La machine Bouteflika
Après dix jours de meetings et d’affichage intensif, la différence entre les budgets dont disposent les six candidats se fait sentir, les équipes de campagne de ses concurrents reprochant au président sortant d’utiliser tous les moyens de l’État pour séduire le corps électoral.
La campagne électorale s’est ouverte le 19 mars et, dès les premiers meetings, la différence de moyens entre les candidats à la présidentielle du 9 avril est vite apparue. Les sorties sur le terrain d’Abdelaziz Bouteflika, président sortant et briguant un troisième mandat, sont réglées comme des montres suisses. Celles de ses cinq concurrents, beaucoup moins. L’explication tient plus aux moyens, à l’expérience et à la qualité du travail des équipes de campagne qu’au seul charisme des postulants à la magistrature suprême.
Sur les six candidats en lice, deux le sont à titre d’indépendant, c’est-à-dire non investis par un parti politique : Abdelaziz Bouteflika et Mohamed Saïd, dont la formation, le Parti pour la liberté et la justice (PLJ), est en instance d’agrément. Les quatre autres – Louisa Hanoune, du Parti des travailleurs (PT, trotskiste) ; Moussa Touati, du Front national algérien (FNA) ; l’islamiste Djahid Younsi, d’El-Islah ; et Ali Fawzi Rebaïne, de Ahd 54, une petite formation nationaliste – sont censés disposer d’un appareil politique capable de se muer en machine électorale : gestion politique et logistique des activités du candidat dans sa quête de suffrages, préparation des meetings électoraux, conception des outils de propagande (affiches, tee-shirts, impression et distribution des programmes, spots télé et radio, etc.), gestion des moyens humains mobilisés – militants et personnel rémunéré.
Avec 2 millions de km2, 48 wilayas (départements) et 1 600 communes, l’Algérie est un pays immense. Aussi, pour garantir la visibilité de son champion, un staff efficace est un staff fortement décentralisé. Ce qui requiert des moyens humains et financiers colossaux. Pour Abdelmadjid Bouzar, universitaire dans une ville des Hauts-Plateaux et militant bénévole du candidat islamiste Djahid Younsi : « Un candidat qui aspire à être présent au second tour devrait disposer d’une permanence électorale dans chaque municipalité. Chacune de ses permanences devant être animée par au moins 5 personnes à plein-temps, cela nécessite un effectif de près de 8 000 personnes… » Pour un parti ayant une envergure nationale, cela ne devrait pas être un problème. C’est le cas des partis de l’Alliance présidentielle, composée du Front de libération nationale (FLN), du Rassemblement national démocratique (RND) et du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas), qui totalisent 249 sièges à l’Assemblée. Mais, en dehors du PT (26 sièges) et du FNA (19 élus nationaux et près d’un millier d’élus locaux), les autres partis ne jouissent pas d’une implantation sur tout le territoire. Ils ont donc le staff de leurs moyens…
Une communication digne d’une multinationale
Hormis le FNA de Moussa Touati, qui a privilégié une organisation collégiale dirigée par une coordination de trois membres du Conseil national (instance suprême du parti), tous les candidats ont structuré leur équipe de campagne autour d’une seule personne. Louisa Hanoune a confié cette charge à son fidèle lieutenant Djelloul Djoudi, ancien député du PT, qui, après deux mandats législatifs (1997 et 2002), se consacre exclusivement aux affaires du parti. Même chose pour Ali Fawzi Rebaïne et Djahid Younsi, qui ont choisi leur directeur de campagne et ses collaborateurs parmi les cadres de leur parti.
Si l’on devait comparer les staffs de campagne des différents candidats, celui d’Abdelaziz Bouteflika aurait des allures de multinationale, quand ceux de ses concurrents font figure de PME. Son QG de campagne, une luxueuse villa à Hydra, sur les hauteurs de la capitale, bourdonne telle une ruche. Hôtesses d’accueil souriantes et vigiles (une agence privée de sécurité assure la protection des lieux) à la carrure imposante, sonneries de téléphone incessantes et parking encombré… Maître des lieux : Abdelmalek Sellal. Quinquagénaire à l’allure élégante, énarque, ancien wali, ministre depuis une quinzaine d’années et technocrate de la République, Sellal fut déjà le directeur de campagne du candidat Boutef en 2004. D’ailleurs, la quasi-totalité du staff de la précédente présidentielle a été reconduite.
Contrairement aux autres candidats, Bouteflika n’a pas eu de soucis pour trouver les femmes et les hommes chargés d’animer sa campagne. Il avait même l’embarras du choix. Soutenu par moult partis et associations, syndicales ou patronales, religieuses ou laïques, la président-candidat a dû, parfois, « trancher dans la douleur » pour choisir les membres de son équipe de campagne au niveau local. La composition des staffs au niveau régional et municipal a en effet provoqué quelques drames et batailles rangées entre les partis composant l’Alliance présidentielle.
