Et maintenant ?

Au lendemain de sa large victoire à l’élection présidentielle du 9 avril, Abdelaziz Bouteflika sait qu’il n’y a plus de temps à perdre. Les Algériens attendent des réformes aussi profondes que rapides. Pour changer radicalement leur quotidien.

Publié le 14 avril 2009 Lecture : 7 minutes.

Comme tout le monde s’y attendait, Abdelaziz Bouteflika a été réélu dans un fauteuil, le 9 avril. Ses partisans ont bruyamment fêté sa victoire dès le soir du 8 avril dans les rues d’une capitale totalement paralysée par les embouteillages. La surprise vient du taux de participation, supérieur aux derniers scrutins – élections législatives et locales, mais aussi à la présidentielle de 2004 : 74,54 % aujourd’hui, contre 59,26 % à l’époque.

L’obtention d’un taux aussi élevé – une véritable obsession pour le camp « Boutef » – est le fruit d’un travail de longue haleine. Équipes de campagne, administration, médias et entreprises – petites ou grandes – n’avaient pas lésiné sur les moyens pour convaincre les Algériens de se rendre aux urnes. Plusieurs opérateurs téléphoniques avaient été jusqu’à submerger leurs abonnés de textos les invitant à exercer, plus qu’un « droit », leur « devoir » civique…

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Avec 90,24 % des voix (contre 84,99 % en 2004), Bouteflika devance Louisa Hanoune, l’égérie des travailleurs (4,22 %), Moussa Touati, le candidat du Front national algérien (2,31 %), Djahid Younsi, l’islamiste d’El-Islah (1,37 %), Ali Fawzi Rebaïne (0,93 %) et l’inconnu Mohamed Saïd (0,92 %).

Pas de surprise, non plus, pour l’ordre d’arrivée. Parmi ces candidats, deux s’étaient déjà présentés il y a cinq ans. Louisa Hanoune confirme sa montée en puissance sur la scène politique – elle avait obtenu 1,16 % des voix en 2004. Une performance pour la première femme chef de parti et première candidate à une élection présidentielle dans le monde arabe. Qui a dit que les Algériens étaient machos ? Ali Fawzi Rebaïne, lui, plafonne sous la barre du 1 % (0,64 % en 2004).

Voilà pour les résultats, annoncés le 10 avril, à 11 h 30, par Noureddine Yazid Zerhouni, le ministre de l’Intérieur. Des résultats provisoires, puisque seul le Conseil constitutionnel est habilité à les valider, après examen des recours. Dès la veille, dans la soirée, Moussa Touati et Mohamed Saïd avaient dénoncé des « cas de fraude » et un « taux de participation exagéré ». Djamel Benabdeslam, directeur de campagne de Djahid Younsi, évoquait un « taux gonflé ». Les observateurs envoyés par l’ONU, l’Union africaine ou la Ligue arabe parlaient, eux, d’« organisation irréprochable » et de « climat serein ».

Pour les membres de l’équipe de campagne de Bouteflika, ce raz-de-marée qui débouche sur un « score à la tunisienne » est tout ce qu’il y a de plus logique. « Additionnez l’électorat FLN, celui de la majorité des islamistes et celui du RND [Rassemblement national démocratique], et vous obtiendrez un résultat beaucoup plus simple qu’on veut bien le présenter », explique l’un d’entre eux. S’y ajoutent les zaouïas (confréries religieuses), le patronat, les syndicats, dont le principal, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) ; enfin, des moyens financiers qui n’ont rien de comparable à ceux dont disposent les autres candidats… 

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Chaises musicales

Et maintenant ? Le plus dur est à venir. Lors de son premier mandat, Bouteflika avait pris la mesure des travaux herculéens à réaliser pour sortir son pays de l’abîme dans lequel l’avait plongé une décennie de violence terroriste. Au cours de son second mandat, consacré aux grands travaux d’infrastructures et à la consolidation de la paix, sa maladie avait eu un impact négatif sur le rythme des réformes. Aujourd’hui, le président sait que le temps presse, que l’impatience de ses compatriotes est à son comble et que leur plébiscite n’est pas un blanc-seing. Outre un profond désir de stabilité, il exprime au contraire le besoin très net de voir les réformes menées à leur terme. Et plus rapidement qu’entre 2004 et 2009.

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Abdelaziz Bouteflika devrait donc procéder, après son investiture prévue fin avril, à de nombreux changements au sein de son équipe gouvernementale. Parce qu’il va falloir tenir les promesses de la campagne : construction d’un million de logements supplémentaires, création de trois millions d’emplois, investissements massifs pour le développement (150 milliards de dollars en cinq ans !), réforme de la justice…

Après avoir présenté sa démission comme il est d’usage, le Premier ministre Ahmed Ouyahia devrait, sauf coup de théâtre, poursuivre sa mission. Il faut cependant s’attendre à un jeu de chaises musicales parmi les ministres, ainsi qu’à l’arrivée de nouvelles têtes, y compris à la présidence. « La tâche sera ardue pour le chef de l’État, explique un membre du gouvernement. Il va devoir trancher dans le vif, peut-être se séparer de personnes qui l’accompagnent depuis de longues années et, surtout, veiller à maintenir les équilibres au sein d’une coalition présidentielle hétéroclite. » 

