La dernière ligne droite

Programmes, performances, débats, perception… Comment les six candidats à la présidentielle du 9 avril ont-ils mené campagne ? Quelles traces les adversaires d’Abdelaziz Bouteflika laisseront-ils ?

Publié le 7 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

À l’heure où ces lignes étaient écrites, soit quelques jours avant la fin de la campagne présidentielle, on pouvait dire que celle-ci s’est déroulée sans incidents majeurs, ni accrochages violents entre les partisans des différents candidats, ni interventions musclées des forces de l’ordre. C’est déjà une prouesse pour un pays sous état d’urgence, où sévit encore une insurrection islamiste et que l’on dit si fragile. On se souvient des dizaines de victimes de la présidentielle nigériane de 2007. En Inde, plus grande démocratie de la planète, la proximité des élections législatives du 16 avril a contraint le gouvernement à délocaliser en Afrique du Sud sa ligue de cricket, compétition sportive la plus populaire du pays, la détérioration du climat politique et le traumatisme né des attentats de Bombay ayant transformé les réunions et attroupements publics en casse-tête sécuritaire.

Les opposants au scrutin du 9 avril (voir encadré p. 42) avaient qualifié, parfois avec mépris, les cinq rivaux du président sortant de lièvres. Ce n’est pourtant pas l’impression qui s’est dégagée de leur campagne. Chaque membre de ce club des cinq avait la certitude d’avoir toutes ses chances. Moussa Touati était persuadé qu’il allait contraindre Abdelaziz Bouteflika à un second tour. « Je suis le candidat des zawali [les laissés-pour-compte, NDLR], et ils sont bien plus nombreux que les partisans du système. Si la participation atteint plus de 70 %, Bouteflika n’a aucune chance de passer au premier tour. »

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Hormis le président sortant, qui proposait la continuité, tous les candidats ont eu pour slogan « le changement ». À commencer par le plus improbable d’entre eux : Mohamed Saïd. Islamiste bon chic bon genre, l’ancien directeur de cabinet d’Ahmed Taleb Ibrahimi, ex-ambassadeur en Arabie saoudite, a choisi pour sa campagne la couleur orange. Celle de la révolution de velours ukrainienne. Mais, contrairement à Viktor Iouchtchenko, leader de la coalition Notre Ukraine, Mohamed Saïd ne dispose d’aucun appareil politique, son parti n’ayant pas encore obtenu l’agrément de l’administration. Cela ne l’a pas empêché de croire au « ­changement, ­maintenant ! », son slogan de campagne. Au fil des rassemblements, le candidat le plus « posé » s’est fait de plus en plus virulent contre le système.

Djahid Younsi, leader d’El-Islah, a opté pour le vert comme fond de décor dans ses meetings. Rien que de très normal pour un candidat islamiste. Sa campagne a confirmé que les fondamentalistes n’hésitent pas à recourir au pathos pour convaincre. À plusieurs reprises, des larmes ont perlé des yeux du candidat à l’évocation du drame des harraga. Misant sur la jeunesse, l’islamiste a pris soin d’éviter les termes qui fâchent : charia, hidjab ou prosélytisme évangélique. Lors de ses réunions électorales, très peu de barbes inquiétantes dans l’assistance : question look, on est plus proche d’un conseil d’administration que d’une sortie de mosquée un vendredi.

Bouteflika répond à Louisa

Les attaques les plus violentes contre le système ont émané de l’unique femme candidate. « Louisa la Rouge » s’est abstenue de choisir une couleur pour sa campagne. En revanche, son slogan, « Pour un retour à la souveraineté du peuple », et ses propos lors de ses sorties électorales ont donné au scrutin des allures de référendum pour « l’autodétermination ». Le coup a porté. Cible quotidienne des déclarations de ses cinq challengeurs, Bouteflika s’est imposé comme règle de conduite de ne pas y répondre. Il fera cependant exception pour la candidate trotskiste, qu’il cite nommément dans son discours du 27 mars, à Tizi-Ouzou. « J’ai beaucoup d’admiration pour le travail que fait Mme Hanoune, notamment son action pour la promotion de la femme. Mais si ses idées socialistes sont dans nos cœurs, la raison nous dicte aujourd’hui d’autres choix. » En termes de mobilisation, Louisa Hanoune déplace les foules et remplit les salles où se tiennent ses meetings.

