A l’heure des grands chantiers

Après des années de projets politiques, parfois inutiles et souvent sans lendemain, une véritable stratégie d’investissements se met en place.

Publié le 7 avril 2009 Lecture : 6 minutes.

Parler du financement des infrastructures africaines en cette période de crise économique mondiale peut paraître incongru à certains. Ils se trompent. Le pipeline des projets inscrits sur les tableaux de bord des grands bailleurs de fonds – la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale, la Société financière internationale, la Banque européenne d’investissement – ne désemplit pas. En outre, il ne contient que des projets viables, donc bancables.

Nous sommes loin de la période « enflammée » du Nepad – ce Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique approuvé en grande pompe par les chefs d’État africains en 2001. Très vite, le Nepad est devenu le sujet incontournable des dirigeants politiques qui alignent les discours fumeux et empilent les projets sans ordre de priorité et sans études préalables…

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Des centaines de propositions se sont ainsi enchevêtrées avant de s’évaporer dans la nature. Heureusement, les « bonnes fées » qui s’intéressent à l’Afrique n’ont pas désespéré : la sagesse est revenue pour faire la part des choses en distinguant entre ce qui est prioritaire de ce qui ne l’est pas, entre ce qui possède un impact réel sur la vie des gens et des entreprises et ce qui n’est qu’une vue de l’esprit… Pour faire le tri, un chef de file a été désigné, en l’occurrence la Banque africaine de développement (BAD), à la fois interlocuteur crédible aux yeux des autres partenaires (noté triple A par les agences internationales) et banque capable d’avoir un effet de levier sur les investissements étatiques et privés. Pour cela, la Banque s’est dotée d’un vaste complexe opérationnel : une vice-présidence dédiée aux projets d’infrastructures, au secteur privé et à l’intégration régionale. Car tout est désormais lié. Les projets ne se pensent plus en termes « nationaux » et « publics », mais en termes régionaux, continentaux et de partenariats public-privé (PPP).

4 milliards de dollars réunis

Le vieux « cadre stratégique à moyen et long terme pour l’infrastructure du Nepad » a donné naissance à un « Plan d’action à court terme » humainement et financièrement plus réaliste. Ce Pact sera, selon Philibert Afrika, directeur à la BAD, à nouveau mis à jour en septembre prochain. « Les besoins sont immenses. Nous étudions minutieusement les projets avant de déterminer leur calendrier et leurs besoins de financement. » Le Pact a permis jusqu’à présent de financer une cinquantaine de projets et de mobiliser 4 milliards de dollars en leur faveur (1 dollar versé par la BAD attire 1 autre dollar). Les nouveautés concernent une étude des capacités hydroélectriques d’Inga (en RD Congo) et des exportations potentielles d’électricité vers les pays voisins, une autre étude sur la construction d’un pont « rail-route » entre les capitales des deux Congos (lire encadré), la réalisation d’une interconnexion des réseaux électriques entre l’Éthiopie (autre grand producteur potentiel d’électricité) et Djibouti, comme ce fut le cas entre les pays Grands Lacs. « Nous avons en portefeuille une trentaine de corridors routiers. Il faut s’assurer au préalable des engagements des États riverains et du niveau de préparation des dossiers avant de présenter un document acceptable pour les bailleurs de fonds. Une tournée de mobilisation des ressources est envisagée auprès, notamment, des États du Golfe », explique Philibert Afrika.

Les besoins du continent sont estimés à 40 milliards de dollars par an pendant au moins une dizaine d’années, selon le Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA, en anglais), initié par les sept pays industrialisés en 2005, dont 24 milliards pour l’énergie, 11 milliards pour les transports et 3 milliards pour l’eau et l’assainissement. Le Consortium estime que les mêmes montants sont nécessaires pour assurer l’entretien et le fonctionnement (voir tableau page suivante). Soit un total de 80 milliards de dollars de capitaux. Un montant colossal, mais qui n’est pas inaccessible. À condition de puiser dans les caisses publiques, mais aussi dans celles des investisseurs privés.

