Quand le plaisir n’est pas un péché
La contradiction est frappante entre l’idée reçue d’un islam pudibond et la réalité d’une religion qui magnifie l’acte amoureux. Un droit absolu pour le fidèle aux yeux du Prophète.
Les musulmans et le sexe
L’islam serait puritain par essence, et les musulmans antisexe de nature. Voilà ce qui ressortait d’un sondage CSA publié dans Le Monde des religions en janvier 2005, selon lequel 72 % des Français considèrent que le Coran réprime la sexualité (contre 43 % pour le catholicisme et 38 % pour le judaïsme). Mais il se trouve que la réalité est à l’opposé de ces idées répandues sur la religion de Mohammed. D’abord, parce que s’il est un peuple, une religion, une langue où l’amour a une place primordiale, c’est bien dans le monde arabo-musulman. Pas moins de soixante mots existent pour exprimer l’amour, « comme les Esquimaux en ont soixante pour désigner la neige », a l’habitude de dire le cinéaste tunisien Nacer Khémir. Cela va de la simple inclinaison (mawadda) au transport total (tatayyum) en passant par la passion (ichq) ou l’agonie amoureuse (sababa). Pas un aspect, un détail, une caractéristique de ce sentiment que les musulmans n’aient étudié : ses symptômes, ses genres, ses états et ses remèdes.
Peuple amoureux par essence, les Arabes ont marqué de leur empreinte la poésie courtoise européenne du Moyen Âge et ont initié l’Occident à l’art de la séduction et de la galanterie. À l’instar d’Ibn Hazm, poète andalou du XIe siècle, ils considèrent que « l’amour n’est point objet d’aversion, ni tabou, pour la religion ». La tradition musulmane veut que celui qui aime et meurt d’amour soit considéré comme un martyr.
« La Moitié de la religion »
Mais l’amour n’est pas le sexe, dira-t-on. Là encore, on se trompe, car en islam la sexualité est une donnée allant de soi et un chapitre essentiel de la vie du croyant que les imams enseignaient au pied des colonnes des mosquées et dont les faqihs prenaient la défense, tel Al-Makhzumi, qu’on voyait agrippé aux tentures de la Kaaba, à La Mecque, et priant : « Ô mon Dieu, sois clément avec les amoureux, attendris les cœurs de leurs bien-aimés ! »
De fait, la religion du Prophète considère que la sexualité est un acte de foi et le plaisir un droit absolu. Contrairement au christianisme, elle réprouve le célibat et stipule que « se marier, c’est accomplir la moitié de sa religion ». De même qu’elle reconnaît et magnifie le plaisir explicitement. Aucun péché ne pèse sur le sexe, pas même le péché originel, qui n’existe pas en islam : Allah ne l’impute pas à Ève mais au diable, et accorde son pardon au premier couple de l’humanité.
Par conséquent, nulle trace d’un plaisir banni, pas de ceintures de chasteté ni de cadenas sur le ventre des femmes, encore moins de vœu de retraite indéfinie. Étant reconnue et vantée pour elle-même, la jouissance n’est pas assujettie à la procréation. Si l’acte sexuel aboutit à cette dernière : « Allah leur accorde [au couple] un enfant et le diable ne lui fera jamais aucun mal » (Al-Bukhari).
Plus encore, tout acte sexuel génère une récompense selon la tradition suivante. Le Prophète a dit : « Il y a une rétribution dans les rapports sexuels que vous avez. » Ses compagnons s’exclamèrent : « Ô ! Messager d’Allah, l’un de nous a assouvi son désir et il est récompensé en cela ? » Mohammed répondit : « S’il l’avait satisfait dans le haram [l’illicite] n’aurait-il pas commis un péché ? Ainsi, s’il l’assouvit dans le halal [le licite], il obtient en cela une récompense. »
Caresses et préliminaires
Le Prophète confiait aussi à ses disciples : « De votre monde, Dieu m’a fait aimer les femmes, les parfums et la prière. » Et s’il est vrai qu’il recommandait aux croyants de prendre garde au pouvoir de séduction des femmes – « Je n’ai pas laissé tentation qui serait pire pour ma communauté que celle que représentent les femmes pour les hommes » –, il ne voyait aucun mal à ce qu’on les aimât. On raconte qu’un homme était venu le voir pour lui dire : « Ô Prophète, il y a chez nous une orpheline demandée en mariage par un prétendant pauvre et un riche. Elle aime le premier et nous le second. » Mohammed répondit : « Il ne s’est rien décidé de mieux pour les amants que de les unir. »
Par ailleurs, il aimait à encourager aux préliminaires et caresses, affirmant : « Il est bon que le croyant joue avec son épouse avant qu’ils aient un rapport, afin d’augmenter son désir et qu’elle prenne autant de plaisir que lui. » On rapporta au calife omeyyade Omar Ibn Abdelaziz (682-720) que le Prophète aurait dit : « Ne la pénètre pas tant qu’elle n’a pas autant de désir que toi, afin que tu ne jouisses pas avant elle. Embrasse-la, fais-lui des clins d’œil, caresse-la, et lorsque tu vois qu’elle a atteint le même niveau de désir que le tien, pénètre-la. » Il recommandait enfin : « Lorsque l’un d’entre vous a un rapport avec son épouse et qu’il assouvit son désir, qu’il ne se presse pas jusqu’à ce qu’elle assouvisse aussi le sien. »
Dans l’imaginaire musulman, le Prophète est le parfait amant, car non seulement il savait honorer les femmes, mais il était doté d’une puissance sexuelle telle qu’il faisait, dit-on, le tour de toutes ses coépouses au cours de la même nuit. Prétendre à cette puissance est une ambition de tout bon croyant, mais une idée qui frustre plus d’un fidèle à la virilité chancelante… Et qui, surtout, choque les Occidentaux, pour qui la figure prophétique est, à l’instar du Christ, ascétique par définition !
En ce qui concerne les femmes, elles ont autant de droits que de devoirs, conformément à la loi « de bienséance » qui doit régir les relations entre époux. Contrairement aux idées reçues, l’islam n’a jamais défendu aux femmes le plaisir. Bien au contraire, il considère comme mauvais croyant celui qui ne leur en procure pas. Et permet à celles qui sont insatisfaites de demander le divorce et de l’obtenir. Les épouses contraintes à des pratiques qu’elles réprouvent peuvent en référer au juge. Ainsi, on raconte que les musulmanes forcées à la sodomie venaient jadis voir le cadi et renversaient leurs babouches, geste censé désigner cette pratique, pour demander justice.
Voilà pour ce qui est de l’islam des sources. Que la pratique, les mentalités ou les temps modernes aient rendu les musulmans puritains et répressifs à l’égard de leur moitié est une réalité qu’on ne saurait nier non plus. Mais il faut en chercher la raison ailleurs que dans le Coran ou la Sunna.
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