Wade battu par les siens

La victoire de l’opposition aux élections locales du 22 mars est un sérieux revers pour le chef de l’État. Mais aussi pour son fils Karim, qui briguait la mairie de Dakar. De quoi compromettre son avenir sur la scène politique nationale ?

Publié le 31 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

Dimanche 22 mars au crépuscule, alors que l’obscurité descend sur Dakar, Karim Wade, fils et conseiller du chef de l’État sénégalais, Abdoulaye Wade, s’embarque à bord d’un Falcon 50 à destination de Paris. « Karim », comme l’appellent ses compatriotes, qui briguait le fauteuil de maire de Dakar sur la liste de la Coalition Sopi (« le changement », en wolof), n’a pas attendu de connaître le résultat définitif du scrutin, qui s’est tenu le même jour. Celui qui, deux jours plus tôt, proclamait dans une radio dakaroise qu’il avait « toujours gagné et qu’il n’envisageait que la victoire » n’a pas voulu attendre le dénouement du vote. Il s’en est allé, emportant avec lui son rêve – jugé par beaucoup trop prétentieux dans le contexte d’un pays aussi complexe que le Sénégal – de se faire la main à l’hôtel de ville de la capitale avant de briguer le fauteuil de son père en 2012.

Les premières tendances des élections régionales, communales et rurales, qui donnaient la coalition « Sopi » perdante dans presque toutes les grandes villes du Sénégal, se sont par la suite confirmées. Dakar, Thiès, Diourbel, Kaolack, Saint-Louis, Louga, Nioro, Fatick, Podor… sont tous tombés dans l’escarcelle de l’opposition réunie sous la bannière de Benno Siggil Sénégal (« Unis pour restaurer l’honneur du Sénégal », en wolof) ou d’And Ligeey Sénégal (« Ensemble pour bâtir le Sénégal ») emmené par Rewmi, le parti de l’ex-Premier ministre Idrissa Seck. 

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Les clés de Dakar

Seuls quelques bastions « sopistes » comme Linguère, Bambey et Matam ont pu être sauvés du raz-de-marée par Habib Sy, Aïda Mbodj et Abdoulaye Dramé, barons du parti au pouvoir. Tous les candidats investis par la Génération du concret (GC, le mouvement de Karim Wade) ont été défaits. Hassan Bah a perdu dans la localité du Foutah où il se présentait. Karim a été battu dans les quatre bureaux de vote de l’école franco-arabe du quartier Point E, où son père, sa mère et lui-même ont effectué leur devoir civique. Seule Ziguinchor, ville phare de la Casamance, a été arrachée par un responsable de la GC, Abdoulaye Baldé, à Robert Sagna, un dinosaure du Parti socialiste (PS, au pouvoir de 1960 à 2000).

Large, la première défaite du Sopi depuis l’alternance de mars 2000 a aiguisé les couteaux au palais de l’avenue Léopold-Sédar-Senghor.

Reçu dans la matinée du 24 mars, Pape Diop, maire sortant de Dakar, a eu un échange aigre-doux avec le chef de l’État, Abdoulaye Wade. À celui-ci qui lui reprochait de ne pas avoir débloqué des moyens suffisants pour financer la campagne, l’ex-édile de la capitale a répliqué en substance : « Pourquoi me revient-il, et non à Karim, de fournir des fonds ? Et puis, notre défaite ne s’explique pas par l’argent. Tout le monde pense que c’est la présence de Karim sur notre liste et son implication dans la campagne qui nous ont fait perdre. L’opposition a réussi à convaincre l’opinion que voter pour la Coalition Sopi équivaut à remettre à votre fils les clés de la mairie de Dakar. Et donc à lui offrir une rampe de lancement pour la course à votre succession. »

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Pape Samba Mboup, chef de cabinet de Wade, et Souleymane Ndéné Ndiaye, ministre de l’Économie maritime, connus pour leur hostilité à l’emprise grandissante de la GC sur les affaires de l’État et le parti au pouvoir, n’ont pas attendu les résultats définitifs pour régler les comptes. Premier à rompre le silence après la débâcle, Mboup a asséné : « Le chef de l’État va tirer toutes les conséquences de cette défaite. » Non sans ajouter : « J’avais toujours dit qu’il fallait réunir toute la famille libérale. L’éviction successive de grands responsables de notre parti a conduit à cette catastrophe. » Ce grognard du régime est d’autant plus en colère qu’il a tenté une énième manœuvre de rapprochement, qui a échoué, à quelques jours des élections.