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Pour Héla Cheikhrouhou, chef de division Financement des infrastructures, secteur privé à la BAD, les projets PPP, qui associent l’État aux privés, ne manquent pas. Que ce soient des centrales électriques, des autoroutes à péage, des ports et des aéroports sous concession, la Banque a mis en place les facilités nécessaires aux études préparatoires comme à la définition du cadre juridique des partenariats. « Nous rendons les projets visibles, bancables, et nous jouons un rôle de catalyseurs pour nombre d’entre eux », explique-t-elle. C’est par exemple le cas de l’aéroport international d’Enfidha, en Tunisie, dans lequel le guichet privé de la BAD a mis 70 millions d’euros permettant de boucler le montage final (530 millions d’euros). L’aéroport, qui ouvrira ses pistes en octobre 2009, est exploité par le groupe privé turc TAV dans le cadre d’une concession de quarante ans. Il permettra de faire face à la saturation actuelle des aéroports du nord-est de la Tunisie et desservira principalement les zones touristiques d’Hammamet, Sousse et Monastir. Sa capacité initiale sera de 7 millions de passagers par an. Exemple similaire, le terminal à conteneurs de Doraleh (Djibouti), qui sera bientôt mis en service, a bénéficié d’un prêt de 80 millions de dollars (sur un total de 400 millions). La crise financière aurait pu le mettre en péril alors que son importance est stratégique pour le pays et la région, en particulier pour l’Éthiopie voisine.

Parmi les projets PPP « exemplaires » que cite Héla Cheikhrouhou, il en est un inédit, signé en 2008 entre l’État de Lagos et des investisseurs privés : la première voie express à péage du Nigeria, entre Lékki et Epe (un total de 49 km). La BAD a mis 85 millions sur un total de 430 millions. Des résultats concrets : amélioration de l’état et de la sûreté de la route, réduction des embouteillages de Lagos et du nombre d’accidents annuels, création de 635 emplois à court terme et de 1 146 emplois à long terme, réduction des coûts de transport… Plus que tout, ce projet « phare » devrait, espère-t-elle, attirer d’autres investisseurs… Tout comme l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio. L’équipe de la BAD a bien avancé sur un rapport d’évaluation basé sur le scénario de PPP. « Cependant, ce rapport a été suspendu à la suite de la demande d’une subvention de 106 milliards de F CFA [162 millions d’euros] émanant du concessionnaire ayant présenté la meilleure offre. Ce montant est supérieur à celui prévu par les études. Conformément à la loi, le gouvernement sénégalais se propose de mener les négociations jusqu’à leur terme avant de décider de poursuivre selon le schéma de PPP ou d’investissement public », lit-on dans un document de suivi. Lancé en 2007, le projet Eskom, en Afrique du Sud, fait partie des plus importants du secteur privé (500 millions de dollars). Il permettra à la compagnie nationale, confrontée à un déficit sans précédent de sa production d’électricité, de réaliser l’objectif gouvernemental de l’accès universel à l’électricité en 2012.

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Au moins 10 % du PIB

Pour des projets plus modestes, un fonds multinational devrait voir le jour cette année. Nommé Rising Africa Infrastructure Fund et doté d’un capital initial de 500 millions de dollars (dont 25 millions versés par la BAD), ce nouveau mécanisme devrait servir de catalyseur afin d’attirer d’autres investisseurs pour des projets PPP compris entre 15 millions et 50 millions de dollars dans les secteurs de l’énergie, du transport, des télécommunications, de l’eau et de l’assainissement. Son ambition est de mobiliser au total 4 milliards de dollars d’ici à 2015, approuver la réalisation d’au moins une douzaine de projets et augmenter la participation du privé dans des secteurs jusqu’à présent dépendants des fonds publics.

Avec les projets en cours de réévaluation et d’étude, le Plan d’action à court terme (Pact) et le Programme pour le développement des infrastructures en Afrique (Pida) à l’horizon 2030 (lire p. 70), le secteur des infrastructures en Afrique est en train de connaître son âge d’or. La Banque mondiale met la touche finale à une étude jamais entreprise : African Infrastructure Country Diagnostic (AICD), qui fournira un rapport complet pays par pays. L’Afrique subsaharienne, dont 40 % des habitants vivent à plus de 100 km des côtes, dans les pays enclavés, et dont plus de 50 % n’ont pas accès à l’eau potable et 70 % à l’électricité courante, a besoin de consacrer au moins 10 % de son produit intérieur brut aux investissements dans les infrastructures. Il n’est jamais trop tard pour mieux faire ! Car tout le monde semble enfin avoir pris conscience que sans infrastructures adéquates de transport, de télécommunications, d’énergie et d’eau, il n’est point de compétitivité, et donc d’intégration économique à l’échelle du continent et de développement à l’échelle mondiale.

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