Résultat des courses : le RND du Premier ministre Ahmed Ouyahia a réussi, haut la main, à truster les postes stratégiques du staff de campagne. À commencer par Abdessalam Bouchouareb, numéro deux de « la Villa blanche », la permanence électorale de Bouteflika. Ancien ministre de l’Industrie, député et, accessoirement, chef de cabinet d’Ahmed Ouyahia au sein du parti, Bouchouareb est considéré comme l’éminence grise du RND et assure l’interface avec les syndicats dans l’entourage du chef de l’État. Au sein du staff de campagne, il est chargé de la communication et de la coordination avec l’activité de propagande des associations de la société civile. Il prépare également les meetings jugés « sensibles », comme ceux prévus à Constantine et Tizi-Ouzou.
L’aspect technique des réunions électorales – son, lumière, choix des décors, mise en scène de l’apparition publique du candidat –, a été confié à Hamraoui Habib Chawki, ancien journaliste vedette d’émissions politiques, ex-ministre de la Communication et ancien directeur général de la télévision publique.
Exercice d’équilibre
Mais, au fait, quels sont les budgets de campagne ? La loi ne prévoit pas de plafond à cet égard et aucun candidat ne veut communiquer sur ce point. « Dès la notification de la liste officielle des candidats par le Conseil constitutionnel, explique Noureddine Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur et “monsieur Élections” de Boutef [NDLR : il en est à l’organisation de son huitième scrutin depuis sa nomination, en décembre 1999], l’État a mis à la disposition des six postulants la somme de 15 millions de dinars [NDLR : 150 000 euros]. Quatre d’entre eux ont récupéré cette somme et deux se sont abstenus. » Des noms, vite !… « Ce n’est pas à moi de vous faire cette confidence. Demandez-le aux candidats », répond Zerhouni.
Certains déplorent la disparité de moyens. « Les hommes d’affaires se sont mis au service du président sortant, se plaint Ali Fawzi Rebaïne, contre des promesses de marchés à venir. Il dispose de l’avion présidentiel et des moyens de l’État pour financer ses déplacements. Moi, je paie rubis sur l’ongle les bus qui transportent mes militants d’une ville à l’autre. » Des propos qui provoquent le courroux de Zerhouni : « Le candidat Bouteflika est président en exercice et la continuité de l’État n’est pas une simple formule bureaucratique. Hormis les moyens de communication, qui servent à le maintenir joignable à toute heure et en tout point du territoire, ainsi que le dispositif de protection, qui assure sa sécurité, rien n’est financé par le budget de l’État. » La subvention accordée par le Trésor public est jugée dérisoire par certains candidats. Selon Moussa Touati, « elle ne couvre que moins du dixième des dépenses nécessaires à une campagne digne de ce nom. À titre d’exemple : le per diem d’un scrutateur est de 1 500 dinars. Or il y a plus de 47 000 bureaux de vote. Ce qui signifie que même en mobilisant la totalité de la subvention de l’État, nous ne pourrions financer la présence de nos militants que dans 10 000 bureaux de vote, soit près d’un bureau sur cinq. Sans parler de la confection des affiches et autre matériel électoral. »
Argent, charisme : en avoir ou pas
En tout cas, quels que soient leurs moyens, les six staffs de campagne bannissent la circulation d’argent liquide au sein des permanences électorales. Les dons et contributions des militants se font en nature ou en prestations. Les candidats financent leur campagne sur le budget de leur parti, lequel dépend du nombre d’élus, la moitié des salaires des députés étant automatiquement reversée dans les caisses du parti. Un montant non négligeable dans le cas du PT de Louisa Hanoune ou du FNA de Moussa Touati, mais dérisoire dans celui du El-Islah de Djahid Younsi (2 députés) ou de l’Ahd 54 d’Ali Fawzi Rebaïne, qui ne dispose que de 1 siège à l’Assemblée. D’où le coup de gueule de ce dernier à l’égard du candidat Bouteflika, qui, lui, peut louer une salle omnisports capable d’accueillir 5 000 personnes.
« Ce n’est pas tant une capacité financière permettant la location d’une grande salle, ironise Taleb, étudiant à Blida, ville de la Mitidja, qui a déjà vu défiler les six candidats. Encore faut-il aussi avoir suffisamment de notoriété pour la remplir… » En l’occurrence, à l’issue de la première semaine de campagne, l’indicateur le plus sérieux de la popularité des six candidats se mesure au volume de l’auditoire qu’ils attirent dans leurs réunions électorales.
Loin derrière Boutef, qui bat tous les records, Louisa Hanoune tire son épingle son jeu : bains de foule, assistance nombreuse lors des meetings et participation active de jeunes électeurs au cours des débats. Conscient des limites de sa notoriété, Ali Fawzi Rebaïne a opté pour une campagne de proximité, faisant des entrées impromptues dans les cafés et les marchés populaires. Quant à Mohamed Saïd, il a décidé de compenser le peu d’assistance dans ses réunions électorales en transformant ses meetings en conférences-débats.
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