Recevant les résultats d’un sondage qu’il a commandité pour prendre la mesure de l’opinion à Dakar et dans son fief de Thiès, Idrissa Seck, ex-homme de confiance de Wade tombé en disgrâce avant de revenir dans le giron présidentiel, a contacté Pape Samba Mboup. « Les résultats des sondages que j’ai eus ne sont pas bons. Si on veut que notre famille politique s’en sorte, il n’y a qu’une seule solution. La Coalition Sopi n’a des chances de remporter la capitale que si je retire ma liste dakaroise. En contrepartie, il faut que cette Coalition en fasse de même à Thiès pour me permettre de gagner plus confortablement dans mon fief. » Après avoir transmis le message à qui de droit, Mboup est revenu vers Seck : « Le président est très sensible à votre argument. Mais les boutefeux de la GC ont rejeté la proposition, estimant qu’ils n’avaient besoin de personne pour gagner à Dakar et à Thiès. »

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Abdoulaye Wade a reproché cette erreur d’appréciation à la Génération du concret. Sans doute pour s’amender, Hassan Bah, chargé de la mobilisation de ce mouvement, a fait le 24 mars une sortie sur une télévision dakaroise pour délivrer un message manifestement dicté. « Idrissa Seck est une réalité objective avec laquelle il faut composer, a-t-il clamé. Nous reconnaissons l’erreur que nous avons commise en méconnaissant cette donne. » Dans la foulée, Cheikh Diallo, conseiller en communication de Karim Wade, a joint le 25 mars Nafissatou Diop, confidente de Seck, pour annoncer la volonté de la GC de se « trouver des points de convergence avec le grand-frère ». 

Electrochoc

Petits arrangements et grandes manœuvres… La défaite de Wade dans toutes les grandes villes du Sénégal constitue un électrochoc qui va totalement chambouler le jeu politique, redistribuer les cartes au Palais, bouleverser la donne dans la course à la succession…

Mais le camp présidentiel n’est pas le seul à être affecté. Requinquée par une consultation qu’elle a largement remportée, l’opposition, réunie sous la bannière de Benno Siggil Sénégal (BSS), va au-devant de redoutables défis, dont le moindre n’est pas la sauvegarde de son unité.

Premier écueil à franchir : s’entendre sur la répartition des portefeuilles de maire et de président de conseil régional dans les localités qu’elle a remportées. « Au vu de nos accords, confie un responsable de l’Alliance pour la République [APR, le parti de Macky Sall], être tête de liste ne confère pas le droit d’être maire ou président de conseil régional. »

Parmi les vainqueurs de cette élection, Macky Sall, qui a contribué à redonner sa crédibilité à l’opposition, n’entend pas laisser Dakar, enjeu fondamental (un budget municipal de 44 milliards de F CFA et près de 35 % du corps électoral national) entre les mains de Khalifa Sall, le cacique du PS qui a conduit la liste victorieuse. Fort de sa victoire écrasante dans son fief de Fatick et sa forte pénétration dans le Foutah et dans le Baol, l’ex-Premier ministre de Wade, débarqué le 9 novembre de la présidence de l’Assemblée nationale, préférera rester dans l’opposition plutôt que d’aller à la rescousse de Wade. Pour lui, « le scrutin a révélé que la démocratie fonctionne au Sénégal. Par leur vote, les Sénégalais ont rejeté l’arrogance et le schéma d’une transmission dynastique du pouvoir. Cette aspiration au changement va se concrétiser en 2012. »

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