Bras de fer à la Beac

La perte de 16,4 milliards de F CFA par la Banque centrale remet à l’ordre du jour la bataille pour la répartition des postes au sein de l’institution.

Publié le 15 avril 2009 Lecture : 4 minutes.

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Où va l’Afrique centrale ?

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C’est au cours de ce mois que la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) annoncera des profits historiques pour l’exercice 2008. En pleine tourmente financière qui a fait mettre un genou à terre à de prestigieuses institutions bancaires et financières, elle aura engrangé plus de 250 milliards de F CFA de bénéfices dans des placements qui, déduction faite de toutes les charges, dépasseront encore les 100 milliards. Tout irait donc pour le mieux pour la Banque centrale des six États de la Cemac. Alimentées par les revenus pétroliers de la Guinée équatoriale, du Gabon, du Congo, du Tchad et de ce qu’il reste d’or noir au Cameroun, les réserves de change qu’elle gère ont atteint près de 7 500 milliards de F CFA en 2008 (5 460 milliards en 2007). Sauf que, pour la première fois de son histoire, la Beac fait face à une perte de 16,4 milliards de F CFA (25 millions d’euros), résultat malheureux d’un placement de 328 milliards de F CFA (500 millions d’euros) réalisé auprès de la Société générale, fin 2007.

Le hic ? L’article 11 des statuts de la Beac lui interdit d’investir dans des actions. Or le placement sur cinq ans de la Société générale comprenait 80 % d’obligations en bons du Trésor mais aussi 20 % d’actions, dont ces fameux produits dérivés, ces mélanges de titres explosifs qui ont fait sauter le système financier mondial. En mars 2008, elle s’aperçoit qu’elle détient une bombe à retardement et décide de s’en débarrasser. Mais si elle met un terme au placement avant la première année, elle doit acquitter de très lourdes pénalités. Et, quand elle y consent, le 28 décembre 2008, la crise financière a déjà frappé, carbonisant 5 % du placement.

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Mais « l’affaire » financière connaît un prolongement politique. Le gouverneur de la Beac, Philibert Andzembé, un Gabonais en poste depuis juillet 2007, est accusé d’avoir autorisé seul ce placement hasardeux. « On a voulu récupérer la situation pour déstabiliser le gouverneur et, à travers lui, l’institution, explique un dirigeant en interne qui veut rester anonyme. La Beac est une communauté de six États qui arrivent avec leur culture, leur niveau de développement, leurs besoins et leurs contradictions. »

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Ce qui semble sûr, c’est que le placement auprès de la Société générale a été décidé lors d’un comité de stratégie de la Beac, le 11 décembre 2007. Outre le gouverneur, il réunissait le vice-gouverneur, le Congolais Rigobert Roger Andely. Ainsi que le directeur général des études, finances et relations internationales, le Camerounais René Mbappou Edjenguélé, le secrétaire général, le Tchadien Abbas Mahamat Tolli, et son compatriote Guerdita Ndoadoumgué, le directeur de la salle des marchés, qui a étudié le produit financier estampillé Société générale. Un placement dont la promotion en interne aurait été assurée par le Camerounais André Mfoula Edjomo, alors directeur des relations financières extérieures de l’institution.

L’ampleur de la perte a éclaté au grand jour, le 30 janvier, à Libreville, lors de la conférence extraordinaire des chefs d’État. Les jours qui ont précédé l’événement, les dirigeants, notamment Paul Biya et Omar Bongo Ondimba, et leurs émissaires ont multiplié les rencontres et les coups de fil pour sauver la tête de leurs ressortissants impliqués dans ce placement. En coulisses, la Guinée équatoriale est accusée d’avoir saisi l’occasion pour déstabiliser le gouverneur et remettre en selle son projet de gouvernorat tournant de la Beac. Nouvelle puissance pétrolière, le pays se sent injustement sous-représenté. Il apporte près de 30 % des réserves de change de la Banque, contre 25 % environ chacun pour le Congo et le Gabon. Et autour de 10 % pour le Tchad et le Cameroun. Or, depuis le consensus de Fort-Lamy, en 1973, une décision non écrite attribue le siège de la Beac au Cameroun (Yaoundé) et en confie la tête à un Gabonais, secondé par un Congolais. Le poste de secrétaire général revient à un Tchadien. En 2007, Malabo s’est vu confier le pilotage de la réforme des institutions de la Cemac. Mais, à ce jour, elle n’a pas obtenu gain de cause en obtenant « seulement » le départ de l’inamovible gouverneur gabonais Jean-Félix Mamalepot et la création de trois postes de directeurs généraux pour un Centrafricain, un Camerounais et un Équato-Guinéen. Un comité de politique monétaire a par ailleurs été institué.

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Un gouverneur affaibli

Avec « l’affaire » de la perte de 16,4 milliards de F CFA, la Guinée aurait demandé au Gabon de rembourser la Beac. « Cela a peu de chances d’aboutir, les bénéfices dégagés par la Banque centrale sont mis dans un pot commun et répartis en fonction du poids de chacun. Et quand la Guinée équatoriale n’avait pas de pétrole, elle en bénéficiait aussi. Elle doit se souvenir que ce sont les autres pays qui ont payé son ticket d’entrée à la Beac », confie un proche du dossier. « Nous voulons surtout savoir s’il n’y a pas eu d’autres prêts de ce type », explique Jeronimo Osa Osa Ekoro, le porte-parole du gouvernement équatoguinéen. Avant de conclure : « Nous défendons le principe d’une rotation des postes, une redistribution des responsabilités et une meilleure répartition des capitaux. » La bataille ne fait que commencer.

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