Les cimentiers africains bousculent l’ordre établi

Alors que les groupes internationaux multiplient les implantations sur le continent, les perspectives de développement du marché ont créé de nouvelles vocations. Dont celle du nigérian Dangote.

Publié le 7 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

Depuis le milieu de 2008, les voyants des cimentiers sont au rouge. L’activité est intrinsèquement liée aux cycles économiques, et la crise mondiale qui se joue depuis bientôt un an est un sérieux facteur d’inquiétude. En Chine, devenue le baromètre du marché international – le pays produit près de la moitié du ciment mondial (2 milliards de tonnes) –, la production n’a progressé que de 2 % au dernier trimestre de l’année. En Afrique, les conséquences du ralentissement mondial ont au moins un mérite : ramener à la normale des prix qui s’étaient envolés, bloquant plusieurs chantiers. Au Niger, par exemple, le prix de la tonne de ciment a augmenté de 50 % en quelques semaines au début de 2008, causant l’arrêt de la construction d’un pont et d’un barrage. Mais les travaux pourraient ne pas redémarrer. L’Afrique produit à peine 75 % du ciment dont elle a besoin. La flambée des prix et la hausse des volumes ont en outre suscité des vocations, et les projets de cimenteries ont fleuri presque partout sur le continent… La baisse des cours, sans parler de la difficulté d’accès aux financements, pourrait hypothéquer l’avenir de certains d’entre eux.

Les multinationales implantées de longue date sur le continent ont largement profité de l’euphorie. Entre 2004 et 2007, le chiffre d’affaires des dix premières entreprises de ciment d’Afrique s’est envolé de 82 %. Et leur rentabilité a plus que doublé. Sur l’exercice 2008, le groupe Vicat affiche une modeste performance de son chiffre d’affaires (+ 2,6 % en un an, à 2,1 milliards d’euros), sauvé par l’exceptionnelle croissance (+ 17,1 %) de ses revenus en Égypte et en Afrique de l’Ouest. Il est notamment présent au Sénégal et au Mali. Dans un contexte de recul global de ses ventes (– 3,8 %, à 5,8 milliards d’euros), Italcementi a cependant vu son chiffre d’affaires augmenter de 23,3 % en Égypte et de 12,1 % au Maroc. Quant au français Lafarge, dont le chiffre d’affaires a progressé de 8 % en 2008, à 19 milliards d’euros, il affiche une croissance de 24 % sur le continent. Et si son résultat d’exploitation plonge de 9 %, ce n’est pas à cause des activités africaines, en hausse de 34 %… Hors Égypte, le français Lafarge a augmenté sa production de 37 %. Il a multiplié par trois sa capacité de production égyptienne et sa part de marché, qui atteint désormais 20 %.

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Numéro un mondial, Lafarge s’est très nettement imposé comme l’acteur principal en Afrique. Il a creusé l’écart avec ses concurrents en rachetant l’égyptien Orascom Cement au début de 2008. L’opération, payée au prix fort (8,3 milliards d’euros), lui permet de disposer de dix-sept cimenteries et cinq stations de broyage dans treize pays, pour une capacité totale de 37,8 millions de tonnes. Le suisse Holcim, numéro deux mondial, affiche sur le continent une capacité inférieure de 71 %, malgré une présence géographique presque aussi large (dix pays). En termes de production, Holcim est pratiquement à égalité avec Ciments Français (15,2 millions de tonnes), qui n’est un concurrent qu’au Maroc et en Égypte, d’ailleurs très solide.

Cimpor, présent dans six pays

La stratégie africaine de Lafarge est de se classer en haut de l’affiche dans presque tous ses pays d’implantation. Au Cameroun et en Zambie, il annonce même des parts de marché de respectivement 95 % et de 91 %. Dans les marchés les plus importants, comme le Kenya, le Nigeria, l’Algérie, l’Égypte, le Maroc ou l’Afrique du Sud, il représente 20 % du marché au minimum. L’une de ses seules faiblesses est son absence du marché tunisien. Avec une production d’environ 7 millions de tonnes et des perspectives plus que favorables, ce pays est l’un des plus porteurs de la région. Mais ses cinq cimenteries privées sont détenues par des groupes étrangers très peu présents sur le reste du continent. La seule exception étant l’usine de Djebel Oust, contrôlée par le groupe portugais Cimpor. Présent dans six pays, notamment en Égypte, Cimpor est devenu le numéro trois du ciment en Afrique (voir tableau p. 74).

L’offensive des grands cimentiers mondiaux sur le continent ne se déroule pas sans heurts. L’allemand Heidelberg Cement, quatrième mondial, s’est ainsi retiré du Nigeria et du Niger, où il opérait depuis plusieurs années, pour se concentrer sur les marchés où il occupe une place dominante, notamment en Tanzanie. Holcim a dû céder mi-2007 le contrôle de sa filiale sud-africaine, dans le cadre d’une opération de Black Economic Empowerment. Le groupe suisse ne possède plus aujourd’hui que 15 % de l’entité, rebaptisée AfriSam. Il a également perdu le contrôle d’Egyptian Cement Company, qu’il partage désormais avec Lafarge depuis l’acquisition par ce dernier d’Orascom Cement. Pour tous, l’objectif est le même : se concentrer sur les marchés les plus porteurs pour y être parmi les premiers. Au Maroc, par exemple, la lutte est féroce pour la première place entre Holcim, Lafarge et Italcementi.

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Damnaz au niger, wacem au Mali

En Afrique subsaharienne, la stratégie bien huilée des groupes internationaux doit désormais compter avec un trouble-fête, Dangote Cement. Détenu par l’entrepreneur et milliardaire nigérian Alhaji Aliko Dangote, également présent dans l’agroalimentaire, le groupe a clairement annoncé sa volonté d’atteindre une capacité de production de 50 millions de tonnes au cours des prochaines années. Lorsqu’il l’aura atteinte, il détrônera Lafarge comme premier producteur africain. Comme preuve de ses ambitions, il a déjà dérobé au numéro un mondial son président Afrique, Tony Hadley, nommé début 2008 à la tête de Dangote Cement. Solidement implanté dans son propre pays, où il représenterait d’ores et déjà 50 % du marché, Dangote détient également 45 % du capital de Sephaku Cement, un cimentier sud-africain, et il est également actionnaire d’Onigbolo, au Bénin. Il affiche la ferme intention de développer de nouvelles cimenteries dans plusieurs pays africains – Sénégal, RD Congo, Éthiopie, Guinée équatoriale, Ghana, Mozambique. Même si elles sont impactées par le ralentissement économique actuel, voire reportées à cause de lui, ces opérations devraient faire de Dangote un poids lourd du ciment africain.

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Dans son sillage, d’autres concurrents montent en puissance. C’est le cas de Damnaz Cement, autre groupe nigérian. À la fin de 2007, en reprenant la CCN (Nigeria) et la Société nigérienne de cimenterie (Niger) à l’allemand Heidelberg, Damnaz a montré ses ambitions d’expansion. D’origine indienne mais uniquement actif en Afrique de l’Ouest, West African Cement (Wacem) s’est également développé depuis une dizaine d’années au Togo, au Ghana, au Burkina, avant d’être retenu en 2008 par le gouvernement du Mali pour construire une cimenterie dans le pays, d’une capacité de 1 million de tonnes. La guerre du ciment en Afrique ne fait sans doute que commencer. 

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