Jean-Noël Tronc : « Nous aurons les droits du Mondial »

Il détaille le retour de Canal+ au Maghreb et révèle ses ambitions pour l’Afrique : conquête de nouveaux marchés et lutte contre le piratage.

Publié le 1 avril 2009 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Annoncé en janvier, le retour de Canal+ au Maghreb est déjà effectif en Algérie. Quelle différence avec Canal Horizons des années 2000 ?

Jean-Noël Tronc : Il y a trois grandes différences sur le contenu, la diffusion et la commercialisation. Le bouquet comporte 25 chaînes quand il y en avait 1 à l’époque. Pour la diffusion, désormais satellitaire, elle se fait sur Arabsat, ce qui nous permet d’offrir aussi 200 chaînes arabophones. Surtout, Arabsat ne couvre pas l’Europe, d’où un prix plus bas qu’en France sans risque de contagion entre les deux marchés.

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Mais l’abonnement en Algérie revient à 12 000 DA [130 euros] pour six mois, c’est l’équivalent du salaire minimum…

Notre offre est adaptée au pouvoir d’achat de notre cible, c’est-à-dire aux classes moyennes. Le prix est de 18 à 20 euros par mois, ce qui est nettement moins cher qu’en France. Ce montant est d’ailleurs indicatif ; ce sont les distributeurs qui fixent les prix. C’est la troisième différence avec le passé : la commercialisation passe par des cartes prépayées. Alors que Canal Horizons supportait des charges très élevées, avec un modèle d’abonnements gérés par des filiales [au Maroc et en Tunisie, NDLR], des boutiques, des centres d’appels.

À quel seuil situez-vous l’équilibre ?

Pour l’Algérie, autour de 100 000 cartes. C’est ambitieux parce qu’il faut disposer du réseau qui permette de les commercialiser et avoir une offre suffisamment attractive dans une zone très touchée par le piratage. Mais c’est aussi une estimation prudente compte tenu du marché potentiel. Il y a 7 millions de foyers algériens équipés à 80 % de paraboles et l’on estime entre 5 et 6 millions le nombre de décodeurs dits « démo TPS » au Maghreb. D’où notre choix d’un système de cryptage compatible avec les décodeurs TPS : le client n’a qu’à glisser sa carte dans le décodeur.

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Quand vous lancerez-vous au Maroc et en Tunisie ?

Nous avons engagé les demandes d’autorisation au début de 2009. Nos dossiers sont en cours d’examen au Maroc et en Tunisie. Nous visons une ouverture dans les trois pays avant la fin de l’été.

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Le public maghrébin est friand de sport. Or vous n’avez pas les droits pour le Maghreb…

Il est vrai que les principaux droits pour le sport, notamment ceux du football, sont détenus pour l’instant par d’autres. La vente de ces droits s’est faite pour une zone qui était l’ensemble du monde arabe. Du coup, ce sont des acteurs du Moyen-Orient qui ont acquis les droits pour le Maghreb alors que ce marché n’est pas forcément central pour eux. Mais la situation peut changer. Les ayants droit adaptent leur offre à la demande. Peut-être qu’au prochain rendez-vous, selon le succès qu’on aura rencontré, apparaîtra un marché spécifique du Maghreb…

En attendant, vous ne diffuserez pas les matchs de football les plus importants…

Au contraire : grâce à notre accord avec le bouquet arabe ART nous pouvons offrir en direct les matchs de la Ligue des champions et le meilleur match de la L1 française chaque dimanche soir, sans oublier l’émission Canal Football Club. Et nous offrons trois chaînes de grands clubs, OL TV, OM TV et Girondins TV, en plus d’InfoSport. Le renforcement de notre offre sport est la grande nouveauté que nous avons annoncée à Alger.

En Afrique subsaharienne, vous êtes-vous partagé le marché avec Multichoice ?