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Ce n’est pas le cas d’Ali Fawzi Rebaïne. Le candidat du petit parti nationaliste Ahd 54 (« serment 54 », en référence à la guerre de libération qui a débuté en 1954) en est à sa deuxième campagne présidentielle, après celle de 2004. Apparemment, il n’en a tiré aucun enseignement. L’indigence du propos du seul candidat qui reconnaît se « présenter sans illusions » et l’inanité de ses propositions étaient indignes d’un débat national.

Grande inconnue : la participation

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Nul ne saurait sérieusement contester le fait que les trois semaines de campagne électorale ont constitué un moment exceptionnel de démocratie en Algérie, où les gouvernants ont été particulièrement malmenés, chose d’ordinaire impensable, dans le JT de 20 heures, miroir déformant de la vie politique du pays : bilan de Bouteflika tourné en dérision, chiffres officiels démentis, stratégie de développement contestée et, surtout, remise en cause de la « légitimité révolutionnaire » qui pérennise, de facto, la génération de la guerre de l’indépendance dans les hautes sphères du pouvoir. Si « le rouleau compresseur » Bouteflika a enlevé tout suspense quant aux résultats du scrutin, la grande inconnue demeure la participation.

La campagne a-t-elle contribué à dissiper les craintes d’une forte abstention ? Les six candidats ont tous insisté pour un vote massif. Le favori pour une question de légitimité, les autres pour cultiver l’espoir d’une présence au second tour. Bien malin qui peut dire combien d’Algériens se rendront aux urnes ce 9 avril. Si, en 2004, 58 % du corps électoral ont accompli leur devoir civique, le désamour de l’opinion à l’égard de la politique s’est accentué par la suite. Un peu plus du tiers (35 %) et moins de la moitié (46 %) ont voté lors, respectivement, des législatives de mai 2007 et des municipales d’octobre 2007. Si l’entourage de Bouteflika souhaite une participation à hauteur de 70 %, pour Moussa Touati, il faudrait que ce chiffre atteigne 80 % avec une forte mobilisation de ses zawali pour « chasser les tenants perpétuels du pouvoir ». Louisa Hanoune n’avance aucun chiffre, mais elle est convaincue que le « grand soir » est programmé pour le 9 avril.

Comment vote l’Algérie ? Le sondage le plus rigoureux ne saurait le dire avec précision, mais une analyse empirique de l’assistance durant les meetings permet de se faire une idée. Avec une foule record à la moindre sortie sur le terrain, Bouteflika recrute dans toutes les catégories. Paradoxalement, le candidat le plus âgé séduit les jeunes et la gente féminine. Les femmes plus âgées semblent avoir jeté leur dévolu sur Louisa Hanoune. Trotski et les idées communistes ? Connais pas, mais le langage de vérité, la sincérité du ton et surtout le statut de militante historique de la démocratie ont valu à Louisa Hanoune l’affection des mamies, citadines et rurales, arabophones ou amazighs. Avec son réseau d’élus locaux, Moussa Touati pourrait en surprendre plus d’un. Quant aux autres, ils ne semblent pas avoir saisi l’opportunité de la campagne pour se faire plus visibles. Acteur déterminant, l’armée est complètement hors jeu. À la suite des soupçons de fraude en 2004 et répondant à une revendication de l’opposition, le vote dans les casernes est désormais interdit. Pour accomplir leur devoir civique, les soldats sont contraints de voter par procuration donnée à un de leurs proches. Le corps électoral est passé de 18 millions de votants en 2004 à plus de 20 millions aujourd’hui. Quant au nombre de bureaux de vote, il a franchi la barre des 47 000, contre 35 000 en 2004. Le coût des élections s’en est certainement ressenti, mais quand on lutte contre l’abstention, on ne compte pas.

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