Les ex-rebelles ne veulent pas perdre… le Nord

Le redéploiement de l’administration dans la zone contrôlée par les Forces nouvelles se heurte toujours à la réticence des commandants de l’ex-rébellion. Le démantèlement de leurs fiefs reste pourtant une condition nécessaire à l’organisation d’élections libres et transparentes.

Publié le 7 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

Lundi 30 mars, toute la Côte d’Ivoire se réveille avec la gueule de bois. La veille, une bousculade a fait 19 morts et quelque 132 blessés au stade Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan, peu avant une rencontre de football entre la sélection nationale et celle du Malawi (voir p. 39). Compte tenu des circonstances, le président Laurent Gbagbo décide de reporter sine die la réunion consacrée à l’épineuse question de la passation de charges entre les commandants de zones – les fameux « comzones » – et les préfets. Le débat sur l’avenir des chefs de l’ex-rébellion en charge des dix territoires sous contrôle des Forces nouvelles (FN) est encore ajourné. Au cours de cette réunion, les acteurs devaient pourtant se mettre d’accord sur un nouveau calendrier après une première tentative avortée de transfert des responsabilités, le 4 mars dernier. À l’époque, le Premier ministre, Guillaume Soro, prévoyait une grande manifestation populaire à Bouaké pour fêter l’événement. Mais son ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, l’homme fort du camp Gbagbo, lui a infligé un camouflet de plus en l’ajournant au dernier moment. « On ne finance plus les symboles », rappelle souvent le chef de la police, qui demande au Premier ministre, représentant de l’ex-rébellion, de fournir les effectifs nécessaires pour alimenter les brigades de police et de gendarmerie qui doivent assurer la sécurité de l’administration sous le contrôle du Centre de commandement intégré (CCI). « Les Forces de défense et de sécurité [FDS, loyalistes] ont fourni leurs hommes. Il en manque encore 1 400 du côté des FN », explique l’émissaire burkinabè Boureima Badini, représentant spécial du facilitateur, Blaise Compaoré, dans la crise ivoirienne. Pour les FN, ce problème d’effectif n’est qu’un prétexte pour freiner, une nouvelle fois, le processus. « Il ne faut pas se focaliser sur le nombre. On peut très bien débuter le travail avec les effectifs disponibles », soutient Alain Lobognon, conseiller spécial du chef de gouvernement.

Une nouvelle incompréhension entre le clan présidentiel et les FN qui semble indiquer que, malgré les accolades et les poignées de main, la méfiance persiste entre les deux camps. Arrivé à Ouagadougou le 15 mars, officiellement pour se reposer deux jours avant le sommet de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), Laurent Gbagbo avait demandé à son hôte, Blaise Compaoré, d’organiser une réunion à trois avec Guillaume Soro. Une rencontre au cours de laquelle il a tenté d’obtenir le remplacement des dix comzones par des gradés des forces loyalistes. Ce à quoi le facilitateur et le Premier ministre se sont opposés, faisant valoir le quatrième accord complémentaire. « Le texte prévoit le démantèlement des milices et le regroupement de 5 000 soldats des FN sur quatre sites [Korhogo, Man, Séguéla et Bouaké] sous la responsabilité des forces armées des FN pour recevoir une formation en vue de réintégrer l’armée nationale, précise Alain Lobognon. Les comzones n’administreront plus de zone militaire après le redéploiement de l’administration. Ils pourront néanmoins participer à la formation des troupes et à la sécurisation du processus de pacification, s’ils en font la demande. »

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On touche là au cœur du problème. Le retour de la police et de la gendarmerie résonne comme le chant du cygne pour les seigneurs de guerre. Ce qui se négocie actuellement, en fait, ce sont les modalités et le prix de leur reddition définitive, puisqu’une fois les élections achevées ils doivent être mis d’office à la retraite avec le grade et le salaire de commandant. « C’est une proposition bien insuffisante pour des hommes qui se sont constitué des fortunes dans les trafics en tout genre [bois, coton, café, cacao, diamant, commerce de biens de consommation] », explique un diplomate africain. Véritables barons locaux, seuls maîtres de leur zone, les anciens chefs de guerre ont du mal à concevoir la perte de leurs acquis et font monter les enchères. Habitués à mener grand train, ils doivent aussi assurer les arrières pour leur famille, dont certaines résident en lieu sûr à l’étranger (France, Burkina, Brésil…), et penser à leur avenir dans les affaires ou la politique. Quel sera le montant de leur parachute doré ? Plusieurs chiffres circulent, de 5 millions à 25 millions de F CFA, bien qu’officiellement les tractations n’existent pas. 

Racket en hausse

Ces gradés doivent aussi convaincre leurs troupes de rendre les armes en acceptant l’enveloppe de 500 000 F CFA promise pour solde de tout compte à tous ceux qui ne seront pas intégrés dans la nouvelle armée. Ces derniers ne reçoivent guère plus que le gîte et le couvert depuis leur entrée dans la rébellion. Les populations se plaignent d’une recrudescence du racket sur les routes : on dénombre pas moins de vingt-sept barrages entre Djébonoua, au centre, et Pogo, dernière ville avant la frontière malienne. Certains « comzones », notamment Chérif Ousmane, ont souvent attiré l’attention des autorités sur le sort de leurs « petits ». Pour le moment, l’essentiel des troupes manifeste encore un niveau de discipline suffisant. Mais jusqu’à quand ?

Ces incertitudes permettent régulièrement aux faucons du camp présidentiel de monter au créneau. « Les élections n’auront pas lieu tant que les FN poursuivront cette valse-hésitation », clame William Atéby, député du Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir) et proche de la première dame. Pour lui, les rapports entre le Premier ministre et le chef de l’État relèvent de la « comédie ». 

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Force de dissuasion

Le secrétaire national en charge des élections au FPI, Martin Sokouri Bohui, subordonne, conformément aux accords de Ouaga IV, la tenue du scrutin au désarmement des Forces nouvelles. Du côté de l’opposition, on prend son mal en patience. « Nous ne sommes pas impliqués dans les discussions sur le dossier des comzones. Nous constatons simplement que le CCI n’est pas encore vraiment opérationnel puisqu’il n’a pas sécurisé les opérations d’identification sur le terrain », explique Alphonse Djédjé Mady, secrétaire général du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Pour Alassane Ouattara, président du Rassemblement des républicains (RDR), la priorité est de faire taire les armes et de cantonner les soldats dans les casernes durant la campagne. L’ancien Premier ministre appelle à la tenue du scrutin au quatrième trimestre de 2009.

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Une élection à laquelle Guillaume Soro ne pourra participer, même s’il y joue en partie son avenir et sa crédibilité d’homme politique. Pour le moment, le chef de gouvernement a réussi là où ses prédécesseurs avaient échoué : organiser les audiences foraines et procéder à l’identification de la population. Mais la route est encore longue jusqu’à la présidentielle. « Les forces obscures du régime ont déjà tenté de remettre en selle Ibrahim Coulibaly, l’ex-sergent putschiste, de diviser les chefs de guerre, de les monter contre le Premier ministre, ou encore d’accommoder à leur guise les accords signés », conclut un diplomate européen. Mais Soro a su, jusqu’à présent, déjouer tous les pièges en préservant une relative unité des chefs rebelles, malgré les affrontements survenus récemment à Man, Séguéla et Vavoua entre ex-combattants. Le Premier ministre les a notamment laissés mener leurs activités pendant qu’il travaillait avec des militaires proches de lui pour préparer la sortie de crise. Mais le plus difficile reste à faire : conserver une force de dissuasion au Nord tout en se séparant en douceur de la plupart de ses comzones.

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