Avec cet opérateur sud-africain, nous sommes plutôt concurrents dans certaines zones, comme au Cameroun, où une grande partie de la population est bilingue. Mais nos cibles respectives ne sont pas les mêmes : les téléspectateurs anglophones et lusophones pour Multichoice, francophones pour nous. Nos couvertures satellitaires ne desservent pas les mêmes régions. Nous avons donc un partenariat commercial, par lequel nous diffusons une de leurs chaînes sport, et eux distribuent certaines de nos chaînes pour la partie de l’Afrique francophone mal couverte par notre satellite actuel [une partie de la RD Congo, le Burundi et le Rwanda, NDLR].

Une étude de marché attribue 600 000 abonnés à Multichoice. Combien pour vous ?

Nous approchons les 200 000 foyers abonnés. En 2008, nous avons infléchi notre stratégie commerciale, en complétant les offres que nous avions traditionnellement, qui étaient autour de 20 euros, par des offres d’accès, à partir de 4 900 F CFA, soit 7,50 euros. Grâce à quoi notre base d’abonnés a augmenté de presque 40 % en 2008, contre 17 % en 2007. Le total des foyers francophones sur tout le continent est de près de 50 millions de foyers, soit une cible d’au moins 25 millions de foyers équipés de TV.

Une filiale du groupe Vivendi diffuse en France des chaînes d’Afrique subsaharienne sur Internet. Pourquoi pas de chaînes du Maghreb ?

Vous voulez parler du Bouquet africain, bouquet de chaînes camerounaise, ivoirienne, burkinabè, malienne et sénégalaises, distribué en France par SFR Neuf Cegetel et bientôt par Free. C’est une initiative conjointe de la société de production Thema et de Canal Overseas Africa. Il y a une logique marketing dans ce choix : ces chaînes n’étaient pas du tout disponibles en France alors que plusieurs télévisions d’Algérie, du Maroc et de Tunisie y sont déjà diffusées, y compris par satellite.

Est-ce qu’à terme vous envisagez de produire des émissions avec des animateurs maghrébins, qui seraient en quelque sorte l’emblème de Canal+ Maghreb ?

Il est trop tôt pour le dire après seulement deux mois d’existence au Maghreb. En Afrique subsaharienne, où nous sommes présents depuis une vingtaine d’années, nous produisons trois émissions spécifiques, comme AfriKArt ou Talents d’Afrique. Une réflexion est en cours sur la captation d’autres programmes.

Dans quel pays africain le piratage est-il le plus important ?

Les pays du Maghreb arrivent incontestablement en tête, notamment du fait de la proximité avec l’Europe. Il y a un marché de piratage massif, où l’on diffuse des émissions dont les droits n’ont été payés que pour l’Europe. Cela dit, jusqu’à ce que nous lancions notre bouquet, il n’y avait aucune offre légale de chaîne française ou francophone. Pour les téléspectateurs désireux d’éviter le piratage pour se simplifier la vie, il n’y avait pas de solutions jusque-là. Nous verrons bien si cela va changer.

Qu’en est-il de l’Afrique subsaharienne ?

La situation est très différente, parce que ce ne sont pas des individus qui vendent des clés ou des cartes frauduleuses, ce sont surtout des distributeurs qui ne respectent pas les droits. Certains sont dans l’illégalité massive, diffusant aussi bien des DVD de productions audiovisuelles africaines dont ils n’ont pas les droits que des chaînes françaises piratées.

Un marché est-il plus touché qu’ailleurs ?

On cite souvent le Cameroun, mais il y a un marché qui devient préoccupant, c’est le Sénégal. L’un des acteurs, qui a une taille importante et revendique plusieurs dizaines de milliers d’abonnés, pirate allègrement les principaux droits, et nous ne sommes pas les seuls à nous en inquiéter.

Vous l’attaquerez en justice ?

Nous avons engagé plusieurs procédures. J’ai rencontré les autorités sénégalaises, qui ont montré une forte sensibilité à ce problème, et nous bénéficions de leur soutien dans la lutte pour le démantèlement des réseaux pirates.

Serez-vous prêts pour 2010, qui sera une grande année de football en Afrique ?

Évidemment, car Canal+ est la chaîne des amoureux du sport ! Nous aurons les droits de la Coupe du monde pour l’Afrique subsaharienne. Pour ce qui concerne le Maghreb, nous y travaillons, mais il est trop tôt pour en parler.

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