Joli casse-tête

C’est là que les difficultés commencent. Entre le RND d’Ahmed Ouyahia et le FLN d’Abdelaziz Belkhadem, son jumeau nationaliste, il y a de l’électricité dans l’air. Fort de la présence d’Ouyahia à la tête du gouvernement et de ses succès aux dernières élections législatives et locales, qui l’ont vu grignoter l’électorat du FLN, le RND réclamera sans nul doute les postes qu’il estime lui être dus. Et le FLN ne se laissera pas faire, même si l’ancien parti unique, miné par les dissensions internes, n’est plus la formidable machine de guerre d’antan. Il faudra aussi compter avec les ambitions d’un troisième larron, le Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamiste), bien qu’il soit lui aussi en proie à des luttes fratricides. Un joli casse-tête en perspective pour Bouteflika… D’autant que le renouvellement du personnel politique – au pouvoir comme dans l’opposition – est réclamé par une large majorité d’Algériens.

En outre, la question de la succession d’Abdelaziz Bouteflika, jamais posée jusqu’ici, ne devrait pas tarder à surgir. Et à alourdir le climat politique. « Notre génération arrive au bout de son chemin, commente l’un de ses proches. Il va bien falloir passer la main un jour. »

Une chose est sûre : aujourd’hui, point de dauphin désigné ni même d’aspirants candidats. Car afficher ses intentions alors que le « boss » entame son troisième mandat serait politiquement suicidaire. « Le pouvoir ne se partage pas, encore moins chez les Arabes, raille un membre éminent du FLN. Et puis, Bouteflika nous connaît tous : les opportunistes, les carriéristes, les sincères, ceux qui vont à la soupe, etc. Nul doute qu’il fera le bon choix. Mais après l’épisode Benflis [son ex-homme de confiance, qu’il préparait pour sa succession et qui s’est présenté contre lui en 2004, NDLR], je crains qu’il n’ait du mal à accorder sa confiance… ».

Outre la réforme de l’État (révision du statut de la fonction publique, nouveau découpage territorial avec la création de près de quatre-vingts wilayas déléguées), Bouteflika devrait s’atteler à parachever son dossier prioritaire : la réconciliation nationale. Lors de son dernier meeting, à Alger, il a évoqué la possibilité d’une amnistie générale pour ceux qui déposeraient leurs armes. Tout en adoptant, pour la première fois, une position très ferme vis-à-vis des irréductibles, qu’il a menacés d’« éradiquer ». « Boutef » entend tourner définitivement la page du terrorisme. Ce ne devrait pas être son défi le plus facile à relever…

Les Algériens, eux, n’ont cure des joutes politiques, des chicaneries partisanes ou des ambitions individuelles. Ils veulent, d’abord et surtout, que leur quotidien change radicalement. Trouver un emploi et un logement, toucher un salaire qui leur permette de vivre dignement. Ne plus avoir à supporter les passe-droits, les pistons, l’injustice et la hogra (une humiliation née du mépris). En finir avec les tabous, les pesanteurs sociales, la bureaucratie et les tracasseries. Pouvoir se lancer dans la vie active et créer leur entreprise sans avoir à affronter un véritable parcours (administratif) du combattant. 

Seul maître à bord

Ils réclament en outre des loisirs et des activités culturelles accessibles au plus grand nombre et un enseignement qui les prépare à affronter la vraie vie et le monde extérieur, y compris hors des frontières nationales. Toutes choses qui ont évolué depuis une décennie, mais pas assez vite à leur goût. Il leur faudra cependant aussi faire leur révolution… des mentalités : ne plus tout attendre de l’État, se retrousser les manches pour être plus compétitifs, surmonter les handicaps hérités de trente ans de socialisme dirigiste et de dix ans de chaos.

Last but not least, il faudra bien un jour mettre fin à l’économie du « tout-pétrole » pour créer une industrie et une agriculture efficaces et productives, créatrices d’emplois et de richesse. Que de chantiers en perspective ! Mais avec un tel potentiel et autant d’attentes exprimées, l’Algérie ne peut se permettre le luxe de passer à côté de ce moment charnière de sa tumultueuse histoire.

Aujourd’hui, Abdelaziz Bouteflika est seul maître à bord. L’armée ne pèse plus du même poids que lors de sa première élection, en 1999. Celui qui a tout connu : la gloire des années Boumédiène, puis la disgrâce, l’humiliation et l’exil, avant de devenir le président qui aura « régné » le plus longtemps, sait qu’il assumera seul la responsabilité d’un éventuel échec. Jusqu’à présent, le chef de l’État s’est appuyé sur le système qui dirige le pays depuis 1962 pour le faire évoluer de l’intérieur, le moderniser par petites touches et à pas comptés. Mais nombre d’Algériens attendent tout simplement de lui qu’il tourne définitivement cette page héritée de la guerre de libération. Pour qu’enfin l’Algérie, libérée de ses pesanteurs, cesse de regarder en arrière et se construise un destin de nation moderne, confiante dans son avenir. Un avenir que ses enfants pourraient enfin imaginer bâtir en son sein, et non plus de l’autre côté de la Méditerranée.

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