Etat comme un domaine réservé.
«Le transport de marchandises entre Douala et N’Djamena coûte six fois plus cher qu’entre Shanghai, en Chine, et le port de Douala. Il dure également deux fois plus longtemps : soixante jours, contre trente jours. » Ce constat sans concession, et quelque peu désolant, n’émane pas d’un investisseur étranger – novice quant à l’environnement économique en Afrique centrale et volontiers donneur de leçons – mais d’un Centrafricain, Anicet Georges Dologuélé, président de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC). « L’état des routes est parfois désastreux. En saison des pluies, cela devient très compliqué pour les pays enclavés. Il faut également compter avec les tracasseries policières. Les camionneurs sont plus souvent à l’arrêt qu’au volant », ajoute le banquier, qui écarte toutefois un manque de volonté politique pour expliquer une telle situation. Diplomate, prudent, il préfère retenir « une pénurie de financements dans les infrastructures ». De fait, l’espace de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) – qui compte 38,6 millions d’habitants – demeure une construction avant tout théorique. Quant à l’institution, elle tente depuis son siège de Bangui d’accélérer un chaotique processus d’intégration. En dépit des raidissements identitaires et des affirmations de souveraineté.
Lancée le 16 mars 1994, la Communauté est en fait l’héritière de l’Union douanière des États de l’Afrique centrale (Udeac), créée en décembre 1964 pour harmoniser les politiques économiques et monétaires du Cameroun, de la Centrafrique, du Congo, du Gabon et du Tchad, rejoints vingt ans plus tard par la Guinée équatoriale. Si l’union monétaire est à ranger du côté des acquis, sous la haute protection d’un franc CFA placé sous la tutelle du Trésor français, pour le reste, le bilan est mince. « L’intégration est peu avancée et la compétitivité de la zone est faible », reconnaît la présidence de la Commission de la Cemac dans un rapport publié en janvier dernier. Et si on ne devait donner qu’un seul chiffre, choisissons celui-ci : le commerce intracommunautaire représente moins de 2 % des échanges régionaux. Plus grave, cette part est en diminution par rapport aux années 1990 alors que les six États ont, entre-temps, instauré une union douanière. « La levée des barrières tarifaires intracommunautaires a eu un effet contre-productif. Les recettes publiques étant pour l’essentiel douanières, les gouvernements privilégient les importations extracommunautaires qui, elles, remplissent les caisses de l’État. Ce phénomène s’accentue actuellement avec la crise économique et nous ne sommes pas loin d’un protectionnisme déguisé », explique un entrepreneur présent dans plusieurs pays d’Afrique centrale. Le passeport Cemac, officiellement institué en 2000, traduit également cette marche laborieuse vers une véritable communauté de destin (voir encadré p. 28). Des exemplaires du précieux document ont été remis aux États membres en 2003, mais leur mise en circulation n’a cessé d’être retardée. « Les vieux réflexes policiers sont encore à l’œuvre », tempête un entrepreneur camerounais. « En fait, nous étions prêts pour généraliser la mise en circulation, mais nous avons préféré passer au biométrique. C’est en cours, et nous espérons y parvenir fin 2009 », assure un responsable de la Cemac. Les exemples comme celui-ci sont nombreux. Cela va des fortes turbulences qui ont accompagné le lancement de la compagnie aérienne Air Cemac à la rivalité entre la Bourse de Libreville et celle de Douala. Le premier dossier, initié en décembre 2001, semble enfin en phase de décollage. Après l’échec des pourparlers avec Royal Air Maroc et Brussels Airlines, la compagnie sud-africaine South African Airways va entrer à hauteur de 40 % au capital du futur pavillon. Le partenaire technique est trouvé et le lancement est prévu avant 2010. En revanche, le second dossier résonne encore comme une dérisoire bataille d’ego. La coexistence de deux places financières, qui comptent moins d’une dizaine de cotations dans une zone dont la richesse représente 2 % du PIB de la France, relève du non-sens économique.
Conscient de ces travers, la Cemac a, semble-t-il, décidé de passer à la vitesse supérieure. En cela, les coups de boutoir de la Guinée équatoriale – qui s’estime sous-représentée au sein des institutions sous-régionales – auront été utiles (voir pp. 29-30). Lors du tumultueux sommet de N’Djamena, le 25 avril 2007, le Secrétariat exécutif de l’organisation a été remplacé par une Commission avec un président, le Camerounais Antoine Ntsimi, devant rendre des comptes à toutes les capitales. Et si Malabo n’a toujours pas obtenu une rotation des postes – le consensus de Fort-Lamy adopté en 1973 tient toujours –, la réforme des institutions se poursuit. À commencer par la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), où l’omnipotent gouverneur gabonais Jean-Félix Mamalepot a laissé la place à un compatriote, Philibert Andzembé, mais « cornaqué » par trois directeurs généraux : un Centrafricain, un Camerounais et, bien sûr, un Équato-Guinéen.
« Plus la Guinée équatoriale devient riche, plus elle revendique une place à la hauteur de ses revenus. Nous allons devoir accepter de lui donner des postes, mais il ne faut pas tout mettre par terre. Antoine Ntsimi n’est pas menacé », assure un ministre camerounais.Il n’empêche, une certaine obligation de résultat semble s’être emparée des fonctionnaires régionaux basés à Bangui. Un programme économique régional 2009-2015 a été élaboré et doit servir de base de travail. Cinq piliers de croissance ont été identifiés : l’énergie, l’agriculture, la forêt, l’élevage et la pêche, et la métallurgie. Projets ciblés, demandes de financement engagées… les choses vont dans la bonne direction. Et comme le diagnostic d’Anicet Georges Dologuélé est frappé au coin du bon sens, les routes sont placées au rang de priorité absolue. Grâce notamment à des aides européennes, plusieurs tronçons devraient faire l’objet de travaux : Maroua (Cameroun)-N’Djamena (Tchad), Sangmélima (Cameroun)-Souanké/Ouesso (Congo), Bata (Guinée équatoriale)-Kribi/Douala (Cameroun), Mouila/Ndendé (Gabon)-Dolisie/Brazzaville (Congo)…querelles pour le leadership« Il faut admettre que les projets d’intégration ont été insuffisants. Résultat, les réalisations concrètes font défaut, reconnaît un ministre gabonais. Mais il est réducteur d’expliquer ces retards par les rivalités entre chefs d’État, ajoute-t-il. Les considérations claniques ou ethniques sont le fait d’observateurs étrangers. Et l’Europe ne s’est pas construite en un jour. » Reste que le jeu de fleuret moucheté entre le « doyen » Omar Bongo Ondimba – toujours aux avant-postes sur le terrain diplomatique – et « l’énigmatique » Paul Biya – souvent absent lors des sommets – n’est pas franchement de nature à accélérer la cadence. Les revendications de « l’offensif » Teodoro Obiang Nguema remettent en cause les équilibres et les contours du leadership régional. Quant aux contentieux territoriaux, dont celui opposant le Gabon et la Guinée équatoriale sur l’îlot de Mbanié potentiellement riche en or noir, ils sont autant de venins qui empoisonnent l’esprit communautaire.
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