L’ANC à l’épreuve de la démocratie

Pour la première fois depuis 1994, le scrutin du 22 avril nourrit un vrai suspense. L’hégémonie du parti au pouvoir se réduit face à des concurrents plus pugnaces.

Publié le 31 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

Pour le très sérieux quotidien sud-africain Business Day, il n’y a pas de place pour le doute : « Zuma presidency is a fait accompli. » En français dans le texte. Le suspense pour les élections générales du 22 avril réside non pas dans le nom du futur chef de l’État, Jacob Zuma, mais plutôt dans le score de son parti, le Congrès national africain (ANC), et celui de ses deux challengeurs, le Congrès du peuple (Cope), formé de transfuges du parti, et l’Alliance démocratique (DA), plus offensive que jamais. Ce scrutin déterminera si le temps de la splendide hégémonie du parti de la libération est réellement terminé. Pour la première fois, l’ANC pourrait perdre la majorité dans plusieurs provinces.

En apparence, l’usure du pouvoir semble l’épargner. Mieux encore, depuis les premières élections libres et la victoire de Mandela, le parti ne cesse d’améliorer son score : 62 % des voix en 1994, 66 % en 1999, et près de 70 % en 2004. Mais il faut se méfier des apparences. En effet, le recul de l’ANC ne se mesure pas à ces chiffres, mais à ceux de l’abstention. Faute d’une réelle alternative, les militants déçus ont pour la plupart choisi de rester chez eux le jour du vote. Le taux de participation a chuté entre 1999 et 2004 de 89 % à moins de 77 %.

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L’ANC est loin d’avoir tenu sa promesse d’une « meilleure vie pour tous ». La pauvreté et le chômage n’ont pas décru. Avec le développement d’une petite caste privilégiée, souvent proche du pouvoir, la ségrégation, qui autrefois était raciale, est désormais sociale. La colère se révèle dans des mouvements spontanés, dits mouvements pop-corn, qui soudain enflamment un township parce que l’électricité est trop chère, que l’eau a été coupée, que les routes n’ont pas été réparées ou que les voyous font la loi.

L’un des échecs de l’ère Thabo Mbeki aura été la dégradation des services publics, toujours plus chers et souvent moins efficaces. Le système scolaire comme celui de la santé se sont dégradés et, malgré d’importants investissements, le logement reste un problème majeur.

Jacob Zuma, pourtant, ne peut démonter le bilan de son prédécesseur sans nuire à l’image de son parti. Il a donc pour le moment choisi d’axer sa campagne sur le thème « Working together, we can do more », sous-entendu « On a fait déjà pas mal, mais ensemble nous pouvons faire encore plus ».

Et il ratisse large. Il a l’avantage d’être du KwaZulu-Natal et de pouvoir jouer de la fibre ethnique pour battre sur son terrain le parti zoulou du vieillissant Mangosuthu Buthelezi, chef de l’Inkatha Freedom Party (IFP), qui, en 2004, engrangeait encore près de 7 % des suffrages.

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Paradoxalement, son côté chef traditionnel qui danse armé d’une lance et paré de plumes lui vaut une certaine bienveillance du côté des Afrikaners. Il les a plusieurs fois assurés de son soutien au motif qu’il comprend leurs revendications identitaires. Il n’a pas hésité, le 29 mars, à envoyer Julius Malema, le président des jeunes de l’ANC, en visite dans le dernier bastion ségrégationniste du pays, l’enclave d’Orania. 

Le retour de Winnie

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Mais le véritable tour de force de Zuma aura été de se faire élire à la tête de l’ANC alors qu’il était soupçonné de corruption, et d’être ensuite choisi pour être candidat à la présidence. « Nulle part ailleurs un parti au pouvoir n’aurait pris ce risque », estime Aubrey Matshiqi, analyste politique. L’ANC a également ramené à la vie politique Winnie Mandela, 72 ans, malgré ses multiples démêlés avec la justice, notamment une condamnation à trois ans et demi de prison, en 2003, pour fraude financière. Icône des townships, elle est à la cinquième place sur la liste nationale de l’ANC : elle est donc non seulement éligible mais aussi ministrable. Preuve que la moralité du candidat compte moins que sa gouaille et son étiquette.

Le Cope ne l’a pas réellement compris. Et a fait une erreur stratégique en choisissant comme candidat un quasi-inconnu, un homme d’Église, le révérend Mvumelwano Dandala, présenté comme un champion de l’intégrité. La valeur morale n’est pas l’argument déterminant de cette joute électorale.

Le parti fondé par les dissidents de l’ANC peut se prévaloir de l’héritage de la lutte, un atout important. Cependant, il n’a pas eu beaucoup de temps et pas forcément assez d’argent pour se faire connaître d’un large public. Pour le moment, il n’est crédité que d’environ 10 % des suffrages. Malgré quelques belles têtes d’affiche, il ne pourra certainement pas faire le poids avant plusieurs années, le temps de faire sa place sur l’échiquier politique. À moins que les clivages internes et l’impatience des militants ne le fassent disparaître de la scène avant les prochaines échéances électorales.

Sa présence risque tout de même de coûter quelques sièges à l’ANC et peut-être même une province, celle de l’Eastern Cape, réputée proche de l’ancien président Thabo Mbeki. 

Contre le parti unique

L’ANC, qui depuis des années essaie de maintenir son emprise sur les neuf provinces du pays, est déjà quasiment sûr de perdre encore une fois la province du Western Cape, qui devrait être remportée par l’Alliance démocratique. Cette droite libérale bénéficie d’un regain de popularité depuis que Helen Zille, maire du Cap, en a pris les rênes. Elle est en effet bien plus efficace que son prédécesseur, Tony Leon, considéré comme le « roquet teigneux » de l’opposition. Plus modérée, moins agressive, mais aussi déterminée, Helen Zille gagne de plus en plus sur le vote métis, qui constitue un important vivier électoral dans la province.

Le système électoral en Afrique du Sud permet aux petits partis d’être présents au Parlement. Aux côtés de l’ANC, il y aura sans aucun doute la DA, le Cope, quelques rescapés du parti zoulou IFP, et d’autres formations plus modestes. La démocratie déjà vivace dans le pays ne pourra que gagner si le paysage politique se diversifie. Un Parlement qui débat, s’oppose et propose peut empêcher le pays de sombrer dans ce qui guette la plupart des mouvements de libération : un parti hégémonique qui finit par devenir unique.

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