L’Afrique, le pape et les préservatifs
Les propos tenus par le pape en Afrique sur le préservatif ont provoqué un tollé. Où ? En Occident. Et sur le continent ? Pas de manifestation de colère, pas d’indignation médiatique, personne pour chahuter le souverain pontife… Ce fut même le contraire : marée humaine, liesse et tam-tams. Comment expliquer un tel décalage ?
Par le réflexe laïc des Européens – des Français en particulier –, pourrait-on penser. Par une volonté insidieuse de faire payer au souverain pontife ses gaffes successives, dont certaines ont constitué de véritables aubaines pour les intégristes. Mais aussi et surtout par une erreur d’optique faisant croire aux Occidentaux – lesquels pensent être la mesure de tout – que c’est à eux de s’indigner à la place des autres.
Loin de moi l’idée de défendre la position du pape ! On ne peut accuser la musulmane que je suis d’être une « catho », ou de vouer une grande admiration à un pontife tenant des propos erronés sur la religion musulmane et réfutant des droits aussi fondamentaux pour les femmes que celui à l’avortement. Je dis seulement qu’il faut revoir les choses avec plus de sang-froid. D’abord, le pape ne fait que reprendre les propos de ses prédécesseurs. Il faudrait être naïf pour attendre du chef du Vatican un éloge du préservatif du genre : « Couvrez-vous, bonnes gens, donnez-vous du plaisir et ne procréez surtout pas ! »… Faut-il rappeler, ensuite, que le pape ne se bat pas vraiment pour des principes, mais pour des valeurs et que, pour lui, les valeurs du christianisme sont, entre autres, le mariage et la famille. C’est comme ça, je n’y peux rien. Pourquoi le monde occidental, qui juge l’Église désaffectée, accorderait-il tant d’importance aux recommandations religieuses du pape, d’autant que ces dernières sont souvent considérées comme obsolètes par rapport aux lois de la laïcité ? Ou l’on considère que l’Europe est sécularisée et que la religion y est une affaire privée, ou l’on considère qu’elle est croyante et que les propos de ses chefs religieux valent fatwas. On pourra me répliquer que le pape demeure une autorité morale, et notamment en Afrique.
Mais alors pourquoi l’Occident parlerait-il au nom des Africains ? Si ces derniers sont muets, qu’ils apprennent à parler. S’ils n’ont pas une « conscience individuelle éclairée », qu’ils se flagellent eux-mêmes. S’ils se sentent lésés, qu’ils jettent le pape dans la brousse. Mais s’ils choisissent de ne pas faire tout un tintamarre autour de la capote, c’est leur affaire. Pour le reste, ils ne cessent de clamer depuis des années que le meilleur moyen de lutter contre le sida c’est d’en avoir les moyens, justement. Or c’est exactement ce qu’a dit le pape, en rappelant aux pays riches leurs responsabilités vis-à-vis du continent. Mieux : il a également demandé aux Africains de respecter les droits de l’homme, de combattre la corruption, et de promouvoir « une société authentiquement africaine dans son génie ». Ce qui, convenez-en, n’a rien à voir avec le discours de Dakar. Surtout, c’est ce qu’aucun autre pape avant lui n’avait eu le courage de dire. Mais ça, les Occidentaux n’ont pas jugé utile d’en parler outre mesure…
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